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de Lemière, qu'il serait injuste d'oublier, Coriolan et Philoctète, Fénélon et Tibère, Marius et les Vénitiens, Agamemnon, Pinto, la Démence de Charles VI, les Templiers et les États de Blois, les Vêpres siciliennes et le Paria, la Marie Stuart de M. Le Brun, Louis IX, les Machabées, Sylla, Saül, Régulus, ne sont point des pièces jetées par leurs auteurs dans le moule de leurs devanciers. Quoi qu'il arrive au surplus, n'en déplaise aux enthousiastes de la Melpomène germanique, Rodogune et Cinna, le beau rôle de Phèdre, et les vers magnifiques d'Athalie, Zaire et Mérope, et les autres chefs-d'oeuvre de nos trois grands poètes, maintiendront toujours notre tragédie.... j'allais dire dans une supériorité désespérante pour les autres nations, je me contente de

dire dans une égalité au-dessus de laquelle nul ne pourra s'élever; car, si parfois je mets Shakespeare à côté de Corneille, jamais il ne m'est arrivé de le mettre au-dessus.

Que sera-ce si, après avoir parlé de la tragédie des Allemands, nous arrivons à leur comédie! Ici, je les trouve inférieurs, je ne dis pas aux chefs-d'oeuvre de Molière, je ne dis pas aux pièces à si grande distance de Molière, mais encore aux chefs-d'oeuvre, de Regnard, de Le Sage, de Piron, mais même à d'autres pièces que nous nous contentons de regarder comme agréables. Ils n'ont de comédies de caractère et de moeurs que les nombreuses imitations qu'ils font de nos productions. Leurs comédies originales sont des drames, dont quelques uns sont touchans; mais, dans cette partie, ne sommes-nous

pas encore des modèles pour eux? Le Père de famille, le Philosophe sans le savoir, Eugénie, et quelques drames de Mercier, ne valent-ils pas Misanthropie et Repentir, et même les Deux Frères? C'est dans leurs drames surtout que se fait remarquer cette perpétuelle et fatigante prétention à la sensibilité. Ils ont aussi quelques petites pièces; là, le comique, qui chez nous est souvent outré, mais toujours franc et vrai, même dans sa charge, est chez eux outré, sans verve, j'oserai dire sans esprit et sans goût; et le goût se fait remarquer chez nous jusque dans la farce. Je conçois que, lorsqu'ils mettent en scène notre Malade imaginaire et notre Pourceaugnac, leurs spectateurs éclatent de rire; mais il faut qu'ils soient bien bonnes gens, bien animés d'un esprit

patriotique, pour rire de leur Homme à la minute, de leur Citoyen Général, etc. Qu'ils sont loin encore des comédies satiriques et spirituelles des auteurs anglais, des comédies si naturelles de Goldoni, des charmantes pièces de l'Espagnol Moratino! A quelle distance ne sont-ils pas de la franchise, de la verve, du délire de naturel et de gaîté de Pourceaugnac et du Médecin malgré lui! Cependant, un de leurs critiques, un de leurs oracles en littérature, non content de bien exalter le théâtre de sa nation, s'est avisé de dénigrer notre Molière. Il a osé écrire qu'on sentait dans les pièces de Molière la bassesse de sa condition. Moi, je sens dans la phrase du critique, l'envie, l'orgueil et le sentiment de son impuissance; je reconnais, je sens perpétuellement dans Molière l'homme

d'esprit, l'homme de goût, l'homme de génie, le philosophe, le moraliste, l'homme d'honneur, l'homme de bien. Oui, si Corneille, Racine et Voltaire sont égalés, non surpassés par les tragiques anciens ou modernes, par Sophocle, par Euripide, quelquefois par Shakespeare, tout en appréciant, en admirant Plaute, Térence, Aristophane et les fragmens de Ménandre, je dirai que, pour l'importance du sujet, la force de la conception, la peinture des moeurs et des caractères, pour la justesse, la vérité, l'éclat du dialogue, même pour l'intérêt de l'action, personne, dans aucune littérature ancienne ou moderne, n'a égalé l'auteur du Misanthrope, du Tartufe, des Femmes savantes, de l'Avare, du Bourgeois Gentilhomme, du Malade imaginaire, de tant d'autres

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