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celles du Sud et de l'Est; aussi les Indes sont-elles, pendant des milliers d'années, restées un cercle vivant d'attraction.

La forme si heureuse des presqu'îles civilisées de l'Asie méridionale, les deux Indes et l'Arabie, se répète sur une plus petite échelle au sud de l'Europe dans les trois formations péninsulaires de l'Italie, de la Grèce et de l'Espagne, Seulement ces presqu'iles ne sont plus dans la proximité tropicale de l'équateur, mais à 20 degrés de latitude plus au nord dans la zone tempérée, où elles contribuent à former des pays, des peuples et des idées d'un tout autre caractère.

Ces deux groupes péninsulaires, composés chacun de trois presqu'îles douées de qualités physiques et spirituelles particulières, mais analogues, font la richesse du midi de l'Europe et de l'Asie; c'est grâce à elles que l'Asie, dans la zone torride, et l'Europe, dans la zone tempérée, sont devenues la patrie de la civilisation, De même la Tasmanie et l'Amérique du Nord ont accompli dans la suite des temps sur la zone arctique et la zone antarctique une œuvre encore voilée, mais dont nous voyons déjà poindre les germes d'avenir,

Dès aujourd'hui nous pouvons prévoir la prépondérance future du double continent de l'Amérique, jeune encore, mais vraiment gigantesque dans son épanouissement longitudinal; déjà nous pouvons conclure la suprématie de la partie méridionale de l'Amérique du Nord sur les presqu'îles de l'Europe et de l'Asie, victoire que rendra bien éclatante le futur équilibre entre le continent américain du Nord et celui du Midi.

En effet, les péninsules de l'Asie s'avancent, en partie du moins, dans l'océan Indien, vide d'îles et d'habitants; celles de l'Europe ont vis-à-vis d'elles la Lybie, la Mauritanie, contrées d'un abord inhospitalier et d'une conquête difficile. Tout au contraire, la Caroline, la Géorgie, la Floride, la Louisiane, le Texas, le Mexique et la Californie s'étendent vers des rives opposées tout aussi bénies qu'elles par la nature, vers tout un continent tropical et sous-tropical; et comme l'Asie voyait l'Europe sa cadette grandir et se développer de jour en jour, ainsi l'Amérique du Nord yoit se lever au midi un monde nouyeau tout rayonnant d'avenir. Désormais, le groupe des Antilles sera le point central où s'uniront les deux Amériques, bien plus intimement qu'elles ne l'ont fait jusqu'ici.

L'Amérique n'a pas le privilége qu'a possédé l'ancien monde, de développer de l'orient à l'occident les phases toujours nouvelles de son progrès historique à travers des pays et des températures analogues; mais en revanche elle a obtenu la possibilité d'un développement

beaucoup plus rapide dans la direction secondaire du globe, qui va du nord au sud. L'harmonisation des contrastes climatiques de pôle à pôle et de la zone tempérée à la zone torride, telle est la tâche difficile. qu'accomplira dans les siècles futurs ce grand nouveau monde, qui a déjà appris de l'ancien l'art de vaincre la nature qu'avaient enseigné à celui-ci les siècles passés; la richesse que procurent un heureux climat et une configuration avantageuse ne pouvant, bien entendu, se transporter que par le cours des temps à des pays plus pauvres ou encore en friche.

Nous voyons comment ce progrès s'effectue par le contraste qu'offrent ensemble l'histoire ancienne et l'histoire moderne; nous le voyons avec évidence dans la vie nouvelle que la navigation développe sur les côtes des continents et dans les groupes océaniques. Du reste, la haute perfectibilité du globe, qui met en œuvre tous les éléments de développement qu'il reçoit, nous convainc que l'industrie saura, d'une manière aussi grandiose que par le passé, transformer la nature pour les nouvelles phases d'une humanité toujours nouvelle.

CARL RITTER.

UNION
NEW YORK.

LA BLONDE LISBETH'.

I.

DU CHATEAU DE SCHNICK-SCHNACK-SCHNUCK ET DE SES HABITANTS.

Dans cette partie de l'Allemagne où était autrefois située la puissante principauté de Hechelkram, se trouve un plateau tout recouvert de bruyère brune. Par endroits, une roche pointue sort de ce tapis sombre, bordé de hêtres et de sapins; mais, vers le nord, les gisements de roches se rapprochent tellement qu'ils peuvent passer pour une petite chaîne de montagnes. Divers sentiers se croisent sur le plateau, et, dans le voisinage des deux rocs les plus élevés, se réunissent en un chemin plus large qui monte en pente douce vers la hauteur, et aboutit, après quelques sinuosités, à une route peut-être pavée autrefois, mais de laquelle des pierres déchaussées et des ornières sans fond ont fait un véritable casse-cou. Ce ravin cahotant n'en a pas moins conservé le nom de Route du château, parce qu'on aperçoit, ou que du moins on apercevait en haut, sur une colline assez dénudée, le château dont le nom figure en tête de ce chapitre.

Plus on approche de ce château, ou du moins plus on en approchait, car aujourd'hui il n'en subsiste plus que des débris, plus on en remarquait la singulière caducité. Pour ce qui était d'abord du portail, on en trouvait bien encore debout les deux pilastres de pierre, et même sur celui de droite s'était encore maintenu le lion héraldique, tandis que son partenaire du pilastre gauche était depuis longtemps enterré

1 Nous détachons cet épisode, que la critique et le sentiment populaire en Allemagne ont d'un commun accord placé au rang des chefs-d'œuvre, et qui est à coup sûr celui de l'auteur, du roman de Munchhausen, de Ch. Immermann. Voir, sur l'auteur et sur ce roman, l'article de M. D. F. Strauss dans la livraison d'août.

dans l'herbe touffue; mais la grille en fer avait été enlevée et employée à d'autres fins. Le château était ouvert à tout venant; toutefois, il n'avait à redouter les surprises et les brigands qu'en temps de sécheresse. Quand il pleuvait, et il pleut souvent dans cette contrée, la cour d'honneur se transformait en mare infranchissable, sur laquelle l'histoire veut même que parfois des bécasses se soient laissé prendre.

Pour l'extérieur et pour l'intérieur, le bâtiment répondait tout à fait à cette entrée. Les murs avaient perdu leur couleur, et même en partie leur crépissure, et le mur de pignon, ayant considérablement cédé d'un côté, avait dû recevoir l'appui d'une poutre, qui elle-même commençait à faiblir par en bas, et ne procurait plus qu'une sécurité assez douteuse. Ceux que cette vétusté menaçante n'effrayait pas rencontraient encore un obstacle considérable à la porte d'entrée : le ressort s'était roidi dans la vieille serrure rouillée, et le loquet ne cédait plus qu'à une pression forte et répétée, sauf à se détacher à la fin et à rester dans la main de l'arrivant. Aussi les habitants du château se servaient-ils de préférence, pour leurs entrées et sorties, d'un trou pratiqué dans le mur, et peu à peu fort élargi par l'usage, lequel trou ils bouchaient la nuit avec des tonneaux et des armoires.

S'il est permis de dire que les fenêtres sont les yeux d'une maison, on pouvait à bon droit trouver ce soi-disant château au moins borgne : très-peu de chambres, et les plus indispensables, avaient conservé leurs ouvertures, tandis que les volets à jamais fermés condamnaient toutes les autres pièces à des ténèbres perpétuelles, parce que les vitres avaient peu à peu quitté leurs châssis.

Dans cette masure vivaient, il n'y a pas encore longtemps, un gentilhomme âgé, que dans tout le pays on n'appelait que le vieux baron, avec sa fille Emerance, qui avait dépassé la quarantaine. Il appartenait à la maison si répandue des sires de Schnuck, dont les domaines étaient épars par toute la contrée, et qui se divisaient à l'infini, en lignes, branches, sous-branches et rameaux accessoires. Notre baron était issu de la sous-branche collatérale de Schnuck - Puckelig du Bocage à la Verrue. Ces ramifications multipliées avaient amené de fréquents partages des domaines héréditaires, et avaient notamment diminué les possessions des membres de la branche cadette, de tout temps remarquable par sa fécondité. On avait par conséquent été obligé d'inventer une ancienne loi d'après laquelle toutes les prébendes d'Église et charges militaires de la principauté revenaient de droit aux sires de Schnuck, ce dont les princes de Hechelkram s'étaient laissé d'autant plus aisément persuader que les Schnuck étaient, comme je l'ai dit, répan

dus par tout le pays. Le cousin Botho disait que c'était ainsi, et le cousin Gunther que c'était pour le mieux; le cousin Achate insinuait que les Schnuck et leurs tenants formaient un mur d'airain autour du trône, et le cousin Barthélemy soutenait que dès que les Schnuck existaient, ils devaient aussi avoir des moyens d'existence, c'est-à-dire des prébendes et des offices. Trente-six autres Schnuck apportaient trente-six autres arguments à l'appui de leur thèse. Les princes, uniquement entourés de Schnuck, et qui n'entendaient aucuns discours que les leurs, ne purent à la fin se défendre d'y ajouter foi. Ce qui fortifiait encore le droit nouveau, c'est que, d'après la constitution de Hechelkram, le prince régnant ne pouvait jamais prendre sa maîtresse que dans la maison des Schnuck. Or ces dames ne manquaient pas, on le conçoit aisément, d'exercer leur influence en faveur de leurs agnats.

La fiction se trouva donc bientôt solidement établie, et devint un appendice du catéchisme local. Les Schnuck dès lors n'eurent plus de souci, et purent se multiplier comme le sable de la mer. Après avoir mangé leur héritage, ils vivaient, comme généraux, aux frais du gouvernement, et leurs fils se faisaient officiers, prélats ou conseillers intimes au grand conseil, car j'ai omis de dire que tout Schnuck, dès qu'il choisissait le civil, était membre-né du conseil intime.

Dans ses jeunes années, notre vieux baron n'avait hérité de son père que le château de Schnick-Schnack-Schnuck, ancienne ferme qui, par la suite des temps, avait monté en grade. Il rapportait par an environ deux mille ou tout au plus deux mille cinq cents florins. Le défunt père avait maintenu la maison en bon état; de son vivant, lés lions héraldiques se tenaient en toute majesté sur les deux piliers, gardant une grille de fer du meilleur style; la cour était pavée, et dans les appartements on voyait de superbes portraits de famille, des chaises peintes en laque rose, et des commodes avec des tringles dorées. Derrière le château, le père avait fait dessiner un jardin dans le plus rigide goût français, peuplé de bergers et d'Amours en grès rouge.

Deux mille ou deux mille cinq cents florins ne sont qu'un mince revenu pour un gentilhomme, mais qui eût très-bien suffi à notre vieux baron, dans sa solitude champêtre, s'il n'eût grandi dans la pensée qu'il était conseiller-né du grand conseil. Mais depuis sa quatorzième année, il s'était couché et levé avec cette idée qui lui procurait une sécurité inébranlable. Ce qu'il avait appris était, à dire vrai, rien ou peu de chose, son père ayant pensé que trop de science n'était pas de mise pour un cavalier.

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