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X

Je poussai alors un profond soupir: « Oh! c'est certain, me dis-je tout bas, ils t'ont enfermé pour être plus sûrs de leur coup, une fois que tu seras bien endormi. » J'examinai bien vite la porte. Elle était fermée à clef, ainsi que l'autre porte derrière laquelle dormait la gentille pâle servante. Rien de pareil n'était jamais arrivé depuis que j'habitais le château.

Me voilà donc prisonnier à l'étranger, pendant que la belle noble dame était sans doute à sa croisée du jardin pour voir si je n'arrivais pas par la grande route avec mon violon dans la maisonnette du receveur. Les nuages volaient à travers le ciel, le temps passait, et je ne pouvais pas m'en aller! Ah! j'avais le cœur si serré, et je ne savais plus du tout ce que je devais faire. En outre, il me semblait toujours, quand les feuilles s'agitaient au dehors ou qu'une souris grignotait par terre, que la vieille était entrée secrètement par une porte dérobée, et qu'elle se glissait doucement avec son long couteau dans la chambre. J'étais assis tout soucieux sur mon lit, quand j'entendis soudain, pour la première fois depuis bien longtemps, la sérénade sous mes fenêtres. Au premier son de la guitare, je crus qu'un rayon du matin pénétrait mon âme. J'ouvris la fenêtre, et je dis tout doucement que j'étais éveillé. « Pst! pst!» répondit-on d'en bas. Sans réfléchir longuement, je mis le billet dans ma poche, pris mon violon, et, enjambant la fenêtre, je descendis le long du vieux mur fendu, en me tenant aux arbrisseaux qui avaient poussé dans les fissures. Mais quelques briques usées se détachèrent, je commençai à glisser plus vite que je ne voulais, et enfin je tombai si rudement sur mes deux pieds, que mon cerveau en craqua.

A peine arrivé en bas dans le jardin, je me sentis embrassé avec tant de véhémence, que je me mis à crier tout haut. Mais l'ami inconnu me ferma la bouche avec ses doigts et me conduisit hors des buissons. Je reconnus avec surprise le grand étudiant, avec une guitare attachée à un large ruban de soie autour du cou.

Je lui dis en toute hâte que je voulais sortir du jardin. Il semblait être au fait de tout, et par toutes sortes de détours couverts il me conduisit vers une porte basse dans le mur du jardin. La porte se trouva fermée; mais l'étudiant avait tout prévu, il tira une grosse clef et ouvrit doucement.

Entrés dans le bois, comme j'allais justement lui demander le chemin le plus court pour arriver à la ville la plus proche, voilà qu'il se prosterne devant moi, lève une main en l'air, et se met à pester et à jurer que c'était affreux à entendre. Je ne comprenais pas

du tout ce qu'il me voulait. J'entendais seulement toujours: Iddio et cuore, amore et furore. Enfin, comme sur ses deux genoux il se glissait toujours plus près de moi, je fus saisi d'une grande frayeur. Je m'aperçus qu'il était fou, et, sans regarder derrière moi, je m'enfuis dans le fourré le plus épais du bois.

J'entendis l'étudiant crier comme un forcené derrière moi. Bientôt après, une autre grosse voix du château répondit à ces cris. Je me figurai bien qu'ils se mettraient à ma poursuite. Le chemin m'était inconnu, la nuit sombre; je pouvais facilement retomber entre leurs mains. Je grimpai donc sur la cime d'un sapin élevé pour attendre une meilleure occasion.

De cette cachette, je pus entendre dans le château une voix s'éveiller après l'autre. Quelques torches se montrèrent en haut, et jetèrent leur sinistre lueur rouge sur les vieux murs du château et au loin dans les ténèbres de la nuit. Je recommandai mon âme à Dieu. Le tumulte confus devenait toujours plus fort et approchait de plus en plus. Enfin l'étudiant, une torche à la main, passa sous mon arbre comme le vent, avec les basques de son habit qui volaient derrière lui. Puis ils semblèrent tous se diriger vers un autre côté de la montagne. Les voix se perdirent dans le lointain, et le vent agita de nouveau le feuillage des arbres dans la silencieuse, forêt. Je descendis de ma cachette, et me mis à courir à perdre haleine et à m'enfoncer dans la vallée et dans la nuit.

VII.

Nuit et jour j'avais poursuivi ma course sans relâche; car les oreilles me bourdonnaient toujours et je me figurais que ceux de la montagne étaient à mes trousses, avec leurs cris, leurs torches et leurs longs couteaux. En route, j'appris que je n'étais plus qu'à quelques lieues de Rome. J'eus vraiment peur de grande joie. Tout enfant, j'avais entendu raconter tant d'histoires merveilleuses de la superbe Rome, et quand, l'après-midi des dimanches, j'étais étendu dans l'herbe devant le moulin et que tout autour de moi était si calme, je me figurais Rome comme les nuages qui passaient au-dessus de ma tête, avec des montagnes et des vallées merveilleuses près de la mer bleue, et avec des portes d'or et des tours resplendissantes du haut desquelles chantaient des anges en robes d'or.

Il y avait longtemps que le jour avait baissé et que la lune brillait

au ciel quand je sortis de la forêt, et qu'arrivé sur une colline je découvris la ville de loin. La mer étincelait à l'horizon, le ciel était parsemé de brillantes étoiles. Au-dessous, la ville sacrée, dont on ne distinguait qu'une longue ligne nébuleuse, apparaissait comme un lion endormi sur la terre paisible, et des montagnes s'élevaient à côté comme de sombres géants veillant sur elle.

J'arrivai d'abord à une grande lande solitaire, sur laquelle tout était noir et silencieux comme dans une tombe. On apercevait de loin en loin de vieux murs en ruine ou un arbrisseau sec et tordu. Quelquefois des oiseaux de nuit traversaient les airs; mon ombre, longue et noire, marchait dans la solitude à côté de moi. Ils disent qu'il y a là sous terre une ville antique et dame Vénus, et que les anciens païens sortent encore quelquefois de leurs tombeaux, passant dans le silence de la nuit sur la bruyère et égarant les voyageurs. Mais j'avançais toujours sans me troubler de rien; car la ville se dressait toujours plus distincte et plus belle devant moi, et les remparts, les portes et les coupoles d'or brillaient majestueusement au clair de lune, comme si les anges en robes d'or étaient réellement sur les créneaux et chantaient au milieu de la nuit.

Ainsi j'entrai, longeant d'abord de petites maisons et traversant ensuite une porte superbe, dans la fameuse ville de Rome. La lune brillait entre les palais comme s'il faisait grand jour; mais toutes les rues étaient désertes. Par-ci par-là seulement on voyait un homme déguenillé, étendu comme mort, dans la nuit tiède, sur les degrés de marbre et dormant. Les fontaines murmuraient sur les places silencieuses, et les jardins le long de la rue bruissaient et embaumaient l'air de leurs parfums rafraîchissants. Je m'avançais sans but, ébloui par le plaisir, le clair de lune et l'air odorant, sans savoir de quel côté me tourner, quand j'entendis tout à coup une guitare au fond d'un jardin. « Mon Dieu! me dis-je, serait-ce l'étudiant fou à la longue capote? M'aurait-il suivi jusqu'ici?» Puis une dame commença de chanter dans le jardin de la manière la plus ravissante. Je restai comme ensorcelé : c'était la voix de la belle noble dame, et c'était le même air qu'elle avait souvent chanté chez elle à la croisée.

Alors le beau temps passé retomba avec une telle force sur mon cœur, que j'aurais pu pleurer amèrement. Je songeai au paisible parc du château, à l'arbuste derrière lequel je me sentais le matin si heureux avant que cette sotte mouche me fût entrée dans le nez. Je n'y tins plus, et, grimpant par-dessus les ornements dorés de la grille, je descendis dans le jardin d'où venait ce chant. Une svelte figure blanche placée

TOME VIII.

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derrière un peuplier m'avait de loin regardé faire mes évolutions avec une grande surprise, puis elle s'était réfugiée dans la maison avec une telle rapidité qu'au clair de lune je l'avais à peine vue agiter ses pieds. « C'est elle-même! » m'écriai-je; et le cœur me battait de joie, car je l'avais reconnue aussitôt à ses petits pieds agiles.

Ce qui était seulement fàcheux, c'est qu'en sautant de la grille du jardin je m'étais foulé légèrement le pied droit. Il me fallut d'abord le traîner un peu avant de pouvoir suivre la fugitive. Mais pendant ce temps, la porte et la fenêtre de la maison avaient été fermées avec le plus grand soin. Je frappai tout doucement, puis je prêtai l'oreille, et je frappai de nouveau. Il me sembla que dans l'intérieur on chuchotait et riait tout bas; je crus même distinguer à travers les jalousies deux yeux clairs étincelant au clair de lune. Puis tout redevint silencieux.

« Il est sûr, me disais-je, qu'elle ne se doute pas que c'est moi. » Je sortis mon violon, que je portais toujours avec moi. Me promenant ensuite de haut en bas dans l'allée devant la maison, je jouai et chantai l'air de la belle dame; puis tout mon répertoire y passa. Je répétai avec transport tous les airs que j'avais joués autrefois pendant les belles nuits d'été dans le jardin du château ou sur le banc devant la maison du receveur, de manière que les sons arrivassent jusqu'aux fenêtres du château. Mais tout fut inutile, personne ne bougea dans la maison. Je mis alors tristement mon violon dans ma poche, et je m'étendis sur le seuil devant la porte de la maison, excessivement fatigué de ma marche forcée. Il faisait doux; les parterres de fleurs exhalaient d'agréables parfums. On entendait le bruit d'un jet d'eau au milieu du jardin. Rèvant à des fleurs bleu de ciel, à de belles vallées verdoyantes et solitaires, où coulaient des ruisseaux et où chantaient des oiseaux de toutes couleurs, je finis par m'assoupir.

A mon réveil, l'air du matin avait ranimé tous mes membres. Les oiseaux étaient déjà éveillés et gazouillaient autour de moi sur les arbres à me rendre fou. Je sautai promptement en l'air. Le jet d'eau murmurait toujours, mais dans la maison ou n'entendait pas le moindre bruit. Je regardai dans une chambre par les vertes jalousies. Il y avait un sofa et une grande table ronde couverte de toile grise; les chaises étaient rangées en grand ordre contre les murs. Au dehors, on avait baissé les jalousies de toutes les fenêtres, comme si la maison était inhabitée depuis bien des années. Je fus alors saisi d'un vrai frisson à la vue de cette maison solitaire, de ce jardin désert et au souvenir du fantôme blanc de la veille, et courant sans regarder derrière

moi à travers les berceaux et les allées, je grimpai vite sur la porte · grillée du jardin; mais là, je restai comme ensorcelé, mon regard plongeant dans la ville superbe. Le soleil du matin brillait et étincelait sur les toits et les longues rues silencieuses. Je poussai des cris d'allégresse, et m'élançai dans la rue transporté de joie.

Mais de quel côté me tourner dans cette grande ville, où je ne connaissais personne? D'ailleurs les agitations de la nuit et le chant de la belle noble dame d'hier soir me trottaient toujours dans la tête. Je m'assis sur la fontaine au milieu de la place solitaire, je me lavai les yeux dans l'eau fraîche et je chantai:

Si j'étais un petit pinson,

Je connaîtrais bien ma chanson.

Et si j'étais une hirondelle,

Je sais où volerait mon aile.

«Eh! gai compagnon, tu chantes ma foi comme une alouette au premier rayon du matin, » me dit tout à coup un jeune homme qui, pendant ma musique, s'était approché de la fontaine. Moi, entendant parler ainsi allemand quand je m'y attendais le moins, je crus que la cloche de mon village m'envoyait ses sons à travers le calme du dimanche. « Dieu! soyez le bienvenu, excellent monsieur et compatriote,» m'écriai-je en sautant gaiement en bas de la fontaine.

Le jeune homme sourit en me regardant des pieds à la tête. « Mais que faites-vous donc ici à Rome? » me demanda-t-il enfin. Je ne sus trop que lui répondre, n'ayant guère envie d'avouer que je courais après la belle noble dame. « Ce que je fais? Je suis en train de courir un peu le monde. - Ah oui-da! repartit le jeune homme en riant tout haut, nous sommes camarades de métier! Je fais comme vous; je cours çà et là pour voir le monde, et puis je le peins.-Vous êtes done peintre?» repris-je gaiement, car je me rappelai monsieur Léonard et monsieur Guido. Mais l'étranger ne me laissa pas continuer : « Je pense, dit-il, que tu vas venir déjeuner chez moi; je te peindrai ensuite toimême, que ce sera un plaisir à voir! » J'y consentis de grand cœur, et nous cheminâmes dans les rues désertes, où quelques volets commençaient à s'ouvrir, laissant voir deux bras blancs ou une figure endormie qui cherchait l'air frais du matin.

Mon compagnon, après m'avoir conduit longtemps par une quantité de ruelles étroites et obscures, me fit entrer dans une vieille maison enfumée. Nous montâmes un sombre escalier, puis plusieurs autres, comme si nous allions au ciel, et nous nous arrêtàmes enfin sous le

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