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bon, plus explicite à cet égard que César, range les Armoricains parmi les Belges. Malheureusement il règne encore quelque incertitude sur l'époque à laquelle a été introduit le dialecte bas breton. On sait, par des témoignages formels, qu'au milieu du cinquième siècle, les Bretons, qui depuis l'affaiblissement de la domination romaine avaient retrouvé leur indépendance, émigrèrent en grand nombre dans l'Armorique pour échapper à une nouvelle domination étrangère, celle des Anglo-Saxons. Il est dit par les chroniqueurs que les Bretons d'outre-mer vinrent s'établir dans l'Armorique, qui prit bientôt le nom de Petite-Bretagne. Mais cette émigration ne tenait-elle pas à une affinité étroite de race déjà existante entre les Armoricains et les Bretons? Les chroniqueurs et les hagiographes parlent d'ailleurs d'expéditions antérieures qui avaient suivi la même direction et semblent impliquer des relations déjà fort anciennes entre les deux Bretagnes. Je sais que les faits rapportés ont un caractère tant soit peu fabuleux; ce qui explique pourquoi M. Amédée Thierry, Zeuss et quelques autres autorités moins considérables n'ont vu dans l'expédition de Conan Mériadec, sous le tyran Maxime, vers la fin du quatrième siècle, qu'une pure légende. Mais en dégageant les circonstances légendaires dont Giraud de Cambrie et Henri de Hungtington ont entouré le récit de l'expédition de Conan, on y découvre, comme le montre fort bien M. Brandes, un fond historique, et les paroles de Guillaume de Malmesbury où se trouve aussi mentionnée cette tradition cadrent assez bien avec un passage de l'historien Zosime. Il n'y a donc rien d'impossible dans l'apparition des Bretons sur la côte de l'Armorique un demi-siècle avant l'époque où des témoignages plus positifs les font arriver.

Toutefois, même dans cette hypothèse, il ne s'ensuivrait pas encore que les Armoricains appartinssent au même rameau celtique que les Bretons; et l'étroite parenté qui lie le dialecte armoricain à la langue du pays de Galles, affinité telle que les deux peuples se comprennent entre eux, est plutôt un indice que l'armoricain n'est que le gallois ou kymrique transplanté. D'ailleurs, on sait formellement que le kymrique était encore parlé, au seizième siècle, dans les comtés de Dorset, de Wilt, de Devon; et il y a moins longtemps que cela qu'un dialecte kymrique, dont on conserve encore le vocabulaire, était répandu dans le Cornwall. Les populations du sud-ouest de l'Angleterre, en passant en Armorique, avaient donc pu y porter leur langue, et il n'est pas nécessaire de supposer que c'étaient des Gallois proprement dits qui pénétrèrent à l'extrémité de notre Bretagne. Cette dernière supposition serait en effet moins vraisemblable. Les Gallois se fussent plutôt portés

en Irlande que dans l'Armorique; et, exclusivement cantonné dans le pays de Galles, l'idiome kymrique aurait moins de chance d'être pris pour la souche de l'armoricain.

Cependant quelques autres circonstances, que M. Brandes a fait habilement valoir, tendent à démontrer que les Armoricains parlaient déjà, sinon la même langue, du moins une langue très-voisine de celle des Bretons, à l'apparition des émigrations envoyées par ceux-ci. Il est dit, par exemple, dans la Vie de saint Magloire, qui se rendit de la GrandeBretagne en Armorique pour évangéliser le territoire de Dol, que ce personnage venait prêcher à un peuple de même langue (ejusdem lingua). Et, ce qui est plus décisif, les actes du concile de Landaff, tenu l'an 560, parlent des Bretons comme ne faisant qu'une nation avec les habitants de l'évêché de Dol et parlant la même langue'. Ces témoignages, et quelques autres moins décisifs que M. de la Villemarqué avait déjà réunis dans son intéressant Essai sur l'histoire de la langue bretonne, sont assez décisifs; car il paraît difficile qu'en moins d'un siècle une simple émigration de Bretons ait imposé un nouvel idiome aux peuples de l'Armorique. Les relations incessantes que l'on trouve, dans les siècles suivants, établies entre les Petits-Bretons et les Grands, l'étroite alliance du clergé des deux contrées s'expliqueraient donc par l'existence d'une ancienne affinité de race.

Il est un autre témoignage curieux sur lequel M. Brandes s'est appuyé, non-sculement pour admettre la communauté d'idiomes entre les deux Bretagnes, mais encore entre la Gaule tout entière et ses voisins d'outre-mer. On lit dans les Vies de saint Germain d'Auxerre et de saint Loup de Troyes, que ces picux apôtres allèrent évangéliser l'Angleterre, et que leur parole eut tant d'effet sur le bas peuple (plebs) qu'on s'assemblait en foule pour les entendre, non-seulement dans les églises, mais dans les carrefours, les champs et les endroits détournés. Ce fait implique, aux yeux de M. Brandes, la communauté de langue entre les deux missionnaires et les Bretons. Et comme Auxerre et Troyes étaient des villes de la Celtique, le professeur de Leipzig en conclut qu'en Celtique on parlait aussi un idiome kymrique. Pour que cette conclusion fût légitime, on devrait être assuré que saint Germain et saint Loup n'avaient pas préalablement appris la langue bretonne; un témoignage aussi incertain ne saurait prévaloir contre la déclaration formelle de César et de Strabon. D'ailleurs on ne sait pas quelle modification s'était opérée en Gaule depuis l'établissement de la do

1 Labbei Concil., t. V, col. 830.

mination romaine, dans la distribution des langues belge et celtique. L'empereur Auguste ayant rattaché à la Lyonnaise des contrées originairement belges, comme il avait attribué à l'Aquitaine des cantons celtiques, il a dù se former, du mélange des deux idiomes, des dialectes intermédiaires que l'on a pu parler au midi de la Marne et sur les bords de l'Aube. On n'est donc point certain que saint Germain et saint Loup parlassent un idiome purement celtique. M. Brandes signale en Armorique une foule de noms de lieux qu'on retrouve dans le reste de la France, et c'est là pour lui une preuve qu'Armoricains et Gaulois avaient la même langue. Mais il est à noter que, des noms qu'il a recueillis, un grand nombre appartient à la Belgique. En outre, sous leur forme française moderne, beaucoup de noms de lieux se ressemblent qui, sous leur forme primitive, étaient différents. Puisque le belge et le celte proprement dit constituaient deux langues de la même famille, il est tout naturel qu'on y retrouve un grand nombre de radicaux communs. Presque tous les mots irlandais ou gaéliques n'ont-ils pas leurs correspondants analogues dans le vocabulaire gallois? Or qu'admet-on, c'est que le belge se rapprochait du gallois, et le celte de l'irlandais et du gaélique; la ressemblance des noms de lieux de la France et de la Bretagne, pas plus que celle des noms de lieux de l'ancienne Britannia et de la Gaule, ne peut donc infirmer l'hypothèse vraisemblable de deux rameaux de la famille celtique chez les Gaulois.

Je sais que l'on a eu recours, en faveur du peuplement primitif d'Albion par les Celtes, à des traditions assez incertaines. Ce que nous disent les Triades, conservées dans le pays de Galles et remises en lumière depuis un demi-siècle, est, il faut en convenir, fort obscur. Ces vieux chants des bardes gallois font venir les Bretons de la terre de Llydaw, ou, comme disent les chroniqueurs latins de l'Angleterre, du pays de Letavia. Ce pays est généralement regardé comme étant l'Armorique, et cette opinion remonte déjà au moyen âge, elle a une certaine valeur. Mais l'origine armoricaine des premiers Bretons demeure dans ce débat le point le plus problématique. Le nom d'Armorique pouvait s'étendre d'ailleurs, dans le principe, aux côtes de la Manche, et il est à noter que Pline, qui nous a fait connaître un grand nombre de petites populations gauloises passées sous silence par d'autres géographes, mentionne des Bretanni parmi les Belges, au voisinage des Ambiani et des Bellovaces qui habitaient les diocèses d'Amiens et de Beauvais.

Ainsi, malgré les efforts de M. Brandes, repris avec persévérance par

M. Roget de Belloguet, la distinction des deux races gauloises demeure encore le fait le mieux établi. Les Belges parlaient un idiome kymrique; voilà ce qui est à peu près certain. Quant à l'idiome des Celtes, que des indices assez puissants rapprochent de la langue des Gaëls et des Irlandais, on doit se prononcer moins affirmativement. Les traditions, d'accord avec la philologie, donnent les Celtes pour les plus anciens habitants des Gaules et de la Grande-Bretagne. Ils appartenaient très-certainement à la même souche, au même rameau indo-européen que les Belges, mais leur langue ne saurait être réduite à un simple dialecte de l'idiome kymrique, tel qu'est l'idiome armoricain.

On voit combien nos voisins les Allemands ont cultivé avec ardeur ce champ des études celtiques où nous n'avions longtemps semé que de folles hypothèses et recueilli que de ridicules étymologies. Les beaux travaux de Diefenbach et de Zeuss avaient simplifié la tâche de M. Brandes et dû mettre, ainsi que beaucoup d'autres savantes recherches, M. Holtzmann en garde contre ses généralisations hasardées. En France aussi, le niveau des études celtiques a singulièrement remonté, et les rêveries d'un Bullet, d'un Lebrigant, d'un la Tour d'Auvergne, ont fait place à des investigations plus sérieuses et plus solides entre lesquelles nous placerons en première ligne les travaux de M. de la Villemarqué. Le livre de M. Roget de Belloguet nous est la preuve que cette veine de bonnes études n'est pas épuisée, et si des obscurités subsistent encore, si les opinions restent en certains points divergentes, on a du moins déblayé le terrain des erreurs qui discréditèrent-longtemps les recherches celtiques.

ALFRED MAURY.

MÉMOIRES D'UN VAURIEN'.

VI.

Quand je m'éveillai, les premiers rayons du matin se jouaient déjà dans les rideaux verts au-dessus de ma tête. Je ne pouvais pas du tout me rappeler où je me trouvais. Il me semblait que j'étais toujours emporté par la voiture, et que j'avais rêvé d'un château au clair de lune, d'une vieille sorcière et de sa pâle petite-fille.

Je sautai enfin en bas de mon lit, et m'habillai en examinant la chambre du regard. Je découvris une petite porte dissimulée dans le mur, et que je n'avais pas du tout aperçue hier. Elle n'était qu'appuyée; je l'ouvris et vis un petit cabinet bien gentil et bien avenant aux lueurs du matin, des vêtements de femme jetés en désordre sur une chaise, et dans un petit lit à côté la jeune fille qui m'avait servi la veille à table. Elle dormait encore bien tranquillement, la tête appuyée sur son blanc bras nu, que recouvraient par endroits ses boucles noires. « Si celle-ci savait que la porte était restée ouverte ! » me dis-je à moi-même; et je retournai dans ma chambre à coucher, en ayant bien soin de fermer et de mettre le verrou, pour que la fillette ne s'effrayât point et n'eût pas honte à son réveil.

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Dehors, on n'entendait pas encore le moindre bruit. Un oiseau des bois, éveillé de bonne heure, vint seul se percher devant ma fenêtre, sur une branche poussée dans le mur, et chanter son air du matin. «Non, tu ne me feras pas honte, et tu ne seras pas seul à louer Dieu de si bon matin, » me dis-je. Je pris aussitôt mon violon, que j'avais posé la veille sur la table, et je sortis. Le château était plongé dans un

Voir la livraison de septembre.

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