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Gaule et de la Germanie, les autres proposaient des systèmes en complet désaccord avec la théorie des Galls et des Kymris, qui n'en a pas moins fait son chemin malgré ces attaques. Deux professeurs allemands semblent avoir voulu vider enfin le débat par un combat singulier.. M. Holtzmann est descendu dans la lice, la framée à la main, et résolu à pourfendre tous ceux qui ne reconnaîtraient pas la prédominance du sang germanique dans les antiques populations fixées à l'ouest de l'Europe. Il a invité à le suivre les plus célèbres érudits de l'Allemagne, et, quoiqu'on ait peu répondu à son appel, il a engagé le combat par une dissertation pleine de savoir, mais où le paradoxe n'est pas ménagé. M. Brandes, qui a relevé le gant, n'affiche pas de si hautes prétentions. Résoudre les ténébreux problèmes de l'ethnologie gauloise lui semble une chose presque impossible; mais il est des faits que ce savant professeur maintient comme acquis à la science et qu'il s'est décidé à défendre contre les charges à fond de M. Holtzmann.

Ceci dit, on comprend quel caractère différent ont les deux ouvrages dont je veux entretenir le lecteur. Hardi et absolu, le professeur de Heidelberg ne s'effraye pas du démenti des textes, qu'il refait au besoin pour son usage; il passe sous silence ce qu'il serait trop malaisé de réfuter; il appuie avec force sur les erreurs de ses antagonistes, et s'efforce de rattacher à sa cause de respectables autorités qui ne l'ont en réalité jamais secouru. Cependant il a aussi à faire valoir des arguments qui ont leur valeur et qu'il presse de façon à en tirer plus qu'on ne s'y serait attendu. M. Brandes est un tout autre homme; il procède avec méthode, tâte le terrain, s'avance avec circonspection, ne résout que ce qui lui paraît élucidé, et s'attache encore plus à nous défendre contre des erreurs qu'à nous révéler des faits ignorés.

Pour faire comprendre le fond du débat, il me faut nécessairement revenir sur ces témoignages éternellement cités de César et de Strahon que l'on tourne et retourne de toutes les manières, avec la bonne volonté d'y découvrir des données qui n'y sont malheureusement pas. Il nous faut surtout préciser ce qu'on entend par Gaulois et Germains; car l'ambiguïté des termes prolonge les discussions et s'oppose biensouvent seule à ce que les questions soient décidées.

Les anciens ne possédaient que des notions fort incomplètes sur les peuples fixés à l'occident de l'Europe. Les Grecs avaient connu les habitants des Gaules par la colonie phocéenne de Marseille; ils tenaient. de quelques voyageurs, qui s'étaient aventurés en compagnie de marchands, des renseignements plus ou moins vagues sur les côtes de

l'Océan et de la mer du Nord. Plus tard, ils durent aux Romains et aux Italiotes des renseignements plus précis sur les Gaulois qui s'étaient établis au nord de la Péninsule et s'étaient avancés sous les murs de Rome; ils les virent eux-mêmes pénétrer jusque dans la Grèce par I'Illyrie et la Macédoine, dévaster l'Étolie et piller le temple de Delphes. Quelques hordes de ces barbares traversèrent la mer et vinrent se fixer dans une partie de la Phrygie. Mais, même après que les Gaulois se furent rapprochés d'eux, les Grecs n'en restèrent pas moins assez ignorants de la contrée dont ils étaient originaires. Ils les appelaient Celtes (KEλto) sans doute d'après le nom que ce peuple se donnait à luimême, et leur pays était alors pour eux la Celtique (Keλtixh), vaste territoire, leur avait-on dit, qui s'étendait de la mer du Nord jusqu'à l'Ibérie. Ce nom de Celtes n'avait pas d'ailleurs dans le langage des Grecs un sens bien précis, parce qu'ils ignoraient les caractères qui distinguaient les Gaulois des autres nations hyperboréennes. Les Latins appelaient les Gaulois Galli, nom qui semble n'être qu'une forme latinisée du nom même de Celtes1; car le e se prononçait souvent dur dans le nord de l'Italie, et l'on a une foule de preuves qu'il se confondait fréquemment avec le g; let était sans doute tombé dans la latinisation du nom ethnique. Les Grees, cherchant à rapprocher le nom des Celtes de l'appellation latine, les appelèrent Galates (Faλátor), et désignèrent par conséquent la Gaule sous la dénomination de Galatie (Faλaría), nom qu'ils appliquèrent également à la province de l'Asie Mineure où les Gaulois s'étaient établis. M. Brandes fait remarquer en effet que ce nom de Galatie n'est employé que chez les écrivains grecs de l'époque postérieure; par exemple, Polybe, Diodore de Sicile, Dion Cassius, Josèphe et Pausanias. Les anciens auteurs, tels qu'Ephore, Aristote, n'avaient parlé que de la Celtique, enfin, à l'époque la plus récente, au troisième et au quatrième siècle de notre ère, les Grecs finirent par adopter le nom latin de Galli (Faot).

En présence des notions incomplètes qu'avaient les Hellènes sur les Gaulois, on ne saurait rien inférer de leur témoignage, rien conclure

M. Roget de Belloguet veut trouver au mot Galli un sens différent de celui de Celtes. J'avoue que cette opinion me semble peu vraisemblable. Les Latins, de Kelt, avaient fait Galli, parce que la dentale tombait probablement dans la prononciation italienne de ce nom. C'est de même que le mot gadhel, gaidhil que nous donnent pour le véritable nom du dialecte celtique écossais, les meilleurs lexicographes, a fait par contraction gael, gaelic. César n'était pas assez étymologiste pour s'apercevoir que Galli était au fond le même nom que Celta. On peut comparer les deux formes Celta, Galli, ne différant que par la chute du t, aux formes latine et grecque porta et πόρος, περάω.

des confusions qu'ils opèrent entre les Gaulois, les Germains et les peuples voisins. C'est seulement à dater de César qu'apparaissent des connaissances plus précises. Strabon, en écrivant sa description de la Gaule, avait les Commentaires sous les yeux; il ne visita jamais ce pays, et ce qu'il ajoute aux renseignements puisés chez le grand capitaine, il le doit aux relations plus fréquentes qui s'étaient établies entre Rome et les Gaulois, depuis leur sujétion à l'Empire. C'est donc toujours à César qu'il en faut revenir, quand on parle des Gaules, et, pour infirmer son témoignage, on doit avoir de bien puissantes autorités. Or, le grand capitaine, qui avait parcouru le pays et soumis la population, loin de confondre les races, prend au contraire soin de les distinguer. Au début de ses Commentaires, il nous dit que la Gaule est divisée en trois parties, habitées par trois peuples différents, les Aquitains, les Belges et les Celtes que nous appelons, écrit-il, Galli. Les Celtes sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Cette division était si bien ethnographique, elle était si clairement indiquée par la distinction des races, que l'administration romaine la consacra. Auguste partagea la Gaule en trois parties la Celtique qu'il appela Lyonnaise, et à laquelle il rattacha la province romaine de Narbonne; l'Aquitaine qu'il étendit jusqu'à la Loire inférieure; et la Belgique, allant du Rhin et de l'Escaut jusqu'à la Seine. Pline au reste confirme le témoignage de César. Sans doute ces divisions ne coïncidaient pas rigoureusement avec la distribution des races. D'abord, celle d'Auguste englobait dans les Aquitains tous les Celtes habitants de la région comprise entre la Garonne et la Loire. Ensuite, déjà antérieurement il y avait des tribus celtiques et belges établies dans l'Aquitaine, et, suivant Strabon, les Venètes et les peuples de l'Armorique étaient Belges; mais le principe sur lequel elles reposent n'en est pas moins tout ethnographique.

Il ne peut plus y avoir aujourd'hui de doute sur le caractère des Aquitains, rameau de la grande race ibérienne qui peuplait l'Espagne. Ces Ibères de la Gaule, bien plus distincts des Belges et des Celtes que ceux-ci ne l'étaient entre eux, comme nous l'apprend Strabon, avaient le même type physique que les Ibères proprement dits; ils parlaient une langue à part dont un vestige subsiste encore dans le basque, et dont les vocables constituent presque tous les radicaux des noms de lieux de l'Espagne et de la Navarre. Mais les Belges et les Celtes dans quelles relations de parenté se trouvaient-ils entre eux et avec les peuples de la Germanie et de la Grande-Bretagne ? C'est là que gît la difficulté ; c'est là-dessus que porte le perpétuel débat. Cependant César et Strabon, sans

être très-explicites, s'expriment en termes assez clairs pour qu'on en puisse inférer que les Celtes et les Belges, quoique constituant à leurs yeux deux races distinctes, étaient cependant unis par une assez grande similitude de mœurs et d'institutions ; ils parlaient des langues différentes, assez différentes pour que les Romains, très-médiocres linguistes, s'en fussent aperçus, mais cependant ils devaient encore s'entendre assez aisément, tant les relations entre les petites nations de l'une ou l'autre race étaient fréquentes et obligées. Quant aux Germains, ni César, ni Strabon, ni Tacite ne les confondent avec les Gaulois, et les deux premiers ont soin de remarquer qu'il était passé dans la Gaule des tribus chez lesquelles se conservait le caractère germanique. Toutefois l'état social général de tous ces peuples barbares n'était pas assez dissemblable pour que l'on ne fût pas tenté de le rapprocher, et lorsque le géographe grec veut compléter les renseignements imparfaits qu'il a tirés des anciens auteurs sur les Gaulois, il déclare qu'il y ajoute des détails tirés des mœurs des Germains, chez lesquels se conservent encore les vieilles formes de la société gauloise. Les Belges d'ailleurs, situés au voisinage de la Germanie et souvent en guerre avec ses habitants, avaient reçu dans leurs rangs des tribus. germaines et devaient leur avoir emprunté bien des mots et des coutumes.

Voilà tout ce que nous savons de positif par les anciens, ni plus ni moins; car ceux-ci n'avaient pu pénétrer dans les questions d'origines et vérifier si les Belges et les Celtes étaient sortis du même berceau et étaient arrivés ensemble dans le pays qui s'étend du Rhin à la Garonne et à l'embouchure du Rhône.

Passons maintenant aux conséquences qu'on peut tirer de ces témoignages formels, en les rapprochant d'autres données éparses dans les mêmes écrits, et discutons-en la valeur.

'M. Roget de Belloguet se fonde sur cette similitude pour en conclure l'identité des deux races. Il dit que, excepté au premier livre des Commentaires, il n'est nulle part question dans César de la distinction des deux races ceci n'est pas exact. Le grand capitaine, au deuxième livre de ses Mémoires, note encore comme un fait digne de remarque, et qui contraste par conséquent avec les différences présentées sur d'autres points par les deux races, que les Belges ont la même manière d'attaquer les places que les Celtes (Gallorum eadem atque Belgarum oppugnatio est). Et plus loin on voit les Éduens formellement distingués des Belges comme appartenant à une autre race (Æduorum auctoritatem apud omnes Belgas amplificaturum). César s'enquérait d'ailleurs avec soin des mœurs et du caractère de chacune des nations qu'il avait à combattre (quorum de natura moribusque Cæsar cum quæreret), et dans tout le cours du livre second, il oppose constamment les Belges aux Galli ou Celtes.

Quand César trace un tableau si différent des Gaulois et des Germains, on est sans doute en droit de se demander s'il connaissait suffisamment ces derniers, s'il ne s'est pas arrêté à des dissemblances superficielles, en négligeant des analogies sérieuses d'où pourrait résulter l'étroite parenté des deux races. Et pour cela, interrogeons Tacite, qui nous a laissé un traité si curieux sur la Germanie. Lui aussi distingue nettement les Gaulois des Germains, et il serait disposé à faire de ces derniers des indigènes qui n'ont jamais accueilli dans leurs rangs des tribus étrangères. Cependant la peinture qu'il nous fait des diverses populations de la Germanie accuse des ressemblances entre celles-cf et les Gaulois, ressemblances qui lui ont échappé aussi bien qu'à César, et dont sans doute Strabon s'était aperçu, quand il demandait à la Germanie un supplément d'informations sur la Gaule.

Il résulte des récits de Tacite que César ne connaissait que trèsimparfaitement les Germains; il n'en jugeait sans doute que par les Suèves, les Tenctères et le petit nombre de populations germaniques avec lesquelles il avait été en rapport dans la Belgique. César n'avait été frappé que d'un seul fait, l'infériorité de l'état social des Germains par rapport à celui des Gaulois; et il en avait conclu sans doute une différence de mœurs plus grande qu'elle ne l'était réellement. D'abord. le portrait que Tacite nous fait des Germains dénote une race très-voisine de celle qui habitait la Gaule. « Ils ont, dit-il, une grande stature, » les yeux bleus et farouches (truces et cærulei), les cheveux d'un blond » ardent (rutila coma). » Ce type se rapproche beaucoup de celui qu'Ammien Marcellin, au quinzième livre de son Histoire, donne à nos ancêtres : « Les Gaulois, écrit-il, sont presque tous blancs et de >> haute taille 2; ils ont les cheveux blonds, le regard farouche. » Il y a en outre des traits de mœurs notés par les anciens chez les Gaulois et les Germains qui présentent une curieuse analogie 3.

1 Tertullien, reprochant aux femmes de se teindre avec du safran les cheveux, leur demande si c'est qu'elles ont horte de n'être pas nées Germaines ou Gauloises. (Voy. De cultu fœminarum, II, 6.)

2 César dit que les Gaulois, à cause de leur haute taille, méprisaient les Romains plus petits qu'eux..

3 M. Brandes fait observer qu'Ammien Marcellin nous décrivant à peu près dans les mêmes termes les Alains, il n'y a rien à tirer de ces ressemblances. Cependant il est impossible de ne pas tenir compte de l'analogie physique. Les Alains étaient d'ailleurs moins blonds que les Germains, crinibus mediocriter flavis, comme s'exprime Ammien Marcellin. Ajoutons que Tacite nous dit que les Calédoniens, dont la langue accuse uneorigine celtique, par leur haute taille et leurs cheveux blonds éclatants (rutila), décèlent leur origine germanique.

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