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mesure que le silence du soir augmentait. Je ne pus détourner les yeux de la belle comtesse, qui, tout échauffée de sa course, se trouva si près de moi que je pus entendre le battement de son cœur. Me voyant tout à coup seul avec elle, mon respect fut si grand que je ne sus que lui dire. Enfin, je m'armai de courage et lui pris sa petite main blanche. Elle m'attira aussitôt vers elle, se jeta à mon cou, et je l'enlaçai de mes deux bras.

Mais elle se détacha aussitôt de moi, et, toute troublée, se mit à la fenêtre pour rafraîchir ses joues brûlantes à la brise du soir. « Ah! m'écriai-je, mon cœur déborde; mais je m'y perds. Tout m'est encore un rêve! A moi aussi, » dit la belle noble dame. Au bout d'une pause, elle ajouta : « Quand l'été dernier je revenais de Rome avec la comtesse, et que nous en ramenions mademoiselle Flora, sans recevoir de tes nouvelles ni ici ni là-bas, je ne me figurais pas que tout finirait si bien. Ce n'est qu'aujourd'hui à midi que le jockey, ce bon excellent garçon, est arrivé tout essoufflé dans la cour et nous a appris que tu venais avec le bateau de la poste? » Puis, souriant de plaisir, elle reprit « Te souviens-tu quand tu m'as vue pour la dernière fois au balcon, la soirée était aussi belle qu'aujourd'hui; il y avait de la musique dans le jardin. Mais qui est donc mort? demandai-je inconsidérément. Qui serait mort? dit à son tour la noble dame en me regardant. Eh bien, oui! Votre noble époux, repris-je, qui ce soir-là était avec vous au balcon. » Elle devint toute rouge. « Mais quelles idées étranges t'es-tu donc mises dans la tête? C'était le fils de la comtesse, revenu justement de voyage; et, comme cela se trouvait être mon jour de naissance, il me mena avec lui au balcon pour que j'eusse aussi un vivat. C'est peut-être pour cela que tu t'es sauvée d'ici? - Ah! mon Dieu, oui, » m'écriai-je en me frappant la main contre le front. Mais elle secoua la tête et rit de tout cœur.

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J'étais si content, si heureux de l'entendre causer avec cette gaieté et cet abandon! j'aurais pu l'écouter jusqu'au matin. Dans mon bonheur, je tirai de ma poche une poignée d'amandes sèches que j'avais apportées d'Italie. Elle en prit quelques-unes; et tout en cassant les coques et en croquant les amandes, nous regardions gaiement la paisible contrée devant nous. « Vois-tu là-bas ce petit château blanc qui brille au clair de lune? Le comte nous l'a donné avec le jardin et les vignes autour. C'est là que nous demeurerons. Il savait depuis longtemps que nous nous aimons. Il te veut beaucoup de bien; si tu n'avais pas été avec lui quand il enleva mademoiselle Flora de la pension, ils auraient été pris tous les deux avant de se réconcilier avec la com

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tesse, et les choses auraient tourné tout autrement. Mon Dieu, la plus belle et la meilleure des comtesses, m'écriai-je, je ne sais pas où j'ai la tête. Tout cela me passe. Ainsi donc, ce monsieur Léonard?...

Ah oui, m'interrompit-elle, c'est ainsi qu'il s'appelait en Italie : c'est à lui qu'appartiennent les propriétés là-bas, et il va épouser la fille de notre comtesse, la belle Flora. Mais pourquoi m'appelles-tu toujours comtesse? » Je la regardai avec de grands yeux. « Je ne suis pas comtesse du tout, continua-t-elle. Madame la comtesse m'a recueillie dans son château quand le portier, mon oncle, m'eut amenée ici toute petite fille et pauvre orpheline. »

Eh bien, à ces mots mon cœur se sentit comme allégé d'un grand poids. « Que Dieu bénisse le portier! m'écriai-je avec transport. Quel bonheur qu'il soit notre oncle! J'ai toujours fait grand cas de lui. Il t'est aussi bien attaché, répliqua-t-elle. Mais il dit toujours que tu devrais avoir un genre plus distingué. Maintenant, il faudra t'habiller d'une manière plus élégante. - Oh certes, m'écriai-je gaiement; j'aurai un frac anglais, un chapeau de paille, un large pantalon et des éperons. Et de suite, après la noce, nous partons pour l'Italie, pour Rome où jouent les belles pièces d'eau, et nous emmenons les étudiants de Prague et le portier. »

Elle sourit tranquillement, et me regarda d'un air content et bienheureux; de loin la musique retentissait toujours jusqu'à nous; des fusées lancées du château passaient par-dessus le jardin, dans le silence de la nuit, et on entendait murmurer le Danube; tout était bien, tout à fait bien!

et tout,

(Traduit de l'allemand de J. D'EICHENDORFF.)

LE PARSISME,

D'APRÈS LES TRAVAUX ALLEMANDS MODERNES'.

DEUXIÈME ARTICLE

LE PARSISME ANTIQUE.

La tradition parse et l'antiquité classique s'accordent à rapporter à Zoroastre l'origine de la religion des Parses 2. Mais quand on veut déterminer l'âge et la patrie de ce célèbre personnage, on se trouve en présence des assertions les plus diverses. La tradition parse n'a sur ces deux faits que des souvenirs vagues dont il faut chercher péniblement le sens historique, et l'antiquité classique ne donne que des indications contradictoires. Aristote, Eudoxe et Hermippe font vivre Zoroastre cinq mille ans avant la guerre de Troie; Xanthus le Lydien, cinq ou six cents ans avant Xerxès; Ammien Marcellin, du temps de Darius, fils d'Hystaspes. Cette dernière opinion, qui ne mériterait pas même l'honneur d'être mentionnée, si elle n'avait été l'objet de longues discussions et si elle n'avait trop souvent égaré les recherches, est le résultat de la confusion de deux personnages qui vécurent à des siècles de distance et qui n'eurent jamais rien de commun que le nom. C'est sur cette simple identité de nom qu'on s'appuya pour voir dans Hystaspes, père de Darius, Vistaçpa', dont il est parlé dans le Yaçna

1 Voir la livraison d'août 1859.

2 Zarathustra, dans l'ancienne langue de l'Avesta, et Zartousch et Zerdouscht dans le pehlvi et le parsi.

* Le Vistacpa du Yaçna est le Gustacp de la tradition parse, et l'Hystaspes des Grecs.

comme d'un puissant ami de Zoroastre, et pour faire vivre celui-ci vers le commencement du cinquième siècle avant l'ère chrétienne. Ce système frivole, loin d'expliquer les difficultés que présente l'histoire du fondateur du mazdéisme, en souleva une foule d'autres et finit par envelopper d'une telle obscurité un sujet déjà peu clair par lui-même, qu'on ne sut se tirer d'embarras qu'en supposant qu'il avait existé deux ou trois Zoroastres différents.

La question est aujourd'hui résolue. Dans la généalogie de Darius, donnée par les inscriptions cunéiformes de Béhistoun et d'Artaxerxès II, le père de ce roi est mentionné comme fils d'Arshâma1, et cette indication s'accorde avec le récit d'Hérodote, qui lui donne Arsame pour père 2. On sait d'un autre côté par un passage du Yescht' que le Vistacpa de l'Avesta est le fils d'Aurvaçaçpa, personnage qui est connu dans la tradition parse sous le nom de Lahuraçp ou Lohraçp *.

Il n'était pas besoin cependant de l'indication fournie par les inscriptions cunéiformes pour se convaincre que Zoroastre a vécu dans un temps de beaucoup antérieur au règne de Darius. Tandis que l'organisation politique que ce prince donna à son vaste empire suppose nécessairement un état social assis déjà sur des bases bien fixées, les hommes auxquels s'adresse Zoroastre ne s'élèvent pas au-dessus de l'enfance de la société. Les mœurs sont grossières, les arts nécessaires à la vie presque inconnus. Le législateur est obligé de défendre à ceux qui se rangent sous ses lois de manger la chair des bêtes mortes de maladie. On ne trouve pas parmi eux de traces ni d'industrie ni de commerce. On ne connaissait pas l'usage des monnaies. Les acquisitions se faisaient par des échanges, et les services rendus se rémunéraient par le don de bestiaux. La vie sédentaire de l'agriculteur ne l'avait pas encore décidément emporté sur les goûts vagabonds du nomade. Il n'existait pas encore de villes; il n'en est pas fait mention du moins dans l'Avesta, qui parle seulement de villages ou d'agglomérations de maisons. Le peuple au milieu duquel fut prêché le mazdéisme était divisé en clans, à la tête de chacun desquels se trouvait un chef. Vistacpa, l'ami et le soutien de Zoroastre, était un de ces chefs, et, à ce qu'il paraît, un des plus puissants. D'ailleurs le pays était encore désert et peu sûr. On pouvait aller loin sans rencontrer un homme.

Journal asiatique, 1851, t. I, p 258 et 264.

2 Hérodote, VII, 10.

3 Burnouf, Comment. sur le Yaçna, p. 442.

Spiegel, Avesta, t. I, p. 43.

› Vendidad, farg. vi, 106-117; IX, 147-155. Spiegel, Avesta, t. I, p. 290 et 291.

Mais les loups étaient nombreux : ils erraient autour des habitations; la vigilance des chiens pouvait seule préserver les troupeaux de leurs fréquentes attaques. Le seul des arts libéraux dont parle l'Avesta est l'art de guérir; la science des hommes qui le pratiquaient se bornait à des opérations chirurgicales. Pour les maladies intérieures, on ne connaissait d'autres remèdes que les prières et les formules magiques. Les médecins de l'époque de Zoroastre ne différaient donc en rien de ceux qu'on rencontre encore aujourd'hui au sein des peuplades placées aux degrés inférieurs de l'échelle sociale.

Ce tableau, qui nous représente une société à peine naissante, tout au plus en voie de formation, ne saurait convenir à l'époque de Darius, quand les Perses étaient établis en vainqueurs au milieu de peuples policés et célèbres par leurs monuments grandioses, leurs villes d'une immense étendue, leurs grands travaux de canalisation et d'irrigation. Il ne peut pas mieux convenir, mais pour d'autres raisons, aux anciens Perses sur lesquels régnaient le père et l'aïeul de Cyrus. Leur état social n'est pas celui que suppose l'Avesta. L'agriculture ne semble pas avoir eu parmi eux l'importance que lui accorde le Vendidad; ceux qui se livrent à la culture des terres ne forment pas même la masse de la nation. Des dix tribus qui la composent, trois seulement sont agricoles. Les quatre dernières se composent de nomades, c'est-àdire de familles menant un genre de vie que la législation mazdéenne considère comme le fait d'une race grossière et impie, et dont elle ne parle qu'avec mépris et horreur. Les nobles, les guerriers, forment les trois autres tribus et l'emportent sur tous les autres membres de la nation. Il est bien vrai que l'Avesta nomme le guerrier entre le prêtre et l'agriculteur, et semble par cela même reconnaître en un certain sens sa supériorité sur celui-ci; mais il ne parle jamais de ses priviléges; il le nomme, rien de plus. Tout l'intérêt se concentre sur l'agriculteur. La législation ne semble pas avoir eu d'autre but que de créer ou du moins de favoriser l'agriculture. Elle n'a donc pas pris naissance au milieu d'une nation guerrière, telle qu'étaient les Perses antérieurement à Cyrus. Elle suppose un état social plus simple, plus voisin des âges primitifs. Elle remonte certainement à une époque où la Perse n'existait pas encore sous ce nom et était même inconnue aux hommes qui suivaient la loi de Zoroastre. Ce pays ne figure pas en effet dans les seize contrées nommées dans le premier fargard du Ven

Vendidad, farg. vII, 94 et suiv. 'Ibid., farg. vn, 118-120.

TOME VIII.

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