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du Théâtre allemand, je me souviens que je la goûtai beaucoup. Familier, presque dès mon enfance, avec tous nos chefs-d'œuvre, j'étais bien aise de voir une autre route suivie et parcourue souvent avec bonheur, un autre système dramatique produisant parfois de grands effets. Je me souviens que Nathan le Sage, Emilie Galotti, Clavijo, Otto de Wiltesbask, et les Voleurs, une des premières pièces de Schiller, me parurent renfermer des beautés d'un ordre supérieur; que la comédie intitulée : Pas plus de six plats, celle de la Nouvelle Emma, dont deux de nos plus aimables vaudevillistes viennent de faire le charmant opéra de la Neige, me parurent offrir des scènes pleines de vérité, d'intérêt et même de gaîté. Je suis loin d'avoir perdu toute mon estime pour le théâtre allemand; je conviens même

que, depuis cette époque, Schiller a produit des ouvrages empreints d'un véritable génie. Mais pourquoi trouvai-je aujourd'hui que les Allemands ne méritent pas les éloges exagérés qu'ils se donnent et que leur donnent leurs enthousiastes partisans? Ne serait-ce pas parce que, depuis quelques années, les Allemands et leurs partisans cherchent à déprimer la littérature française, croyant par-là donner plus d'éclat à la littérature allemande? Oui, cette circonstance peut influer sur mon jugement; mais je le crois déterminé surtout par l'infériorité du système allemand, par l'infériorité de l'exécution de ce système. En pensant ainsi, je ne crois pas être égaré par mon culte religieux pour les grands génies de ma nation; car, en descendant en moi-même, je trouve que je n'ai rien perdu de mon admiration

pour les productions de quelques autres pays. Je goûte encore aujourd'hui avec le même plaisir la spirituelle comédie de Sheridan, les compositions sévères d'Alfieri, surtout le vaste génie de Shakespeare, sa profonde connaissance du coeur humain, qui tantôt me frappe d'un subit enthousiasme, et que tantôt je me plais à discerner à travers ses nombreux défauts. Eh bien! sans cesser d'apprécier les grands traits de Schiller, la belle scène de l'inquisiteur aveugle dans Don Carlos, les scènes originales de Fiesque et Doria, les premiers actes de Jeanne d'Arc, presque tout Guillaume Tell, etc. je ne peux vouer aux tragiques allemands la même admiration qu'à leur maître Shakespeare; car, ils auront beau dire, ils ne sont pas nos maîtres, et ils ne sont que ses élèves. Je vois dans leurs défauts, qui sont les siens, plus d'étude

et moins d'entraînement. Ce qui dans Shakespeare est l'effet de la verve et du génie, est souvent chez les Allemands le fruit de la réflexion et d'un travail mal dirigé. Ils veulent être par calcul ce que Shakespeare, est, pour ainsi dire, malgré lui. Laissons de côté toutes les règles et toutes les violations des règles, toutes les violations des unités, même de l'unité d'action; ne considérons que l'exécution. Les Allemands ont habituellement dans la conception, dans les pensées, dans les sentimens, dans le dialogue, tantôt un désir d'originalité qui les pousse vers la bizarrerie, une exaltation qui les fait sortir du naturel et de la vérité; tantôt, au contraire, une affectation de naturel et de vérité qui les fait descendre jusqu'à la minutie et la trivialité. Ils ont une prétention perpétuelle à la sensibilité, qui les fait tomber

souvent dans le précieux, et, plus souvent encore, il faut bien trancher le mot, dans la niaiserie. Il résulte de leurs divagations philosophiques et sentimentales, que, dans beaucoup de leurs scènes, on ne voit plus, on n'entend plus que l'auteur; le personnage a disparu. Loin de moi la pensée que nous ne devions pas chercher à nous frayer de nouvelles routes; mais, en nous gardant de suivre servilement la trace de nos maîtres, restons fidèles à leurs préceptes; ne perdons pas de vue leur exemple. Racine a fait autrement que Corneille, et Voltaire a fait autrement que Racine et Corneille. N'estce pas aussi l'exemple qu'ont suivi les auteurs qui sont venus après ces grands poètes? car pourquoi mépriserionsnous notre tragédie depuis Voltaire? Les beaux ouvrages de Ducis, les pièces

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