ACTE CINQUIÈME. SCÈNE I. BRITANNICUS, JUNIE. BRITANNICUS. Oui, madame, Néron , qui l'aurait pu penser! Dans son appartement m'attend pour m'embrasser. Il y fait de sa cour inviter la jeunesse : Il veut que d'un festin la pompe et l'allégresse Confirment à leurs' yeux la foi de nos serments, Et réchauffent l'ardeur de nos embrassements. Il éteint cet amour, source de tant de haine ; Il vous fait de mon sort arbitre souveraine. Pour moi, quoique banni du rang de mes aieux, Quoique de leur dépouille il se pare à mes yeux ; Depuis qu'à mon amour cessant d'être contraire, Il semble me céder la gloire de vous plaire, Mon cœur, je l'avoûrai, lui pardonne en secret, Et lui laisse le reste avec moins de regret. Quoi ! je ne serai plus séparé de vos charmes ! Quoi ! même en ce moment, je puis voir sans alarmes Ces yeux que n'ont émus ni soupirs ni terreur, Qui m'ont sacrifié l'empire et l'empereur ! Ah madame !... Mais quoi ! quelle nouvelle crainte Tient parmi mes transports votre joie en contrainte ? D'où vient qu'en m'écoutant, vos yeux, vos tristes yeux, Avec de longs regards se tournent vers les cieux’? Qu'est-ce que vous craignez ? JUNIE. Je l'ignore moi-mêmes : BRITANNICUS. Leurs se rapporte à la jeunesse de la cour, nom collectif qui amène le pluriel. Ces syllepses sont fréquentes dans Racine. 2 Geoffroi n'a pas senti la beauté de ces deux vers : «On est fàché, dit-il, d'entendre Britannicus se plaindre des yeux de Junie. » Le même critique trouve, avec plus de raison, un peu d'embarras dans le vers qui précède. 3 Elle ignore ce qu'elle craint, mais elle sait pourquoi elle ne partage pas l'imprudente confiance de Britannicus. Britannicus est dupe de sa loyauté, comme Agrippine l'est de son orgueil : Junie seule est clairvoyante. JUNIE. Hélas ! si je vous aime! BRITANNICUS. JUNIE. BRITANNICUS. JUNIE. BRITANNICUS. JUNIE. BRITANNICUS. JUNIE, BRITANNICUS. JUNIE. 1 Réflexion profonde et conforme à l'idée de l'antique fatalité. La foi à la Providence laisse encore de nos jours, dans l'esprit de ceux que le malheur poursuit, une place au Sort, aveugle divinité des paiens. Je vous laisse à regret éloigner de ma vue. BRITANNICUS. JUNIE. BRITANNICUS. On m'attend, madame, il faut partir. Mais du moins attendez qu'on vous vienne avertir. JUNIE. SCÈNE II. AGRIPPINE, BRITANNICUS, JUNIE. AGRIPPINE. 1 Ce vers présente quelque difficulté à l'analyse. Puisque Britannicus s'éloigne, il semble que vous devrait être répété devant éloigner. Mais Junie entend qu'on éloigne d'elle Britannicus; que c'est un artifice de ses ennemis , et alors la construction est régulière. 2 Séjour se dit habituellement d'un temps assez long : cependant par un plus long séjour exprime élégamment en restant plus longtemps auprès de vous. Substituez absence ou retard à séjour, et l'idée du poëte sera rendue moins exactement. Même lorsque Racine ne nous satisfait pas complètement par la propriété de l'expression, on reconnait qu'il n'y avait pas mieux à dire. 3 Ce mot ma princesse est devenu une fadeur. La joie et le plaisir de tous les conviés BRITANNICUS. SCÈNE III. AGRIPPINE, JUNJE. AGRIPPINE. JUNIE. AGRIPPINE. i Agrippine connait mieux que personne la perversité de son fils, mais l'orgueil l'abuse; car, comment douter d'une paix qui est son ouvrage ? 2 Racine transporte à la mort de Britannicus la scène de dissimulation qui précéda le meurtre d'Agrippine : « Ibi blandimentum « sublevavit metum : nam pluribus sermonibus, modo familiaritate « juvenili, et rursus adductus, quasi seria consociaret, tracto in « longum convivio, prosequitur abeuntem, arctius oculis et pectori « hærens. » (Ann., 1. XIV, c. iv.) « Là les caresses de son fils dissipèrent ses craintes. Néron, passant d'un sujet à un autre, tantôt familier et enjoué, tantôt grave, comme pour d’augustes confidences, prolongea la durée du festin, et lorsque Agrippine se retira, il la suivit les regards attachés sur elle plus tendres que de coulume et l'embrassant de plus vives étreintes.» ( Sa facile bonté, sur son front répandue, JUNIE. SCÈNE IV. AGRIPPINE, JUNIE, BURRHUS. AGRIPPINE BURRHUS. JUNIE. AGRIPPINE. 1 « Quelles superbes expressions! et comme elles sont faites pour donner une baute idée de sa puissance. » (La Harpe.) Mais aussi, quelle déception ! 2 « Quelle heureuse hardiesse , s'écrie La Harpe, dans le choix des mots ! et cette hardiesse est si bien mesurée, qu'elle parait toute simple : la réflexion seule l'aperçoit; le poëte se cache sous le personnage." 3 Agrippineet Junie devaient y passer au moment même où Britannicus les quitta : mais le théâtre eût été vide. Racine a trouvé, dans les pleurs de Junie, le motif d'une explication qui devait se faire sans témoin , et qui justifie le séjour des deux princesses sur la scène pendant le temps nécessaire à l'accomplissement du crime de Néron. |