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année-là, jeta en Allemagne une foule de fugitifs de tout genre; un plus grand nombre encore arriva en 1790. Beaucoup d'entre eux s'établirent ou à Manheim, ou dans les environs. On s'aperçut bientôt au spectacle du caractère vif des Français. La promptitude avec laquelle ils entrent dans une situation, l'intérêt avec lequel ils s'en emparent, et la saisissent bien plus vivement que ne le font les Allemands, se manifesta de la manière la plus frappante. Bientôt leur enthousiasme se communiqua involontairement au public, facilita tous les efforts des artistes, développa plus promptement dans chaque commençant le germe du talent, donna à beaucoup de représentations tant de vivacité et de chaleur, qué les comédiens atteignirent à leur insu un degré de perfection auquel ils ne seraient jamais parvenus sans ces encouragemens du public.

Aux fêtes de Pâques de 1790, on me fit, par ordre du roi de Prusse, la proposition d'entreprendre la direction du théâtre national de Berlin. Les conditions étaient honorables et brillantes; j'en fus d'autant plus

agréablement surpris que je n'avais fait aucune démarche à ce sujet.

J'allais partir pour Berlin, afin de prendre des renseignemens plus positifs, quand j'appris qu'une dame avait remis un autre projet, qui rendait nulle la proposition qu'on m'avait faite. Au lieu d'aller à Berlin je m'embarquai sur le Rhin pour me rendre à Dusseldorf; je fis une partie de ce voyage dans la société du célèbre Forster. Dans son ouvrage qui a pour titre Ansichlen, etc., son chapitre sur la cathédrale de Cologne prouve que je ne lui étais pas indifférent. C'est, je crois, un sentiment de vanité bien permis que de citer un aussi honorable témoignage.

A l'occasion des cérémonies auxquelles donna lieu le couronnement de l'empereur Léopold, je composai Frédéric d'Autriche pour le théâtre de Mayence, qui donna pendant ce temps des représentations à Francfort. Je jouai quelques rôles sur ce théâtre.

Avant mon départ de Manheim, M. de Dalberg apprit, par un cavalier de Vienne, qui vint lui faire une visite, qu'on avait de nouveau l'idée de m'engager au théâtre im

périal. Je n'en savais rien, et j'en recevais par M. de Dalberg lui-même la première nouvelle. Nos contrats avec Manheim finissaient l'année suivante. Mon voyage à Francfort pouvait m'offrir l'occasion de conclure un engagement avantageux pour Vienne. Cette époque était donc également importante pour les deux parties. M. le baron de Dalberg eut la bonté de me laisser voir qu'il avait la crainte de me perdre, et de me répéter ce que je savais déjà que l'électrice avait dit hautement : Je ne crois pas qu'Iffland parte tant que je vivrai; il m'en a donné sa parole, et c'est un honnéte homme. Ces deux circonstances me touchèrent vivement; je pouvais croire que M. de Dalberg, comme homme, faisait quelque cas de moi. Cette confiance me fut toujours du plus grand prix. J'ai beaucoup fait, beaucoup sacrifié pour qu'il ne fût pas trompé dans son opinion; d'un autre côté, j'entendais les paroles de la vieille et respectable princesse: Jamais, du moins tant que je vivrai! et je me rappelais aussi vivement la promesse que je lui avais faite. Elle avait conçu, sans contredit, depuis le 20 novembre 1785, une

autre opinion des artistes allemands. Elle fréquentait le théâtre, s'intéressait vraiment à ses progrès, et nous témoigna plusieurs fois sa bienveillance avec une bonté toute maternelle. Tous ces motifs, les liens de l'amitié que je devais rompre, me faisaient regarder mon éloignement de Manheim comme absolument impossible, quoique la raison me dit qu'il me serait avantageux d'accepter les propositions de Vienne. Je répondis sur-lechamp à M. de Dalberg, avec franchise et attendrissement, que je ne pensais pas du tout à quitter Manheim; je lui exposai même les raisons qui me portaient à agir ainsi. Comme il paraissait douter encore de ma véracité, je lui donnai ma parole d'honneur de ne rien conclure à Francfort sans qu'il en eût connaissance, dans le cas où il croirait ne pas pouvoir s'en rapporter uniquement à la promesse que je lui faisais de ne pas prendre d'engagement. J'avoue qu'après avoir toujours tenu ponctuellement les promesses que je lui avais faites, qu'après avoir montré tant de franchise en lui faisant celle-ci, ses doutes réitérés me frappèrent, me fàchèrent même,

et me semblèrent inconcevables. Il est juste, ajoutai-je alors, qu'après l'explication sincère que je viens de donner, et à laquelle, si le théâtre prend quelque parti avantageux pour notre avenir, je crois pouvoir associer Beck et Beil, quels que soient leurs projets; il est juste, dis-je, que si, après treize années de service, nous renonçons à tous les avantages qui nous sont proposés et qui ne se représenteront plus à l'avenir, la cour fasse pour nous ce qu'elle a toujours eu coutume de faire sans difficulté pour des étrangers, c'est-à-dire qu'elle nous accorde une pension de retraite dès que nous serons dans l'impuissance de prolonger nos services, ou dans la supposition que le théâtre de Manheim viendrait à être supprimé. J'attends avec confiance cette faveur de la justice et de la bonté du prince. M. de Dalberg me promit son intercession, tint sa parole, et atteignit bientôt après le but de ses nobles efforts. Pendant qu'il assistait au couronnement à Francfort, il me fit voir les brevets de pensions accordées à Beil, à Beck et à moi.

Enfin, mon sort était fixé pour le reste de

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