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CHAPITRE II.

Conseils de Prud'hommes.

Les cordonniers ne jouissent pas encore partout des bienfaits de cette juridiction spéciale. Soit que le tribunal dont nous parlons n'existe pas dans la commune qu'ils habitent, soit qu'il leur faille gagner une autre ville pour se faire rendre justice et que les moyens de communication leur semblent trop onéreux ou trop difficiles, soit enfin que la coutume, cette maîtresse si puissante de toutes les actions du peuple, ne les autorise point à prendre de pareils recours, le fait est qu'à Thourout, à Sottegem, à Lierre, ces ouvriers semblent ignorer complètement les avantages que la loi leur procure.

Les cordonniers de Poperinghe ressortissent au Conseil de Prud'hommes siégeant à Ypres ; ceux de Thielt viennent, par l'entremise de leur Gilde de Saint-Crépin, de demander deux délégués audit conseil au lieu d'un. L'administration communale a émis un avis favorable. Jusqu'ici le seul délégué cordonnier était un patron qui, bien qu'inscrit comme employeur sur les listes électorales, siégeait comme délégué ouvrier.

A Iseghem, la situation est normale: un patron et un ouvrier cordonniers sont régulièrement délégués auprès du Conseil de prud'hommes siégeant à Roulers, chef-lieu d'arrondissement. Entre autres faits mémorables soumis à cette juridiction, on peut citer le cas d'un ouvrier qui, après avoir confectionné plusieurs paires de souliers modèles, à raison de 1 fr. 23 le paire, refusa d'achever une commande de cent chaussures du même genre faite par son patron, prétextant que, lorsqu'il avait rapporté les vingt-cinq premières paires, celui-ci ne lui avait offert qu'un franc par paire de chaus

sures. L'employeur avait fait agréer son modèle par une grande maison de commerce et en avait obtenu la clientèle. Il prétendait que les modèles avaient toujours droit à un sursalaire, mais que les commandes suivantes devaient être exécutées au prix d'un franc; l'ouvrier ayant accepté l'ouvrage était tenu de l'achever. L'affaire revint, séance sur séance, el traîna plusieurs mois sans conciliation possible, si bien que le patron perdit cette commande importante pour cause de retard dans la livraison de la marchandise. L'ouvrier fut enfin condamné à payer 100 francs de dommages et intérêts à l'employeur. Mais comme il était insolvable, il ne fut pas inquiété davantage.

CHAPITRE III.

Loi du 13 décembre 1889 concernant le travail
des femmes et des enfants.

A. A l'atelier du patron, les piqueuses pourraient être comprises dans la catégorie des personnes protégées par la loi; mais, depuis quelques années, le plus grand nombre de ces ouvrières travaille à domicile ; généralement l'employeur n'en garde pas plus de deux ou trois chez lui; souvent, il se contente d'une seule ; ces piqueuses sont toujours âgées de plus de 12 ans car le patron emploie de préférence à ces sortes d'ouvrages des personnes expérimentées.

B. A l'atelier des maîtresses piqueuses, il semble que l'inspection ne puisse se faire habituellement. En effet, les enfants y travaillent presque toujours sous l'autorité des parents ou de leurs tuteurs. C'est, bien souvent, la mère ou une sœur aînée qui enseigne le métier aux plus jeunes membres de la famille. Parfois deux ou trois voisines se réunissent pour éviter les frais de lumière et de chauffage, peut-être aussi pour jouir des agréments de la société et du commérage. On ne peut dire que ce soient là de véritables ateliers: chacune des ouvrières travaille pour son compte.

Mais peut-être y aurait-il lieu d'excepter de cette appréciation certaines installations plus considérables. L'apprentissage du métier devient parfois une véritable industrie ; telle ou telle maitresse piqueuse de bottines réunit autour d'elle jusque cinq et six apprenties et parfois plus encore. Le maximum de douze heures de travail, stipulé par l'article 4 en faveur des enfants âgés de moins de seize ans et des femmes ou filles

âgées de plus de seize ans et de moins de vingt et un, est bien souvent atteint, si pas dépassé.

Rarement ces enfants ont moins de 11 ans 1/2 ou 12 ans; on les accepte, généralement, peu après la première communion; mais, alors même que l'on n'enfreindrait point les limites imposées par la loi, il semble que l'on doive regretter cette prolongation démesurée du travail imposé à la jeunesse.

CHAPITRE IV.

Loi du 16 août 1887, réglant le payement des salaires.

L'article 2, no 3, permet au patron de fournir, au prix de revient, les objets nécessaires à l'ouvrier, dans l'exercice de son métier; tels sont, par exemple les clous, le fil, la cire. Mais si l'employeur n'use guère de la faculté que la loi lui accorde, il préfère parfois prélever des bénéfices sur la vente d'autres fournitures, telles que les étoffes ou les épices.

C'était souvent le cas avant la loi de 1887. Aussi l'action du patron, de sa femme, de ses enfants, tendant à toucher le payement de ces marchandises vendues aux ouvriers, fut déclarée non recevable en vertu des articles 8 et 9.

Les infractions continuèrent à être nombreuses durant les premières années qui suivirent la promulgation de la loi ; c'est ainsi qu'à Iseghem, en 1892, dans le seul métier de la cordonnerie, dix-huit employeurs furent poursuivis et condamnés conditionnellement à 26 francs d'amende en 1re instance et à 56 francs en appel. L'inspection avait constaté certaines retenues de salaire pour vente à crédit ou argent prêté ; elle avait signalé aussi des payements de salaire effectués au magasin, des rémunérations en marchandises, etc. Notons encore que plusieurs de ces condamnations avaient trait à l'abstention de l'affichage des lois et règlements, à l'atelier du patron.

Ces abus ne se sont pourtant jamais généralisés à Iseghem; le plus grand nombre des patrons entretient d'excellents rapports avec les ouvriers; actuellement on peut dire que les abus signalés ci-dessus ne se renouvellent plus guère. Mais, comme nous le disions, il y quelques années, dans notre

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