Imágenes de páginas
PDF
EPUB

TITRE I

L'ORGANISATION COMMERCIALE.

CHAPITRE PREMIER

Évolution économique de l'industrie du tressage
de la paille.

((

L'origine de cette industrie doit remonter assez haut, liton dans l'Economie rurale de la Belgique (1), mais elle n'a pris quelque développement que vers la fin du siècle dernier. >>>

Ces renseignements paraissent bien vagues, mais il n'est guère possible de préciser davantage. On a été jusqu'à prétendre que le tressage de la paille avait été pratiqué dans la région du Geer dès le XIVe siècle; mais comment contrôler de telles assertions? D'après une courte notice consacrée à la matière par Mlle Defrècheux, qui s'est renseignée sur place en 1884, «< il est prouvé qu'en 1744 l'industrie de la paille existait (2)

Quoi qu'il en soit, ce n'est guère qu'à partir de la nomination de M. Ramoux en qualité de curé à Glons, en 1784, que l'industrie du tressage du Geer commença à faire figure dans le monde économique. Ramoux nous apparaît comme un philanthrope imbu des idées éclairées de son époque,

(1) P. 175, note 1.

(2) Voir le Journal Franklin, année 1884, no 30 (27 juillet), article reproduit d'après la Tribune liégeoise et signé M. D. (M1le M. Defrècheux, la fille du célèbre poète wallon).

soucieux de lutter pour l'amélioration des conditions d'existence, matérielles non moins que morales, du peuple. C'est ainsi que nous le voyons préoccupé d'assainir les habitations, de combattre la mendicité, de propager l'usage de la vaccine et même de prévenir les procès.

Tout naturellement, son attention fut attirée aussi sur la technique de l'industrie de la paille, technique encore très rudimentaire au moment de son arrivée dans le pays.

<< Il ouvrit une nouvelle source de travail et de prospérité, écrit son biographe (1), en montrant aux habitants de Glons et des villages voisins les avantages qu'ils pourraient retirer de la fabrication plus soignée des chapeaux de paille (2).

Nous lisons ailleurs qu'il se rendait dans chaque famille pauvre et enseignait lui-même à préparer et à tresser la paille. Dans cette tâche, il fut secondé par Delvenne, instituteur à Glons.

Les progrès réalisés à ce moment semblent avoir porté surtout sur les procédés employés pour fendre et cylindrer la paille. Jusque-là, ces opérations laissaient beaucoup à désirer, le chaume n'était fendu que grossièrement à l'aide d'un couteau et assoupli avec un maillet en bois. Le fait m'a élé confirmé par un membre d'une des anciennes familles patronales, à qui ce souvenir avait été transmis traditionnellement.

Le développement que cette intelligente et inlassable initiative imprima à une industrie jusque-là tâtonnante et grossière fut très rapide.

On en trouve les preuves dans le Mémoire statistique du département de l'Ourthe, publié par Thomassin sous le premier Empire. On y lit en effet, sous la rubrique : fabrication

(1) La cure de Glons était alors fort riche et on l'avait donnée à Ramoux, qui était un homme très distingué, il avait alors 34 ans, comme une marque spéciale d'estime pour sa valeur personnelle.

(2) Notice spéciale par M. de Chênedollé, Liége, Desoer, 1826, in-8°. Elle a été reproduite dans le dictionnaire de Becdelièvre.

des chapeaux de paille, la notice suivante, qui, sans rappeler son nom toutefois, témoigne du succès très honorable des efforts du curé Ramoux :

... « La fabrication des chapeaux de paille qui occupe pendant le temps de l'hiver et du désœuvrement plus de deux cents familles du canton et des environs... est assez florissante. On y fabrique des nattes et autres ouvrages en paille et en jonc, des chapeaux communs pour l'usage des paysannes de la Belgique et des chapeaux plus fins destinés aux marchands de modes de Liége, Bruxelles, Paris, Amsterdam, Copenhague, Stockholm et Pétersbourg.

«...Les principaux ateliers appartiennent à MM. Hubert Pirotte et Pierre Donnay à Glons, Bertrand et Defresne de Houtain, où sont employés 310 ouvriers, indépendamment de ceux qui, dans leurs domiciles, sont occupés à tresser la paille. Le prix moyen de la journée de ces ouvriers est de 1 fr. 50 en été et de 75 centimes en hiver. On fabrique des chapeaux que l'on livre au commerce à raison de 60 centimes, 1 franc, et 2 francs, et ceux de première qualité à 4 et 5 francs.

Le produit de cette fabrication s'est élevé, en 1810, à la somme de 422,000 francs. Le salaire des ouvriers de toutes espèces a monté à celle de 252,500 francs. (1) »

Ainsi, malgré la modicité du prix de vente des produits achevés, nous voyons les salaires atteindre un niveau qui, étant donné le coût de la vie à cette époque, le taux moyen du prix du travail et, enfin, l'isolement du district du Geer, peut être envisagé comme assez satisfaisant. Et. circonstance non moins favorable, le chiffre d'affaires se rapprochait d'un demi-million et cette recette brute se distribuait dans la pro

(1) Mémoire statistique du département de l'Ourthe, par Louis François Thomassin, ancien professeur de mathématiques au grand collège de Liége et chef de division à la préfecture (commencé dans le courant de l'année 1806), réimprimé à Liège, Grandmont-Donders, imprimeur de la Société des bibliophiles liégeois, 1879.

portion de 45 p. c. aux marchands et de 55 p. c. aux travailleurs à domicile et en atelier.

L'impulsion donnée, le progrès continua.

Une note, malheureusement trop succincte, du Dictionnaire géographique de la province de Liége, de Delvaux (deuxième volume paru en 1842), nous apprend que « ce commerce a pris de grands développements depuis un demi-siècle, qu'il s'étend aujourd'hui non seulement dans toute la Belgique, mais encore en Allemagne, en France, etc. (1).

[ocr errors]

Dans la suite, la prospérité, loin de se démentir, s'accentue. C'est ainsi qu'une nouvelle maison s'établit à Wonck, en 1857. M. H. E. Olyff de Roclenge, l'un des exportateurs de tresses, écrit, en avril 1865, que si « l'origine du tressage de la paille se perd dans la nuit des temps », elle « a reçu de grands perfectionnements depuis un demi-siècle et est devenue de nos jours une branche de commerce des plus importantes. (2) »

« Ce n'est guère qu'en 1852, poursuit-il, que nos exportations aux Etats-Unis ont pris quelque importance, grâce à l'intelligente initiative de feu M. Collée, qui risqua une partie de sa fortune en expédiant à New-York pour plus de 100,000 francs de tresses en consignation. Ce premier essai fut couronné d'un plein succès et depuis ce temps cette maison est restée continuellement en relations d'affaires avec les Etats-Unis. Ce n'est que depuis la malencontreuse guerre civile qui déchire ce pays que les affaires ont été momentanément interrompues.

«Dans les pays consommateurs du Continent, je citerai en première ligne la Hollande, où il est exporté chaque année des quantités énormes de chapeaux et de tresses de paille. Il

(1) Verbo GLONS.

Paru à Liége chez Félix Oudart.

(2) Note reproduite en appendice dans une brochure intitulée : l'Industrie de la vallée du Geer devant les Chambres, par J. O. (Liége, Pierre, 1896).

existe dans ce pays plus de cent maisons de commerce, foudées et dirigées par des Belges et dont quelques-unes sont des plus importantes. La France et l'Allemagne achètent aussi beaucoup de nos articles et un grand nombre de fabricants belges y sont établis. L'Angleterre, la Suisse, les villes hanséatiques viennent aussi s'approvisionner chez nous.

Presque tous les négociants et artisans qui se trouvent à l'étranger pendant la belle saison, rentrent dans leurs foyers au commencement de l'automne, rapportant de beaux bénéfices et de grosses épargnes.

A une époque plus rapprochée de nous, en 1875, Emile de Laveleye atteste, à son tour, le remarquable développement de la production et du commerce des tresses de paille dans la vallée du Geer.

Il écrit notamment : « On peut porter le chiffre des affaires auxquelles donne lieu le commerce de la paille tressée dans ce district à 4 ou 5 millions par année... » Il dit un peu plus loin qu'« une bonne ouvrière peut gagner jusqu'à 2 francs par jour et l'homme qui coud et apprête les chapeaux à domicile au delà de 3 francs (1)

[ocr errors]

Veut-on un témoignage encore plus récent de ce brillant état de choses aujourd'hui disparu? Nous le trouvons dans le petit article bien documenté de Mlle Defrècheux, publié – rappelons-le- en 1884:

--

A ce moment « il y a 40,000 tresseurs et au delà de 4,000 couseurs. Les produits de leur travail s'écoulent en Belgique, Hollande, France, Allemagne et même dans les autres parties du monde. »>

Le standard of life reste excellent : « l'aisance qui règne dans chaque famille par suite du nombre des gagnants, donne aux mœurs de ces villageois une espèce de distinction et d'élégance qui les caractérisent et établissent une différence

(1) Ouvr. cit., pp. 475 note 1, 474, 475.

« AnteriorContinuar »