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SECOND DISCOURS.

SUR LES FÊTES PUBLIQUES,

CIVILES ET MILITAIRES.

M

ESSIEURS,

En vous soumettant mes vues sur l'éducation publique, j'ai cru devoir diriger vos regards vers une question subsidiaire qui se lioit étroitement à mon sujet, et dont le régime de la liberté nous apprendra bientôt à sentir la haute importance: je veux parler des fêtes nationales.

A la suite d'un projet de décret dont l'ensemble étoit bien plus important encore, il eût paru déplacé d'en

distraire votre attention, pour l'attacher à des détails que beaucoup d'hommes sages sont habitués à regarder comme des jeux d'enfans, ou qui du moins, quant à leur utilité reconnue ne pouvoient guère soutenir le parallèle avec ce que vous veniez d'entendre. J'ai donc jugé convenable d'en faire un article à part ; j'ai remis à un autre moment la discussion que je me proposois d'entamer, et je vous ai demandé d'avance la parole pour cet objet.

Ne croyez cependant pas, Messieurs, que je vienne avec un plan systématique et régulier, avec des formules de lois, propres à fournir, dans l'instant même, la matière d'une délibération, et dont j'entende justifier et défendre en tous ses points le dispositif. Mes prétentions se bornent à vous rappeler en peu de mots les liens secrets qui unissent les fêtes des peuples libres à leurs institutions politiques, les sources de bonheur et d'enthousiasme que le législateur peut y faire trouver aux individus, les motifs qui sollicitent vos déterminations sur l'emploi d'un mobile puissant que vous ne devez pas livrer au hasard: je me borne à tracer, non ces déterminations elles-mêmes, mais l'esprit dans lequel elles doivent être préparées; car si j'ose en esquisser le modèle, c'est moins dans l'espoir de vous le faire adopter, que pour mieux expliquer mes idées par des excmples. Enfin, dans un sujet qui, présentant à l'esprit tant de grands tableaux, et réveillant dans l'ame tant d'émotions profondes, semble être rout entier du domaine de l'imagination et du sentiment, j'écarte à

dessein tout ce luxe de pensées et d'expressions qu'il appelle, et je me hâte d'entrer en matière pour ménager un temps dont vous devez, de jour en jour, devenir plus avares.

L'homme a des besoins de plus d'un genre, qui veulent tous être satisfaits pour le complément de son existence. Les uns tiennent à la conservation de l'individu, à la propagation de l'espèce; ils constituent plus spécialement la partie physique de l'existence humaine les autres résultent des rapports sociaux qui s'établissent nécessairement entre des êtres sensibles réunis ; ils constituent le moral de l'homme, en prenant ce mot dans son sens le plus étendu.

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Ces derniers besoins se divisent encore en deux classes, dont la première comprend tous ceux qui doivent nécessairement être satisfaits, sans quoi les rapports des individus sont dénaturés, ou les relations de chacun d'eux avec le corps social totalement interverties dans leur mode et dans leur objet; elle sert de base aux lois de la justice, et c'est à elle que ces lois se rapportent. Les besoins de la seconde classe dépendent d'une faculté qui n'est pas exclusivement propre à l'homme, mais qu'il paroît avoir reçue dans un degré plus éminent que les autres animaux ; j'entends celle de partager les affections de tous les êtres, et particulièrement de ses semblables. C'est de là que naissent tous les sentimens de bienveillance, l'enthousiasme de l'amitié, le dévouement à la patrie; enfin toutes les passions douces ou sublimes qui donnent son véritable

prix à la vie, et qui, d'après l'admirable plan de l'auteur des choses, nous font trouver notre bonheur le plus pur dans ce qui peut augmenter celui des autres. Cette faculté, qui nous identifie avec toute l'espèce humaine, est peut-être encore plus que les premiers besoins, le principe de notre sensibilité; et comme, d'autre part, elle est également la cause de ce penchant à l'imitation qui nous rend susceptibles de toute sorte d'habitudes nouvelles, et constitue l'extrême perfectibilité de notre nature, il s'ensuit que les lois même de notre existence, après avoir déterminé la formation de la société, indiquent et préparent tout-à-fois les principales jouissances que nous devons chercher dans

son sein.

Les besoins physiques sont impérieux, mais ils sont très-bornés leur satisfaction ne souffre aucun retardement, mais elle est extrêmement facile; et pourvu qu'on les satisfasse, n'importe comment, le bien-être réel qui en résulte est à-peu-près le même. Ce n'est donc point sur eux qu'on doit fonder l'extension du bonheur des hommes. Mettons ces besoins à couvert > parce qu'ils en sont une condition nécessaire; mais cherchons ailleurs une base qui lui fournisse plus de latitude; cherchons d'autres moyens de verser sur la vie tout le charme qu'elle comporte. La vie ne peut pas être regardée comme un bien par elle-même : elle n'est que la place des affections dont nous sommes susceptibles. C'est donc sur-tout par le côté qui les admet en plus grand nombre, et dans un degré d'énergie

plus indéfini, qu'il faut agir sur nous, si l'on veut que nous puissions dire en arrivant au terme fatal: nous avons vécu.

On est obligé de convenir que l'accomplissement de ce but heureux ne dépend point uniquement du législateur; mais ce que le législateur ne fait pas en masse, le moraliste le fait en détail. Celui-ci vient porter dans le cœur des individus, ou dans le sein de la vie domestique, les mêmes principes salutaires que le premier a placés dans la grande association. Le moraliste corrige les maux dont le législateur n'a pu délivrer entiè rement les choses humaines; il confirme les biens que les institutions publiques ont augmentés; il augmente ceux qui se sont dérobés à leur influence. Quand ces deux fonctions se trouvent réunies dans les mêmes mains, ou quand elles sont dirigées par le niême esprit, leurs effets sont bien plus sensibles encore; alors paroissent ces grands phénomènes sociaux, qui nous montrent de quelles vertus l'homme est capable, ù quelles jouissances la nature le destine; comme les absurdes législations et les gouvernemens tyranniques prouvent jusqu'à quel point d'avilissement et de misère il est possible de ravaler de grandes nations qui couvrent les plus heureuses et les plus fertiles contrées.

Voilà, Messieurs, ce qui fit jouer un si beau rôle à quelques petites peuplades de la Grèce, dont l'histoire est encore la seule véritablement instructive, je pourrois dire, la seule lisible. Les philosophes, qui les avoient éclairées par leurs écrits, furent choisis pour

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