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TEMPLE DU MONT DE SENE

A SANTENAY

(COTE-D'OR)

Le Mont de Sene est un tertre en partie naturel, en partie artificiel, de 35 mètres de hauteur sur 95 de long et 13 de large au sommet, élevé en promontoire au-dessus du plateau rocheux et escarpé de trois côtés qui domine le confluent de la Cosane et de la Dheune, à 400 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le mamelon se détache au vif sur l'horizon.

Les débris de silex taillés, recueillis à sa base, sont contemporains de ceux de l'oppidum de Chassey qui domine l'autre rive de la Dheune; le nombre considérable de tertres funéraires du plateau de Sene et leur rareté sur celui de Chassey permettraient de croire que les populations armées de haches. de pierre, qui ont habité ce dernier, traversaient la vallée pour aller enterrer leurs morts. On rencontre en effet au plateau de Sene une quantité de fosses rectangulaires, cloisonnées de pierres debout, sous des amoncellements de terre artificiels. Ces tombeaux, fouillés en premier lieu par feu M. Ch. de Longuy et depuis par son fils, forment une longue succession qui commence à la période des instruments de silex et finit à l'époque gallo-romaine.

Ils

correspondaient ainsi aux phases similaires de l'oppidum

de Chassey.

Indépendamment de sa consécration funéraire, le Mont de Sene en avait une seconde, abstraction faite de la découverte du temple dont il sera parlé tout à l'heure. Certains usages, quelques appellations populaires de lieux y rappellent le paganisme gaulois. Il n'était guère possible, en effet, que l'entassement de rochers à pic qui domine le vallon de Santenay-leHaut n'eût frappé l'esprit des premiers habitants, et qu'ils n'eussent peuplé de génies le bois rocailleux qui couvre la déclivité et porte encore le nom de Bois de la Fée.

Deux aiguilles séparées du massif rocheux se découpent en haut de la vallée; c'est, d'après la dénomination vulgaire, le Vilain et la Vilaine, noms de deux génies flétris par le mépris des chrétiens. Aujourd'hui encore, dans nos campagnes, le Vilain est synonyme du Démon, et cette interprétation est dans le cas présent confirmée par la légende locale qui rapporte que les deux génies malfaisants ont été enchaînés par la Fée.

Là aussi coule une fontaine sacrée, près de laquelle fut établie une de ces fondations religieuses, constamment dédiées à saint Martin, qu'on trouve près des sources fréquentées par le peuple dans l'antiquité, ou sur l'emplacement des temples païens. Cette chapelle précéda l'église de St-Jean-de-Narrosse rebâtie au treizième siècle à Santenay-le-Haut.

La source, entre autres vertus merveilleuses, possède celle de préserver les enfants de la teigne ou de les en délivrer, et si l'on doit juger du développement de cette maladie d'après le nombre des fontaines ou des rochers qui passaient pour la guérir, elle devait être singulièrement répandue chez nos aïeux.

Afin de garantir leurs enfants, les mères se rendent le vendredi de bon matin au bord de l'eau, avant le lever du soleil, pour y laver le linge du nourrisson dès les premières atteintes du mal et obtenir ainsi sa guérison.

Cette visite matinale rappelle la formalité de l'empirisme gaulois d'après laquelle toutes les pratiques superstitieuses, ainsi que la cueillette des herbes médicinales, devaient pré

céder l'aurore ; les incantations transmises par l'antiquité à la sorcellerie avaient lieu avant l'apparition de la lumière. Ces étranges moyens de combattre la teigne étaient répandus partout dans la Gaule. Sans parler de la célèbre fontaine d'Alise, on lavait chez les Arvernes et les Lémovices la tête des enfants avec l'eau recueillie ou versée dans certaines pierres à cuvettes, dont la plus remarquable est la Pierre aux neuf gradins, dans le département de la Creuse. 2

A la fontaine de Santenay l'eau passe de la source dans un entonnoir ovale en serpentine du pays, dans lequel on trempe les linges pour la cure merveilleuse.

Moins illustre que la fontaine de Sainte-Reine, celle de la Fée de Santenay fut exorcisée comme elle et placée sous le vocable de saint Éloi. On voit dans la muraille au pied de laquelle elle coule une figurine taillée dans une niche en calcaire, dont les enfants ont brisé récemment la tête. Le petit personnage en bas-relief est encore reconnaissable à son sagum et à ses braies pour un génie gallo-romain, qui heureusement a été cité, avant sa mutilation, dans un compte rendu du Congrès archéologique de Dijon : « Au pied de la montagne » (du Mont de Sene), sous le bois de la Fée, à peu de distance » de l'église, dans le mur d'une fontaine, est enchâssée une figure gauloise, travaillée grossièrement en relief. Le person» nage revêtu du sagum présidait sans doute à cette fontaine. » Il a pris le nom d'un saint après l'abolition du culte païen 3. » La consécration de la fontaine à saint Éloi, l'évêque forgeron, ne paraît pas elle-même indifférente, en voyant ce saint prendre la place du Mercure gaulois, inventeur des arts et aussi dieu des forgerons, dont nous publierons plus tard quelques images récemment découvertes.

1. Pline, lib. XXIV, 63.

2. On monte à cette pierre par neuf marches taillées dans un bloc de rocher qui se détache à la pointe d'un mamelon, et sur le haut duquel sont creusées les deux cuvettes.

3. Compte rendu du Congrès de la Société Française; Dijon, XIX session, p. 328; 1852. Notice sur Santenay, par M. Abord.

Le tertre du Mont de Sene domine précisément la gorge où coule la source sacrée. Cassini a écrit ce nom sur la carte de Bourgogne Deuxeunne, en réunissant l'article avec le nom propre, d'après la prononciation villageoise encore usitée. Il est plus connu dans le pays sous la dénomination de montagne des Trois Croix, qu'il doit à un calvaire érigé en 1707 1 à son sommet et relevé en 1823. Les travaux nécessités par cette restauration amenèrent la découverte d'une vingtaine de médailles du bas-empire, de quelques murailles et d'une voûte qui fut détruite; mais ces résultats accidentels, pas plus que la rencontre d'un petit bas-relief en pierre représentant un Mercure ou Hercule gaulois 2», ne provoquèrent aucune exploration sérieuse. Les ruines mises à nu un instant disparurent de nouveau sous le remblai et restèrent oubliées.

Dans le cours de l'hiver 4872, MM. Letorey, de Santenay, ayant fait en manière de passe-temps une fouille au sommet du Mont de Sene, recueillirent presque à la surface du sol, non loin de la croix du milieu, une tablette de pierre calcaire, accostée de queues d'aronde, sur laquelle on lit :

[A]VG SACR

[DEO] MERCVRIO
[CE]NSORINVS

[P]AVLLINI FILIVS
EX VOTO

<< Au dieu Auguste Mercure, Censorinus, fils de Paullinus, ex » voto. » Une fracture a enlevé, à gauche de la pierre, les lettres initiales de chaque ligne; la restitution de la première

1. On écrivait alors Seune. « Le 28 janvier 1707, honorable Pierre Millard, marchand cordouannier, demeurant à la Charrière de Santenay, par codicille ajouté à cette date à son testament du 30 juin 1706, nomme et institue pour exécuteurs testamentaires les fabriciens de l'église St-Jean de Narrosse et les charge d'entretenir les trois croix qu'il a fait planter sur la montagne de Seune.» (Note communiquée par M. l'abbé Sonnois, curé de Santenay, d'après les titres de la Fabrique.)

2. Notice sur Santenay, par M. Abord, citée plus haut.

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