Et que dans votre sein ce serpent élevé PYRRHUS. La Grèce en ma faveur est trop inquiétée : La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur sa vie? Sur eux, sur leurs captifs, ai-je étendu mes droits Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin : 1 Homère avait dit : « Les Atrides seuls entre les Grecs ont-ils le droit d'aimer leurs épouses? » Η μοῦνοι φιλέουσ' ἀλόχους μερόπων ἀνθρώπων It., ch. IX, v. 339. La pensée diffère, mais le mouvement est identique. 2 Sa vie misérable. 5 « Fuit Ilium et ingens Gloria Teucrorum. » Sous tant de morts, sous Troie, fallait l'accabler. Que, malgré la pitié dont je me sens saisir, Non, seigneur. Que les Grecs cherchent quelque autre proie; L'Épire sauvera ce que Troie a sauvé. ORESTE. Seigneur, vous savez trop avec quel artifice Où le seul fils d'Hector devait être conduit. Ce n'est pas les Troyens, c'est Hector qu'on poursuit. PYRRHUS. Non, non. J'y consens avec joie ; 1 Pyrrhus, meurtrier de Priam, se justifie par ces mots : « Tout était juste alors. » Ce passage est imité de Sénèque : « Equidem fatebor (pace dixisse hoc tua Argiva tellus liceat) affligi Phrygas Et ira, et ardens hostis, et victoria Commissa nocti : quidquid indignum aut ferum Cuiquam videri potuit, hoc fecit dolor Tenebræque, per quas ipse se irritat furor, Gladiusque felix, cujus infecti semel Vecors libido est. Quidquid eversæ potest Superesse Troja, maneat. Exactum satis Pœnarum et ultra est. » (Troas, act. II, sc. 11.) « Pour moi, je l'avouerai (terre d'Argos, pardonne à cet aveu), si j'ai voulu l'abaissement et la défaite des Phrygiens, j'en aurais volontiers empêché la ruine et la destruction; mais qui peut maîtriser la colère, l'ardeur du combat et la victoire dans les ombres de la nuit? Tout ce qui se peut concevoir d'indigne et de cruel, l'emportement de la lutte l'a accompli; grâce aux ténèbres où s'exalte la fureur, et par le glaive qui, une fois teint de sang, ne s'arrête plus. Au moins, que ce qui n'a pu survivre de Troie demeure. C'est assez de vengeance, c'en est trop. » 2 Continuent de poursuivre; latinisme. 3 La Grèce. Le reproche est ici moins général qu'il ne le paraît Hector en profita, seigneur; et quelque jour ORESTE. Ainsi la Grèce en vous trouve un enfant rebelle? Et je n'ai donc vaincu que pour dépendre d'elle? ORESTE. Hermione, seigneur, arrêtera vos coups: Ses yeux s'opposeront entre son père et vous. PYRRHUS. Hermione, seigneur, peut m'être toujours chère ; SCÈNE III. PYRRHUS, PHOENIX. PHOENIX. Ainsi vous l'envoyez aux pieds de sa maîtresse! PYRRHUS. On dit qu'il a longtemps brûlé pour la princesse3. PHOENIX. Mais si ce feu, seigneur, vient à se rallumer, PYRRHUS. Ah! qu'ils s'aiment, Phoenix, j'y consens. Qu'elle parte; PYRRHUS. Une autre fois je t'ouvrirai mon âme; Andromaque paraît. il rappelle au fils d'Agamemnon l'injustice qui a fait éclater le courroux d'Achille dont Hector a profité, et renouvelle entre les enfants la querelle des pères. 1 « S'opposer, dit La Harpe, exige impérieusement un régime. » C'est un latinisme que Racine emploie pour éviter le mot se pla- . ceront, qui serait prosaïque. 2 Le nom d'Hélène arrive ici comme une injure, il rattache aux Atrides tous les malheurs de la Grèce et de l'Asie. 3 La princesse, style des précieuses. SCÈNE IV. ANDROMAQUE, PYRRHUS, CÉPHISE, PHOENIX. PYRRHUS. Me cherchiez-vous, madame? Un espoir si charmant me serait-il permis? ANDROMAQUE. Je passais jusqu'aux lieux où l'on garde mon fils. PYRRHUS. Ah! madame! les Grecs, si j'en crois leurs alarmes, Et quelle est cette peur dont leur cœur est frappé, PYRRHUS. Leur haine pour Hector n'est pas encore éteinte : ANDROMAQUE. Digne objet de leur crainte ?? Un enfant malheureux, qui ne sait pas encor Que Pyrrhus est son maître, et qu'il est fils d'Hector! PYRRHUS. Tel qu'il est, tous les Grecs demandent qu'il périsse. ANDROMAQUE. Et vous prononcerez un arrêt si cruel? Est-ce mon intérêt3 qui le rend criminel? Hélas! on ne craint point qu'il venge un jour son père; Il m'aurait tenu lieu d'un père et d'un époux': 1 Ellipse poétique. « Je passais pour aller jusqu'aux lieux, etc. » On lit dans Sénèque : « An has ruinas urbis in cinerem datas Hie excitabit? Hæ manus Trojam erigent? Nullas habet spes Troja, si tales habet. » (Troas, act. III, sc. 111.) 3 Mon intérêt. L'intérêt que je lui porte. 4 On craint qu'il n'essuyat. Cette hardiesse de langage fait frémir les grammairiens. Cependant qu'il n'essuie n'aurait pas rendu la pensée du poëte. L'incertitude et l'éloignement de l'objet de cette crainte appelaient le subjonctif et l'imparfait en dépit du présent on craint. En général, les solécismes des écrivains de génie sont l'application de règles que la grammaire n'atteint pas. J'ajoute qu'en cela les écoliers doivent se contenter d'admirer les maîtres. Andromaque dans Homère dit à Hector : « Hector, tu es pour Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups. PYRRHUS. Madame, mes refus ont prévenu vos larmes. Tous les Grecs m'ont déjà menacé de leurs armes ; Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce? PYRRHUS. Hé quoi! votre courroux n'a-t-il pas eu son cours? Qu'ils m'ont vendu bien cher les pleurs qu'ils ont versés! moi un père, une mère vénérable, un frère et un jeune époux. >> Εκτορ, ἀτὰρ σύ μοι ἐσσὶ πατὴρ καὶ πότνια μήτηρ, Ηδὲ κασίγνητος, σὺ δέ μοι θαλερός παρακοίτης. I., 1. VI, v. 429-30. 1 Il faudrait en prose en coûtât-il, dût-il en coûter, etc. 2 Il faut remarquer ce tour de phrase dont Racine offre de nombreux exemples. Captive, toujours triste, etc., ne se lie pas grammaticalement avec la proposition exprimée dans le vers suivant. C'est un nominatif absolu. 3 Sans mettre son salut au prix de mon amour. |