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JUNIE.

J'aimais Britannicus, seigneur, je vous l'ai dit.
Si de quelque pitié ma misère est suivie,
Qu'on me laisse chercher dans le sein d'Octavie
Un entretien conforme à l'état où je suis.

NERON.

Belle Junie, allez, moi-même je vous suis.

Je vais, par tous les soins que la tendresse inspire,
Vous....

C'est alors qu'Agrippine l'arrêtait en lui disant :
Arrêtez, Néron : j'ai deux mots à vous dire.

Cette variante formait autrefois la scène vie.

Il convient de donner place ici à deux rapprochements que j'aurais pu faire dans les notes de Britannicus. P. 152, act. II, sc. vi, v. 21, Junie dit :

Vous êtes en des lieux tout pleins de sa présence;

Ces murs même, seigneur, peuvent avoir des yeux,
Et jamais l'empereur n'est absent de ces lieux.

Ces vers sont inspirés par ce passage de Tacite: « Etiam muta «< atque inanima, tectum et parietes circumspectabantur. » (Ann., livre IV, C. LXIX.)

Pag. 163, act. III, sc. vII, v. 31, Junie dit encore:

De mon front effrayé je craignais la pâleur.

On lit dans Tacite (Vie d'Agricola, ch. XLV): « Præcipua sub Domitiano miseriarum pars erat, videre et aspici, quum suspiria nostra subscriberentur, quum denotandis tot hominum palloribus sufficeret sævus ille vultus et rubor quo se contra pudorem muniebat.» Ici Tacite est d'une énergie forcée et d'un goût équivoque; avec, quel art et quelle mesure Racine dégage de ce mélange la parcelle brillante et pure! Notez qu'il en avait déjà tiré ce vers qu'il met dans la bouche d'Hermione (Andr., act. IV, sc. v):

Vous veniez de mon front observer la pâleur.

L'auteur de Lucrèce s'est souvenu sans doute du même passage, lorsque, moins heureux que Racine, il a écrit:

Je montrerai mon ombre à tes pâleurs.

Je ne doute pas qu'on ne puisse rapporter à la même source, « rubor quo se contra pudorem muniebat, » ces admirables vers de Phèdre, act. III, sc. III:

Je.... ne suis pas de ces femmes hardies

Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix.
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.

BÉRÉNICE

TRAGÉDIE

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PRÉFACE.

< Titus reginam Berenicen, cui etiam nuptias polli<< citus ferebatur... statim ab urbe dimisit invitus in« vitam 1. >>

C'est-à-dire que Titus, qui aimait passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu'on croyait, lui avait promis de l'épouser, la renvoya de Rome, malgré lui, et malgré elle, dès les premiers jours de son empire.

Cette action est très-fameuse dans l'histoire; et je l'ai trouvée très-propre pour le théâtre, par la violence des passions qu'elle y pouvait exciter. En effet, nous n'avons rien de plus touchant dans tous les poëtes, que la séparation d'Enée et de Didon, dans Virgile. Et qui doute que ce qui a pu fournir assez de matière pour tout un chant d'un poëme héroïque, où l'action dure plusieurs jours, ne puisse suffire pour le sujet d'une tragédie, dont la durée ne doit être que de quelques heures? Il est vrai que je n'ai point poussé Bérénice jusqu'à se tuer comme Didon, parce que Bérénice n'ayant pas ici avec Titus les derniers engagements que Didon avait avec Énée, elle n'est pas obligée, comme elle, de renoncer à la vie. A cela près, le dernier adieu qu'elle dit à Titus, et l'effort qu'elle se fait pour s'en séparer, n'est pas le moins tragique de la pièce; et j'ose dire qu'il renouvelle assez bien dans le cœur des spectateurs l'émotion que le reste y avait pu exciter. Ce n'est point une nécessité qu'il y ait du sang et des morts dans une tragédie; il suffit que l'action en soit grande, que les acteurs en soient héroï

1 Suétone, Vie de Titus, c. VII.

2 Oui, dans la tragédie, mais non dans l'histoire. La vraie Bẻrénice n'était pas telle que la peint Racine, et il ne pouvait pas la peindre telle qu'elle était.

ques, que les passions y soient excitées, et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie.

Je crus que je pourrais rencontrer toutes ces parties dans mon sujet. Mais ce qui m'en plut davantage, c'est que je le trouvai extrêmement simple. Il y avait longtemps que je voulais essayer si je pourrais faire une tragédie avec cette simplicité d'action qui a été si fort du goût des anciens car c'est un des premiers préceptes qu'ils nous ont laissés. « Que ce que vous ferez, dit Horace, soit toujours simple, et ne soit qu'un. » Ils ont admiré l'Ajax de Sophocle, qui n'est autre chose qu'Ajax qui se tue de regret à cause de la fureur où il était tombé après le refus qu'on lui avait fait des armes d'Achille. Ils ont admiré le Philoctète, dont tout le sujet est Ulysse qui vient pour surprendre les flèches d'Hercule. L'OEdipe même, quoique tout plein de reconnaissances, est moins chargé de matière que la plus simple tragédie de nos jours. Nous voyons enfin que les partisans de Térence, qui l'élèvent avec raison au-dessus de tous les poètes comiques, pour l'élégance de sa diction et pour la vraisemblance de ses mœurs, ne laissent pas de confesser que Plaute a un grand avantage sur lui par la simplicité qui est dans la plupart des sujets de Plaute. Et c'est sans doute cette simplicité merveilleuse qui a attiré à ce dernier toutes les louanges que les anciens lui ont données. Combien Ménandre était-il encore plus simple, puisque Térence est obligé de prendre deux comédies de ce poëte pour en faire une des siennes !

Et il ne faut point croire que cette règle ne soit fondée que sur la fantaisie de ceux qui l'ont faite. Il n'y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie. Et quelle vraisemblance y a-t-il qu'il arrive en un jour une multitude de choses qui pourraient à peine arriver en plusieurs semaines? Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d'invention. Ils ne songent pas qu'au contraire toute l'invention consiste à faire quelque chose de rien, et que tout ce grand nombre d'incidents a toujours été

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