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laisse plus aucune trace. Le premier Hérode, si tant est qu'il ait eu jamais quelque notoriété, se trouvait comme absorbé par le nouveau.

Dans une telle situation, on comprend que la donnée « femme d'Hérode» ne pouvait signifier devant l'opinion publique, ce qui du reste était en partie exact, que « femme du tétrarque », et que, pour désigner le mari répudié d'Hérodias, il eût été ou équivoque ou inutile d'employer une expression autre que « frère d'Hérode ». Peut-être l'Évangile selon Matthieu nous conserve-t-il cette formule primitive 2. Mais quoi qu'il en soit, la pensée populaire, toujours avide de personnifications, de noms propres et d'images concrètes, ne devait pas se contenter longtemps de termes aussi indéterminés et aussi vagues. Elle voulait savoir qui plaindre comme elle avait qui haïr. Quel était donc ce « frère d'Hérode» spolié par un amour adultère? Le doute n'était point possible: un seul était connu encore, le tétrarque de l'Iturée, Philippe 3. Plus humain, plus juste, plus aimé que les autres fils du roi', nul au reste mieux que lui ne pouvait se transformer en victime de la méchanceté et devenir l'objet de l'intérêt des foules. Son nom se présenta spontanément pour combler la lacune et satisfaire aux besoins de la légende. C'est ainsi que se forma la formule définitive qui nous est rapportée textuellement par Marc et d'une façon non moins claire quoique plus détournée par Luc : « Hérode fit saisir Jean et le fit mettre en prison à cause d'Hérodias, la femme de Philippe son frère, qu'il avait épousée. »

Telle est l'argumentation de M. Volkmar, et elle semble de nature à démontrer d'une manière solide que les évangélistes, en désignant Philippe comme le mari d'Hérodias, contredisent les renseignements les mieux fondés de Josèphe, qu'ils commettent une erreur d'ailleurs facile à expliquer; enfin que toutes les tentatives pour les sauver du naufrage ont été et doivent demeurer profondément stériles. Il est 1 Matth., XIV, 1 sqq. Marc, vi, 14 sqq.; vIII, 15. Luc, m, 1, 19; vIII, 3; IX, 7 sqq.; XII, 31; xxi, 7 sqq. Ce sont tous les passages dans lesquels le tétrarque de la Galilée est nommé par les évangelistes. Il en est de même dans les Actes où il ne se trouve nommé qu'une fois, xIII, 1.

2 Cette vue m'est particulière, M. Volkmar donnant la priorité à Marc et maintenant chez Matthieu, contre Tischendorf, la leçon Piλíπлоυ. Ici, du reste, je m'écarte un peu de mon auteur, qui a sur la genèse des Évangiles des opinions que je ne partage pas.

3 Archélaüs avait disparu depuis longtemps de l'horizon de la Palestine. Il avait été exilé à Vienne par l'empereur Auguste, la sixième année de notre ère, c'est-à-dire vingt ans avant la nomination de Ponce Pilate au gouvernement de la Judée, et davantage encore avant les débuts de la prédication de Jean-Baptiste. Cf. Winer B. RW. Zeittafeln.

Cf. Josèphe, Antiq., xvIII, 4, 6.

donc permis de croire, dans l'intérêt de la vérité historique, qu'on renoncera un jour à maintenir le personnage fictif créé par la théologie sous le nom d'Hérode-Philippe. Ce sera un préjugé de plus dont la critique aura débarrassé le terrain de la science.

J'abandonne ici le travail de M. Coquerel. Peut-être, en exprimant les réflexions qu'il m'a suggérées dans le cours de cet article, me suis-je énoncé en termes un peu sévères. Mais il m'a paru que, moins qué tout autre, un homme de son mérite pouvait se permettre de semblables négligences, surtout écrivant dans un recueil aussi relevé et aussi scientifique que la Revue de théologie de Strasbourg.

A. STAP.

DE L'ÉPOQUE ET DU PAYS

OÙ FUT COMPOSÉ

LE CANTIQUE DES CANTIQUES'.

Peu de questions ont autant que celle-ci divisé les critiques. Entre ceux qui attribuent le Cantique des cantiques à Salomon et ceux qui, comme Eichhorn, Rosenmüller, Bertholdt, Koster, Hartmann, Gesenius, le rapportent aux derniers temps de la littérature hébraïque (quelques-uns osent descendre jusqu'au troisième siècle avant J. C.), on flotte dans un espace de 700 ou 800 ans. A vrai dire, nous croyons qu'une si forte divergence n'aurait pas dû se produire, et qu'elle tient à la méthode incomplète que les hébraïsants de l'école de Gesenius ont portée dans la détermination de l'âge des livres hébreux. Exclusivement préoccupés des particularités grammaticales, ils ont trop négligé les considérations historiques et littéraires, qui ne sont pas moins décisives que celles de la philologie dans les questions du genre de celle dont il s'agit en ce moment.

Le titre que porte dans le texte hébreu le Cantique des cantiques renferme une attribution positive du poëme à Salomon. Une telle attribution ne saurait en aucune façon être maintenue. Salomon joue dans le poëme un rôle évidemment sacrifié et parfois presque ridicule. Une foule d'endroits laissent percer une nuance d'opposition et de mauvaise humeur contre le harem de ce prince et contre les mœurs que la royauté somptueuse du fils de David fit prévaloir. Les versets vIII, 7, 11-12 renferment une amère dérision de sa puissance et une sorte de revanche que prend le vieil esprit libre des tribus sur la servilité

' M. Renan a bien voulu détacher pour nous ces pages inédites de l'introduction à sa traduction du Cantique des cantiques, suite des études bibliques si brillamment inaugurées par sa traduction de Job.

que le pouvoir absolu avait déjà créée autour de lui à Jérusalem. Il est donc évident que le titre actuel a été ajouté à une époque relativement moderne et quand le poëme n'était déjà plus bien compris. Le nom vague de Sir hassirim n'était pas sans doute le titre primitif (si tant est que notre poëme en portât un): il suppose que le poëme en tête duquel on l'inscrivit était déjà célèbre. On sait que dans l'attribution des ouvrages à des auteurs de l'antiquité, les scribes se laissèrent souvent guider par des considérations fort superficielles. Le nom de Salomon écrit dans le titre du Cantique des cantiques ne prouve pas plus pour la désignation de l'auteur véritable que le nom de David écrit en tête de plusieurs psaumes, qui, notoirement et de l'aveu de tous, ne peuvent être de ce roi. Ajoutons qu'une foule de détails (1, 4, 5, 12; m, 6-11; iv, 4; vп, 6; vш, 11, 12) excluent formellement la pensée que Salomon ait écrit lui-même le drame où il paraît comme acteur et souvent dans une position si peu flatteuse pour sa vanité.

Il n'est fait aucune mention ni citation absolument évidente du Cantique des cantiques dans les autres ouvrages hébreux. Mais je trouve une allusion très-probable à notre livre dans le livre de Jérémie1. « Je ferai cesser, dit Jéhovah, dans les villes de Juda et les places de Jérusalem, les cris de joie et les chants d'allégresse, la voix de l'époux et la voix de la fiancée; car toute la terre sera désolée. » Que signifient ces mots: la voix de l'époux et la voix de la fiancée, pris comme synonymes de chants de joie? Il serait de la dernière froideur d'y voir simplement les entretiens que pouvaient avoir entre eux les fiancés de Jérusalem. Ces mots s'appliquent évidemment à une espèce particulière de poëmes joyeux, à un genre de composition littéraire alors en vogue et dont notre Cantique était le spécimen le plus célèbre. Peut-être les mots de Jérémie qôl hatan ve-qôl calla nous donnent-ils le titre sous lequel, avant la captivité, on le désignait.

Beaucoup de ressemblances se remarquent entre des versets du Cantique et des passages d'autres livres hébreux, surtout du livre des Proverbes. Celle du verset vi, 9 et de Prov. XXXI, 28 est la plus frappante. Mais aucun de ces rapprochements ne fournit de solides inductions 2; car il est difficile de dire de quel côté a eu lieu l'imitation, et d'ailleurs c'étaient là des traits en quelque sorte du domaine public, qui revenaient spontanément sous la plume de tous. Il en résulte seulement

1 VII, 34; XXV, 10.

2 Voir la discussion de Hitzig, Das Hohe Lied, p. 9.

d'une manière générale que le Cantique doit être de l'époque des Rois, époque où ces sortes de traits étaient en quelque sorte les lieux communs de la poésie hébraïque. C'est à l'examen du Cantique lui-même qu'il faut demander, pour la question qui nous occupe, des indications précises; car un- poëme qui tient si profondément aux mœurs populaires ne peut manquer de nous révéler l'état de la nation à l'époque où il fut composé.

Il le fait, en effet, avec une telle évidence qu'on est surpris que tous les critiques n'en aient pas été frappés. Un passage (vi, 4) serait à lui seul démonstratif. La Sulamite y est comparée pour sa beauté à Thersa et à Jérusalem. L'auteur oppose ici les capitales des deux royaumes de Juda et d'Israël. Or Thersa fut la capitale du royaume d'Israël depuis le règne de Jéroboam jusqu'à celui d'Omri, de 975 à 924 av. J. C. En 923, Omri bâtit Samarie, qui devint dès lors la capitale du royaume. du Nord. A partir de cette époque, Thersa disparaît presque de l'histoire; sa chute fut si complète que son emplacement est inconnu et qu'on a renoncé à la faire figurer sur les cartes de Palestine. Comment un poëte postérieur à la captivité, ou même de la dernière période des Rois, après la chute du royaume d'Israël, eût-il pensé à cette ville oubliée de Thersa pour la mettre en regard de Jérusalem? L'antipathie contre Samarie était telle à cette époque qu'il est tout à fait inadmissible qu'on eût cité comme type de beauté une ville du Nord. Si l'on dit que l'auteur a voulu faire un pastiche de l'époque de Salomon et a choisi Thersa par une raison de couleur locale, on s'expose à de nouvelles difficultés. Car Thersa n'a été capitale que depuis le schisme qui eut lieu sous Roboam; il faudrait, par conséquent, supposer chez le poëte une inadvertance inconciliable avec le dessein raffiné qu'on lui prêterait.

Ce seul passage nous autoriserait à affirmer que la première rédaction du Cantique a dû être antérieure à l'an 924 avant J. C. Il est évident, d'un autre côté, qu'elle est postérieure à la mort de Salomon et au schisme, qui arrivèrent l'an 986. On est ainsi amené à fixer entre des limites fort étroites la date de la composition de notre poëme. Mais l'indice tiré du nom de la ville de Thersa n'est pas isolé; bien d'autres circonstances prouvent d'une manière certaine que le Cantique a été composé peu de temps après la mort de Salomon.

Loin, en effet, que le règne de ce prince y soit présenté sous ces traits légendaires que revêt un idéal lointain, il y paraît avec un caractère singulièrement arrêté. La garde du roi se compose de soixante forts; son arsenal contient mille boucliers; son sérail renferme soixante

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