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reux, est cependant exposé à quelques sérieuses objections. On ne trouve aucune trace chez les anciens du nom de Cimbri comme étant l'appellation nationale des Belges. Ce dernier nom, dont la véritable forme paraît être, ainsi que l'a remarqué M. Thierry, Bolg, Volg, Volc, reparaît au contraire sans cesse. Les Cimbres sont presque toujours donnés comme Germains, et c'est avec un peuple incontestablement germain qu'ils ont fait alliance. Pline, qui connaît assez la Germanie pour y reconnaître plusieurs races (genera) distinctes, classe les Cimbres et les Teutons dans la race ingévone, avec les Chauci. L'auteur de l'Histoire des Gaulois peut répondre que les Teutons s'étaient unis aux Tigurins et aux Ambrons, peuples celtiques, comme le remarque Eutrope, et que dès lors les Cimbres auraient bien pu, eux aussi, appartenir à la famille celtique. D'ailleurs divers auteurs, et notamment Cicéron, appellent les Cimbres des Gaulois. Cette réponse est loin d'être complétement satisfaisante. A l'époque où les Cimbres étaient qualifiés de Gaulois, on confondait souvent ce nom avec celui de Germain. Ensuite, si le nom de Cimbre avait été l'appellation nationale des Belges, comment aurait-il été pris en mauvaise part par les Romains, constamment en relation avec eux, et entendu dans le sens de brigand, sens que paraît avoir effectivement le nom de Cimbre dans les idiomes germaniques'? Festus, en nous donnant le mot cimbri comme un mot gaulois ayant le sens de latrones, ne nous indique-t-il pas par là qu'il était aussi pris en Gaule dans un sens péjoratif, parce que les Cimbres inquiétaient sans cesse, par leurs déprédations, le pays situé en deçà du Rhin. Il n'est pas probable que les Belges, s'ils se fussent appelés Cimbres, eussent désigné sous le même nom des peuples alliés des Germains, qu'ils avaient combattus et avaient même été les seuls Gaulois à repousser énergiquement. Aussi M. Brandes, adoptant les idées développées avec beaucoup de force par Zeuss, dans son ouvrage sur les Allemands et les tribus qui en sont issues, et par E. de Wietersheim, dans son Introduction à l'Histoire de la nation allemande, se refuse-t-il à reconnaître dans les Cimbres les frères des Belges; et il est d'ailleurs difficile d'admettre que le nom de ces derniers, comme le veut M. Thierry, ait été simplement celui d'une confédération, puisque nous le voyons se conserver dans le midi de la Gaule et dans la Grande-Bretagne 2. M. Brandes distingue donc complétement les

Voy. Roget de Belloguet, Ethnogénie gauloise, part. I, p. 89. Cf. Brandes, p. 216. ? On s'est beaucoup donné de peine pour découvrir l'étymologie du nom des Belges, Bolg, Volc. M. Roget de Belloguet, qui le cherche dans les langues celtiques, ne se décide pas entre deux ou trois interprétations. Quant à moi, je suis disposé à y voir

Cimbres, alliés des Teutons, des Cymry du pays de Galles, lesquels appartiennent, selon lui, à la même famille que les Celtes et les Belges. Ces derniers avaient, au témoignage de César et de Tacite, envahi une partie de l'Angleterre méridionale; mais comme M. Brandes retrouve dans toute l'île d'Albion des noms de lieux absolument semblables à ceux de la Gaule, il en conclut l'identité de race des Gaulois et des Bretons, sans distinguer avec M. Thierry la famille kymrique et la famille gallique.

Cette identité de noms de lieux, dont le professeur de Leipzig a donné un tableau si complet, ne saurait cependant être prise pour un argument péremptoire. Que l'on n'oublie pas qu'il s'agit de distinguer ici deux langues d'une même famille, et je n'ai qu'à répéter ces judicieuses paroles de M. Amédée Thierry « Sans doute les nomencla>tures sont un guide assuré, quand il s'agit de discerner entre des » idiomes de caractère tout à fait différent, tels que le basque et le » latin, le latin et les langues gauloises; elles le sont moins quand il > faut prononcer entre deux idiomes qui ont presque toutes leurs ra» cines communes; et c'est le cas du gaélique et du kymrique. Ce qui » rend surtout ce travail difficile, c'est l'état d'imperfection où les mots > anciens nous sont parvenus en passant par les orthographes latine » et grecque, imperfection qui permet encore de reconnaître les radi» caux dans leur constitution générale, mais non pas toujours les » formes secondaires qui différencient les branches d'un même groupe » et les dialectes d'une même branche 1. »

La nomenclature dressée par M. Brandes, suffisante pour démontrer

une forme de l'allemand volk, folk, peuple; mot qui se retrouve dans toutes les langues européennes avec un sens analogue: anglo-saxon folc, vieux norvégien flockr, vieux français foulque, troupeau; lithuanien pulkas, slave polk, tchèque pluk, latin vulgus, grec 7204, dialecte crétois Tokyos. Cf. Schwenck, Warterbuch der deutschen Sprache in Beziehung auf Abstammung und Begriffsbildung (1838), p. 748. On trouve mentionné sur une inscription latine découverte à Mayence un Volkmarus (le chef du peuple). Le nom de Belges impliquerait, comme l'a supposé M. Am. Thierry, l'idée de confédération ; il aurait aussi pu s'appliquer à une race. Il appartiendrait, comme les mots mac, fils (gothique magus), rix (islandais rig, gothique reiks, latin rex), dun (anglo-saxon tún), etc., à ce fond commun de vocabulaire propre à tous les idiomes européens de la souche indienne. Quant au nom de Celtes, que je crois, avec M. Brandes, être la forme primitive de Galli, je ne suis pas éloigné d'y voir une forme du baile, en gaélique ville, tribu; pluriel bailte ou bailtean, par le changement du B et du P en C, dont on retrouve plusieurs traces en passant d'un dialecte celtique à l'autre. Cf. pen, cen, en latin caput, xe礿oía, ßepCnoia, cervisia, cervoise; Betasa, Barrépa (Béziers), en gaélique Cathair, ville. Badera, autre ville de la Narbonnaise. Bituriges, Caturiges, peuples de la Gaule. 'Histoire des Gaulois, 3 édition, introduction, p. cxx11.

TOME VIII.

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que les deux idiomes de la Bretagne et de la Gaule appartenaient à la même famille, ne prouve donc pas qu'ils constituassent une langue identique. Les noms de lieux que fournit la Grande-Bretagne ne sont pas toujours de forme absolument semblable à ceux qu'on rencontre dans les Gaules. Si, par exemple, Calagum (Chailly), localité située, d'après la table théodosienne, entre Sens et Meaux, est le même nom que Calatum, ville de la Grande-Bretagne, cela n'indique-t-il pas que le g gaulois se changeait parfois en t au delà de la Manche; ce changement s'observe en effet entre le c, qui n'est que le g adouci, et le t, quand on passe du gallois ou kymrique au gaélique ou écossais1? Et, d'après d'anciens témoignages, la même mutation de lettre s'observait entre la langue des Pictes et celle des Scots dont le gaélique actuel nous a conservé presque toutes les formes; car on lit dans la Vie de saint Kentigern 2: « Ken caput, tiern albanice, dominus latine interpretatur. » D'où il suit que, si Calatum et Calagum sont un même ethnique, les Gaulois du voisinage de la Marne observaient un principe de vocalisation qui reparaissait dans l'idiome des Pictes, tandis que les Scots ou Albannach avaient adopté le même principe que les Bretons.

D'autres mots paraissent cacher des mutations analogues de lettres : Brannovii et Brannogeni(um), Calone et Calunio, Begerri et Begesse, Anderitum et Anderida, Isara et Isaca, Ratuca et Ratupis, Ruteni et Rutunium, Velauni et Velunia, Uvelna et Uvella, etc.

D'ailleurs Tacite ne nous dit-il pas que la langue des Bretons différait peu (sermo haud multum diversus) de celle des Gaulois? Il est donc tout naturel de retrouver dans l'un et l'autre pays des vocables communs. Les retrouver n'était pas le point intéressant; ce qu'il eût fallu découvrir, c'était entre quelles limites s'étendaient les différences. M. Roget de Belloguet ne l'a malheureusement pas plus cherché que M. Brandes. Il réunit tous les mots des dialectes celtiques autour d'un mot gaulois analogue, et, s'il authentifie par là la celticité de ce mot, il ne nous apprend rien sur le dialecte auquel il appartenait.

Des rapprochements de ce genre sont absolument incapables de nous faire reconnaître si c'était le dialecte kymrique ou le dialecte gaélique qui se rapprochait le plus de l'ancien gaulois. On arriverait par un procédé analogue, si l'on n'avait à sa disposition que des mots isolés, à établir que l'armoricain ou bas-breton ne forme qu'une même langue avec le gaélique; ce qui n'est assurément pas vrai.

1 Ainsi taran, nom gaulois qui signifiait tonnerre, et que nous fournissent les inscriptions latines, devient en armoricain kurun.

2 Bolland. Acta sanctor., jan. 1, p. 820.

M. Roget de Belloguet croit tirer, en faveur de l'unité absolue de la langue gauloise, un argument décisif du témoignage de saint Jérôme qui nous dit que les Galates avaient presque (pene) la même langue que les Trévires1. Mais toute la question est de savoir quelle est l'étendue qu'il faut attribuer à ce mot pene et s'il n'est pas l'équivalent du haud multum diversus de Tacite. D'ailleurs, à l'époque de saint Jérôme, les perpétuelles relations des peuples gaulois entre eux avaient pu déjà mêler quelque peu les dialectes belge et celtique.

Rien de décisif ne renverse done l'opinion que ces deux dialectes constituassent, dans le principe, deux langues aussi différentes que le sont le kymrique et le gaélique. L'existence déjà ancienne de ces deux derniers idiomes ressort du témoignage de Bède le Vénérable, qui écrivait au huitième siècle. Cet historien ecclésiastique distingue dans la Grande-Bretagne quatre langues, celles des Bretons, des Pictes, des Scots et des Angles. La dernière était comme on sait toute germanique, c'est l'anglo-saxon; la seconde, dont M. Amédée Thierry fait avec vraisemblance une langue kymro-gaélique, a disparu ou s'est peut-être conservée dans le dialecte erse parlé à l'île de Man; le breton est le kymrique ou welche, le scot est le gaélique, dont l'irlandais n'est qu'une variété. Pour que deux idiomes celtiques aient conservé jusqu'à nos jours une différence aussi tranchée que celle qui existe entre la langue des Highlands et celle du pays de Galles, il faut que les deux races qui les parlaient aient réellement constitué deux rameaux différents; et rien ne s'oppose à ce qu'une différence pareille s'observât jadis entre les Belges et les Celtes, chez lesquels les anciens avaient tout de suite reconnu deux nations et comme deux races.

Maintenant, puisque les Belges avaient émigré dans le sud de la Grande-Bretagne, que la comparaison des noms de peuple de la Gaule et d'Albion nous prouve que ces émigrations s'étaient avancées jusque dans le nord, il est tout naturel de supposer que l'idiome belge doit se retrouver à peu près dans le kymrique. M. Brandes l'admet. Mais l'idiome celte proprement dit, quel était-il? M. Thierry, se fondant sur la ressemblance des noms de Gallus et de Goel, suppose que les Albannach représentent le rameau celtique. D'où il suivrait que ce rameau aurait d'abord peuplé la Grande-Bretagne et la Gaule, et que l'invasion belge l'aurait repoussé à deux extrémités opposées de l'Europe. Le savant français remarque, à l'appui de cette hypothèse, qu'on re

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trouve dans le pays de Galles et dans l'île d'Anglesey un grand nombre d'appellations topographiques étrangères à la langue welche, et dont les radicaux, purement irlandais, témoignent avec certitude que l'idiome des Gaels a régné sur toute cette côte, antérieurement à celui des Kymris; quelques traditions, du reste assez vagues, paraissent confirmer ces données philologiques.

La thèse de M. Thierry, quoique fort séduisante, n'est pas admise par M. Brandes; cependant M. Adolphe Pictet vient de produire dernièrement en sa faveur des considérations d'un assez grand poids. Étudiant les sept inscriptions gauloises qui ont été recueillies dans ces derniers temps, le savant genevois remarque qu'elles appartiennent beaucoup plus à un dialecte de la branche gaélique qu'à la branche kymrique, et comme elles ont été rencontrées sur différents points de l'ancienne Celtique, il est naturel d'en conclure que la langue gaélique prédominait dans cette portion de la Gaule. Je sais que les interprétations proposées par M. Pictet ne sont pas à l'abri de toute contestation; mais il est difficile de dénier la physionomie linguistique de ces curieux monuments, et cette physionomie seule témoigne en faveur du gaélique.

Pour vider ce grand débat, il faudrait maintenant découvrir dans l'ancienne Belgique des inscriptions qui servissent en quelque sorte à la contre-épreuve; il faudrait surtout que la Bretagne nous en fournît; car cela apporterait la solution de l'un des derniers points en litige, le caractère de l'ancien idiome armoricain.

On sait que le bas breton appartient à la même famille que le welche ou kymrique. Ce dialecte, parlé, avec quelques variétés de forme, dans les trois évêchés de Tréguier, de Saint-Pol de Léon, de Quimper, et dans une partie de ceux de Saint-Brieuc et de Vannes, existe depuis longues années ainsi cantonné. Au douzième siècle, on distinguait déjà en Bretagne, au témoignage des Grandes Chroniques de Saint-Denis, les Gallos, qui faisaient usage d'une espèce de patois roman, et les Bretonnants, dont le breton était la langue nationale. Mais plus anciennement ce dernier idiome était aussi répandu dans les évêchés de Dol et de Saint-Malo, et dans toute la partie de ceux de Saint-Brieuc et de Vannes, situés au voisinage de la Rance et de la Vilaine. L'idiome armoricain est-il donc un débris de l'ancienne langue belge? Dans le cas affirmatif, l'origine kymrique des Belges serait prouvée, puisque Stra

' Voy. Essai sur quelques inscriptions en langue gauloise. Genève, 1859, in-8°. Malheureusement le texte de plusieurs de ces inscriptions donné par M. Pictet ne paraît pas irréprochable, notamment celui de l'inscription de Volnay.

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