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Que sont, en effet, les tragédies grecques? de véritables leçons de morale.

Quels sont les sentimens, les affections qui dominent dans ces beaux drames si simples, si vrais, si touchans?

Ce sont tous les sentimens naturels, humains, toutes les affections nobles et généreuses.

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C'est la tendresse des pères et mères envers leurs enfans (1);
La piété des enfans envers leurs parens (2);

L'attachement réciproque des frères et sœurs (3);
L'amour conjugal (4).

La sainte et indissoluble amitié (5);

Les droits et les noeuds sacrés de l'hospitalité (6);
La soumission envers les dieux (7);

La religion des tombeaux et de la sépulture (8);
La haine de l'injustice et de l'oppression (9);
L'amour de la liberté (10);

Et celui de la patrie (11);

L'enthousiasme de tout ce qui est juste et honnête (12).

(1) Iphigénie en Aulide, Hercule furieux, Ajax, les Trachiniennes, etc.

(2) OEdipe à Colone, les Phéniciennes, Iphigénie en Aulide, etc. (3) Electre, Oreste, OEdipe à Colone, etc.

(4) Alceste, Andromaque, etc.

(5) Iphigénie en Tauride, Hercule furieux, etc.

(6) Alceste.

(7) Ajax, Ion, etc.

(8) Antigone, les Phéniciennes, les Sept devant Thèbes, OEdipe à Colone, etc.

(9) Prométhée enchaîné, etc.

(10) Hécube, les Suppliantes d'Euripide, etc., et passim.

(11) Les Perses, les Suppliantes d'Eschyle, les Suppliantes d'Euripide, etc., et passim.

(12) Philoctete, les Suppliantes, etc., et passim.

Aussi règne-t-il dans toutes leurs pièces un pathétique qu'on ne trouve dans aucun autre genre de poésie...

En effet, d'où le pathétique peut-il sortir avec plus de force et d'éclat que de la représentation fidèle de tout ce qu'il y a de meilleur, de plus tendre, de plus touchant au fond des entrailles humaines?

On a fait, sous le titre de Gnomologie Homérique (1), un recueil de toutes les sentences morales qui se trouvent dans Homère; on les a rapprochées de celles qu'on a recueillies dans la Bible, et la ressemblance est frappante; tant les grands principes de morale sont partout et toujours les mêmes!

On a fait aussi plusieurs excerpta des poëtes comiques grecs, sous le titre de Sententiæ poetarum comicorum græcorum (2). J'ignore s'il existe un recueil semblable tiré des tragiques; mais ce serait un livre curieux et précieux en même tems; il n'est aucune leçon utile à la conduite des hommes qui ne s'y trouvât; Euripide fournirait une abondance d'excellentes maximes. Ce poëte philosophe a étalé, si l'on peut ainsi s'exprimer, un luxe de préceptes moraux. On a beaucoup reproché à Voltaire d'avoir semé trop de sentences dans ses tragédies : les mêmes personnes qui blâmaient l'auteur de Zaïre de les avoir multipliées, ne disaient rien d'Euripide, qui en a dix fois plus; mais on ne pardonne guère à un contemporain sa grande supériorité; et Voltaire, à cet égard, était bien coupable.

Les tragédies grecques offrent peu d'évenemens politiques, de conspirations pour renverser un trône, pour faire périr un tyran (ce qui est très-fréquent dans nos tragédies modernes Cinna, Héraclius, Bajazet, Guillaume-Tell, etc.); les rois y paraissent plutôt comme pères, comme époux, comme amis, que

(1) Homeri Gnomologia, etc., per Jacobum Duportum. In- 4°. Cantabrigiæ, 1660.

(2) In-12. Basiliæ, 1560. Per Jacobum Hertelium curiensem. — Autre recueil petit in-12. Parisiis, 1553, apud Guillelmum Morelium.

comme souverains. OEdipe, Agamemnon, Admète, Philoctete sont de grands personnages; mais c'est à leurs infortunes personnelles que le poëte nous intéresse: il nous les montre comme hommes, et éprouvant des infortunes et des douleurs qui tiennent moins à leur condition élevée qu'à la nature humaine, et de là naît un intérêt plus touchant et plus général (1).

S'il n'y a pas de politique dans les tragédies grecques, il ne s'y trouve guère plus d'amour. Il n'y en a que trois où cette passion joue un rôle important, et trois autres où elle se montre à peine (2); et cet amour, qui n'est qu'un désir physique, ou une jalousie d'instinct, ne ressemble guère à l'amour délicat et raffiné des tragédies modernes ; il n'est question, chez les anciens, ni des beaux yeux de la princesse, ni de leur pouvoir enchanteur, ni de beautés trop cruelles, ni d'amours éternelles. Cette passion est chez eux dépourvue de tous les accessoires qui en font pour nous le plus grand charme; cela est plus naturel, si l'on veut, mais ce naturel nous paraîtrait d'une nudité et d'une grossièreté révoltantes.

On voit déjà combien le système de la tragédie grecque ressemble peu au système de la tragédie française ; plus nous avancerons dans la comparaison, plus on trouvera de différences frappantes.

L'absence seule des chœurs (3), suffisait pour forcer Corneille à créer une tragédie d'une forme nouvelle.

(1) On ne trouve dans le théâtre grec rien de semblable aux entretiens de Sertorius et de Pompée, d'Anguste avec Cinna et Maxime, d'Agrippine et de Néron, de Mithridate développant à ses enfans ses grands projets militaires et politiques, de Mahomet avec Zopyre, etc... Il y a pourtant dans les Suppliantes d'Euripide (v. 403 à 460) une discussion sur la prééminence du régime monarchique ou du gouvernement républicain. Il est curieux de la comparer à celle de Corneille, dans Cinna.

(2) Médée, Hippolyte, les Trachiniennes, Agamemnon, Antigone, Hélène. (3) Il faut toujours se souvenir que nos théâtres n'ont été et ne sont

Le chœur tenait une place considérable dans les tragédies anciennes; en le supprimant, il fallait le remplacer, si l'on voulait donner aux pièces une juste étendue; de là des intrigues plus fortes, des incidens plus variés, des personnages plus nombreux, des intérêts plus divers, des alternatives plus fréquentes d'espérance et de crainte.

Le chœur prenait part aux passions des personnages, il les plaignait, les blâmait, les conseillait, apaisait leur colère, applaudissait à leur clémence, invoquait les dieux, et leur demandait que la fortune vînt favoriser la vertu malheureuse, et qu'elle abandonnât le vice orgueilleux.

Mais ce chœur aurait-il pu écouter et suivre des discussions politiques, des confidences d'intérêts compliqués, des projets vastes et difficiles, s'intéresser à des entretiens diplomatiques dans lesquels les personnages, sans passion apparente, cherchent à se convaincre, ou même à se tromper réciproquement?

Ajoutez que la tragédie grecque était presque toute chantée; que la musique est le langage des passions; que notre tragédie est déclamée et parlée, et que par conséquent elle est souvent moins passionnée que celle des anciens.

ANDRIEUX, de l'Institut.

(La suite au cahier prochain.)

que des entreprises particulières; que les comédiens, directeurs ou associés, sont obligés de calculer et de restreindre les dépenses en raison des bénéfices probables; que Corneille travaillait pour des comédiens qui n'étaient pas riches et auxquels il venait de Rouen vendre à bon marché ses chefs-d'œuvre; qu'il ne fallait pas songer (si ce n'était dans les pièces à machines et dans les fêtes de la cour) à employer des chœurs, une musique, des décorations pompeuses et de riches costumes; qu'enfin, on jouait les rôles de héros grecs et romains en habits de ville, en habits français.

BEAUX-ARTS.

ESSAI SUR L'HISTOIRE DE LA Peinture, en ItalIE, depuis les tems les plus anciens jusqu'à nos jours, par M. le comte Grégoire ORLOFF, sénateur de l'empire de Russie (1).

IL semble, depuis quelques tems, qu'on s'attache à ramener souvent l'attention sur l'histoire et l'état des beaux-arts en Italie. On compte plusieurs ouvrages du genre de celui qui va nous occuper dans cet article, et qui ont été annoncés avec éloge dans les journaux les plus répandus. On cite particulièrement les deux premiers volumes de l'Histoire de la peinture, en Italie, par M. B.-A. A. (2), qui doivent être suivis de trois autres, l'Histoire de la peinture, en Italie, de l'abbé Lanzi, traduite et abrégée par M. Francillon (3); et pendant qu'on attend une traduction fidèle et complète de l'ouvrage classique de Lanzi, plusieurs fois annoncée, M. Orloff, déjà connu par une Histoire de la musique (voy. ci-dessus, Rev. Enc., t. xvii, page 84), vient nous entretenir de la peinture. Les Italiens, ceux du moins qui aiment la gloire de leur pays, devraient savoir gré à ces amateurs étrangers qui, après l'avoir visité, cherchent à lui rendre hommage, en appréciant les chefs-d'œuvre qu'il a produits. Malheureusement, on trouve trop souvent de ces esprits bizarres, disposés à bien accueillir les étrangers qui

(1) Paris, 1823. 2 vol. in-8°. Galerie de Bossange père, rue de Richelieu, no 60. Prix, 9 fr.

(2) Paris, 1817. (3) Paris, 1823.

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