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C'est dire assez que nous admettons comme très-probable une hypothèse proposée par Ewald et Hitzig, et d'après laquelle notre poëme aurait été composé dans le royaume du Nord. On comprend très-bien qu'un poëte du royaume d'Israël ait mis sur le même rang la petite capitale de Thersa et Jérusalem, tandis que cela ne se conçoit pas de la part d'un Hiérosolymite. L'antipathie contre le harem de Salomon, composé de « filles de Jérusalem », est aussi un trait qui ne convient qu'au Nord. Le style nous reporte vers les régions voisines de la Syrie. Enfin les rapprochements que M. Hitzig a établis entre notre auteur et Osée qui, comme l'on sait, est un écrivain du Nord (huitième siècle avant J. C.), s'ils ne prouvent pas rigoureusement que ce prophète a lu le Cantique, prouvent au moins que les deux écrivains vivaient dans le même cercle d'images et que les mêmes expressions leur étaient familières. « La Palestine du Nord, dit très-bien M. Réville 2, apparaît, dans l'histoire des Israélites, comme moins accessible au spiritualisme religieux, moins en réaction contre la nature et la vie naturelle que la Palestine du Sud; aussi c'est là que la poésie populaire semble avoir pris le plus d'essor. C'est de là que nous viennent le chant patriotique de Deborah, l'apologue de Joatham (Juges, 1x, 5-20), les histoires de Gédéon, de Jephté, de Samson, où l'élément poétique tient tant de place; les prophéties d'Osée, si chaudes en couleurs; les prophètes qui n'ont pas écrit, mais dont l'histoire atteste l'action vigoureuse sur les imaginations populaires, Élie et Élisée, la légende de Jonas, etc.... Ajoutons à cela que les beautés de la nature dans ce pays du Liban, agricole, d'une merveilleuse fertilité, riche en bois, en prairies, en eaux courantes, inspiraient mieux la poésie pastorale que les districts sablonneux et passablement rocailleux du Sud.» Ajoutons encore qu'à l'exception d'Engaddi et de Jérusalem, toutes les localités citées dans le poëme, Saron, Galaad, Thersa, le Liban, Amana, Hermon, Sanir, Carmel, Baal-Hamon, Sulam, patrie de l'héroïne, appartiennent au royaume du Nord.

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LE CHAT BOTTÉ,

CONTE D'ENFANTS EN TROIS ACTES

AVEC INTERMEDES, PROLOGUE ET ÉPILOGUE 1.

1 L'auteur, Louis Tieck, principalement connu comme un des pères du romantisme allemand, est plus remarquable encore à notre sens comme humoriste et comme satirique, et c'est de ce dernier côté que nous le présentons aujourd'hui à nos lecteurs. Cette charmante plaisanterie du Chat botté figure dans son Phantasus, recueil qui ressemble par le cadre, mais par le cadre seulement, au Décaméron. Des amis sont réunis à la campagne et passent le temps à se faire réciproquement lecture de leurs travaux littéraires. C'est dans ce cadre que Tieck a réuni la plupart des nouvelles qui ont porté si haut sa réputation dans ce genre, et quelques compositions d'un autre caractère, entre autres le Chat botté. Voici comment il l'introduit:

CLAIRE.

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Aujourd'hui, ces messieurs devraient nous lire quelque chose de bien joyeux et de bien bizarre, dans le genre du théâtre italien de Gherardi, qui, à mon sens, a parodié avec tant de grâce le monde entier dans ses bouffonneries.

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THÉODORE. Je vais vous offrir ce que je possède en ce genre, une composition assez évaporée, rien que mousse et plaisanterie légère, et qu'il ne faut pas prendre plus sérieusement qu'elle ne veut être prise; cependant il n'est pas aisé de plaisanter du théâtre sans plaisanter en même temps du monde, car le théâtre et le monde se confondent souvent, surtout de nos jours.

Le Chat botté appartient donc au genre de la parodie, et, comme toutes les parodies, il est naturel que celle-ci contienne une grande quantité d'allusions. Nous en signalons quelques-unes par des notes, mais il eût été fastidieux de les indiquer toutes, et si ce soin eût été nécessaire, la traduction de la pièce nous eût paru inutile, car ce qui n'a d'autre intérêt que l'actualité ne survit pas à l'actualité. Mais il y a dans le Chat bolté une verve d'humour, une finesse dans la charge, et dans la plaisanterie la plus excessive une grâce, qui lui donnent un attrait bien supérieur à cet intérêt du moment, disparu depuis longtemps, puisque la pièce est de 1797. Il est d'ailleurs dans la nature de l'art véritable de conférer la durée à tout ce qu'il touche, et de créer des types même quand il ne veut s'amuser qu'à des caricatures. Tieck avait en vue un certain théâtre, un certain public et une certaine critique, et il se trouve que son parterre comprend un certain nombre de messieurs Prud'homme et de pédants qu'on rencontre encore, à ce qu'il nous

semble, et dont on est toujours heureux de rire. La pièce a, comme on le verra, des allures tout aristophanesques, et Tieck ne s'est pas même fait scrupule d'y faire figurer sous leurs vrais noms des personnages bien connus de son temps, le critique Boetticher par exemple. Les tendances littéraires de l'auteur s'accusent par quelques traits contre Schiller et contre Goethe, contre le premier surtout comme romantique, Tieck était opposé aux classiques de Weimar. Il y a aussi quelques allusions à l'état politique du temps, mais la cour du roi appartient à la fantaisie pure : c'est la cour burlesque de toutes les féeries.

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PROLOGUE.

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(La scène est dans le parterre. Les lumières sont allumées. Les musiciens réunis dans l'orchestre. Le théâtre est plein; le public babille; il arrive de nouveaux spectateurs, les uns se poussent, les autres se plaignent; les musiciens accordent leurs instruments.)

FISCHER, MULLER, SCHLOSSER, BOETTICHER, d'un côté du

parterre, et de l'autre côté WIESENER et son voisin.

FISCHER. Ma curiosité est vraiment excitée. Cher monsieur Müller, que dites-vous de la pièce qu'on va jouer?

MULLER. — J'aurais plutôt cru à la chute du firmament qu'à une telle pièce sur notre grand théâtre, sur notre théâtre national! Eh! eh! après tous les prospectus, les magnifiques costumes, et les dépenses à bouche que veux-tu?

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Connaissez-vous déjà la pièce?

MULLER. Pas le moins du monde. Mais le titre est singulier : LE CHAT BOTTÉ! Je veux croire cependant qu'on ne produira pas de telles farces d'enfants sur le théâtre.

SCHLOSSER.Est-ce peut-être un opéra?

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FISCHER. Pas le moins du monde. L'affiche porte: CONTE d'enfants. SCHLOSSER. Un conte d'enfants! Mais, pour l'amour du ciel, sommes-nous donc des enfants pour qu'on nous serve des pièces pareilles ? J'espère bien qu'on n'osera pas nous montrer un vrai chat. FISCHER. D'après l'idée que je m'en fais, ce serait quelque odieux scélérat, quelque monstre félin.

MULLER. Ce ne serait déjà pas trop mal. Pour moi, j'ai depuis longtemps désiré de voir un opéra de ce genre, bien merveilleux et sans musique.

FISCHER. Sans musique! Y pensez-vous, mon ami? Ces choses sont absurdes sans musique. Je vous certifie, mon très-cher, que c'est cet art divin qui nous fait avaler toutes ces bêtises. Car, après tout, nous sommes au-dessus des contes bleus, des superstitions; le progrès a porté ses fruits comme il convient.

MULLER. Je suppose alors que c'est un tableau d'intérieur dans les règles, et que le chat n'est qu'une agréable plaisanterie de l'affiche,

un prétexte, si je puis m'exprimer ainsi, un titre bizarre pour attirer les spectateurs.

SCHLOSSER.Si vous voulez bien me permettre de découvrir le fond de ma pensée, je tiens le tout pour une ruse de guerre, pour une machine ingénieuse destinée à répandre certains sentiments, certaines insinuations parmi le public: vous verrez si j'ai raison. Quelque pièce révolutionnaire, autant que je puis comprendre, avec d'exécrables princes et ministres, et puis un homme profondément mystique, le président d'une société secrète siégeant au fond d'une cave; peut-être porte-t-il quelque masque afin que le vulgaire le prenne pour un matou. Tant mieux! cela nous promet de la philosophie profonde, religieuse, de la franc-maçonnerie. Enfin il succombe, martyr de la bonne cause. O grand homme! noble cœur! Certes, il te faut des bottes pour convenablement travailler les derrières de tous ces faquins!

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FISCHER. Vous avez sans doute deviné juste, autrement le bon goût se trouverait affreusement lésé. Moi du moins, pour mon compte, je dois avouer que je n'ai jamais pu croire aux sorcières ni aux revenants, encore moins au Chat botté.

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SCHLOSSER. Cela dépend. Est-ce que dans des conjonctures graves un illustre défunt ne pourrait pas hanter le palais comme matou familier, pour se manifester au bon moment par quelque prodige? La raison n'y contredit pas, dès qu'il s'agit de visées supérieures et mystiques. Mais voici Leutner; peut-être nous en dira-t-il davantage.

LEUTNER jouant du coude à travers les spectateurs. Bonsoir, bonsoir! Eh bien! comment cela va-t-il?

MULLER. Dites-nous donc ce qu'il en est de la pièce. (L'orchestre commence à jouer.)

LEUTNER. Déjà si tard! J'arrive à temps. Ce qu'il en est de la pièce? Je viens de causer avec le poëte: il est sur le théâtre et aide à la toilette du matou.

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La toilette! le poëte! le matou! Il y a donc vrai

Sans doute, et vous l'avez vu sur l'affiche.

Qui donc le jouera?

LEUTNER.Eh! l'acteur étranger, le grand homme!

BOETTICHER. Oh! alors nous aurons un plaisir des dieux! Comment s'y prendra-t-il, ce génie qui fouille si profondément, qui nuance si finement tous les caractères, comment s'y prendra-t-il pour exprimer cette individualité d'un matou? Sans doute il cherchera l'idéal à la

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