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PERSONNAGES.

TITUS, empereur de Rome.
BÉRÉNICE, reine de Palestine.
ANTIOCHUS, roi de Comagène.
PAULIN, confident de Titus.
ARSACE, confident d'Antiochus.
PHÉNICE, confidente de Bérénice.
RUTILE, Romain.

Suite de Titus.

La scène se passe à Rome, dans un cabinet qui est entre l'appartement de Titus et celui de Bérénice.

BÉRÉNICE.

ACTE PREMIER '.

SCÈNE I.

ANTIOCHUS, ARSACE.

ANTIOCHUS.

Arrêtons un moment : la pompe de ces lieux,
Je le vois bien, Arsace, est nouvelle à tes yeux.
Souvent ce cabinet, superbe et solitaire,
Des secrets de Titus est le dépositaire :
C'est ici quelquefois qu'il se cache à sa cour,
Lorsqu'il vient à la reine expliquer son amour.
De son appartement cette porte est prochaine.
Et cette autre conduit dans celui de la reine 2.
Va chez elle dis-lui qu'importun à regret,
J'ose lui demander un entretien secret.

ARSACE.

Vous, seigneur, importun? vous, cet ami fidèle,
Qu'un soin si généreux intéresse pour elle?
Vous, cet Antiochus son amant autrefois ?

Vous, que l'Orient compte entre ses plus grands rois?
Quoi? déjà de Titus épouse en espérance 3,

1 Le commentaire de cette pièce est extrait presque entièrement des notes que Voltaire a composées pour son édition de Corneille, où il a fait entrer la tragédie de Racine. Nous marquerons ces notes par un V.

2 « Ce détail n'est pas inutile; il fait voir clairement combien l'unité de lieu est observée : il met le spectateur au fait tout d'un coup. On pourrait dire que la pompe de ces lieux et ce cabinet superbe paraissent des expressions peu convenables à un prince que cette pompe ne doit point du tout éblouir. » (V.) Aussi ne l'éblouit-elle point, mais elle étonne Arsace pour qui elle est nouvelle.

3 Epouse en espérance, expression heureuse et neuve dont Racine enrichit la langue et que, par conséquent, on critiqua d'abord. Remarquez encore qu'épouse suppose étant épouse. C'est une ellipse heureuse en poésie. Ces finesses font le charme de la diction. » (V.)

Ce rang entre elle et vous met-il tant de distance?

ANTIOCHUS.

Va, dis-je ; et, sans vouloir te charger d'autres soins ',
Vois si je puis bientôt lui parler sans témoins.

SCÈNE II.

ANTIOCHUS 2.

Hé bien! Antiochus, es-tu toujours le même ?
Pourrai-je, sans trembler, lui dire : Je vous aime?
Mais quoi! déjà je tremble; et mon cœur agité
Craint autant ce moment que je l'ai souhaité.
Bérénice autrefois m'ôta toute espérance;
Elle m'imposa même un éternel silence.
Je me suis tu cinq ans ; et, jusques à ce jour,
D'un voile d'amitié j'ai couvert mon amour.
Dois-je croire qu'au rang où Titus la destine,
Elle m'écoute mieux que dans la Palestine?
Il l'épouse. Ai-je donc attendu ce moment
Pour me venir encor déclarer son amant?
Quel fruit me reviendra d'un aveu téméraire ?
Ah! puisqu'il faut partir, partons sans lui déplaire.
Retirons-nous, sortons; et, sans nous découvrir,
Allons loin de ses yeux l'oublier ou mourir.

Hé quoi! souffrir toujours un tourment qu'elle ignore!
Toujours verser des pleurs qu'il faut que je dévore!
Quoi! même en la perdant redouter son courroux!
Belle reine 3, et pourquoi vous offenseriez-vous ?
Viens-je vous demander que vous quittiez l'empire?
Que vous m'aimiez? Hélas! je ne viens que vous dire
Qu'après m'être longtemps flatté que mon rival
Trouverait à ses vœux quelque obstacle fatal,
Aujourd'hui qu'il peut tout, que votre hymen s'avance,
Exemple infortuné d'une longue constance,
Après cinq ans d'amour et d'espoir superflus,
Je pars,
fidèle encor quand je n'espère plus ‘.

1 << Ce vers sans vouloir te, etc., qui ne semble fait que pour ia rime, annonce avec art qu'Antiochus aime Bérénice. » (V.)

2 « Beaucoup de lecteurs réprouvent ce long monologue; il n'est pas naturel qu'on fasse ainsi tout seul l'histoire de ses amours; qu'on dise: Je me suis tu cinq ans; on m'a imposé silence; j'ai couvert mon amour d'un voilé d'amitié. On pardonne un monologue qui est un combat du cœur, mais non une récapitulation historique.» (V.)

3« Belle reine a passé pour une expression fade. » (V.)

4« Les amants fidèles, sans succès et sans espoir, n'intéressent jamais. Cependant la douce harmonie de ces vers naturels fait supporter Antiochus; c'est surtout dans les faibles rôles que la belle versification est nécessaire. » ( V.)

Au lieu de s'offenser, elle pourra me plaindre.

Quoi qu'il en soit, parlons; c'est assez nous contraindre. Et que peut craindre, hélas! un amant sans espoir

Qui peut bien se résoudre à ne la jamais voir ?

SCÈNE III.

ANTIOCHUS, ARSACE.

Arsace, entrerons-nous ?

ANTIOCHUS.

ARSACE.

Seigneur, j'ai vu la reine;

Mais pour me faire voir je n'ai percé qu'à peine
Les flots toujours nouveaux d'un peuple adorateur
Qu'attire sur ses pas sa prochaine grandeur.
Titus, après huit jours d'une retraite austère,
Cesse enfin de pleurer Vespasien son père :
Cet amant se redonne aux soins de son amour;
Et, si j'en crois, seigneur, l'entretien de la cour,
Peut-être avant la nuit l'heureuse Bérénice
Change le nom de reine au nom d'impératrice 2.

ANTIOCHUS.

Hélas!

ARSACE.

Quoi! ce discours pourrait-il vous troubler?

ANTIOCHUS.

Ainsi donc sans témoins je ne lui puis parler?

ARSACE.

Vous la verrez, seigneur : Bérénice est instruite
Que vous voulez ici la voir seule et sans suite.
La reine d'un regard a daigné m'avertir
Qu'à votre empressement elle allait consentir;
Et sans doute elle attend le moment favorable
Pour disparaître aux yeux d'une cour qui l'accable.

1 Souvenir de Virgile, qui a dit, Géorg., I. II, v. 461 :

« Foribus domus alta superbis

Mane salutantum totis vomit ædibus undam. »>

« Les portes de sa haute demeure s'ouvrent avec le jour pour livrer passage à des flots d'adorateurs. »>

2 Changer à pour avec ou en est un latinisme fort élégant qui doit être conservé. Régnier l'a employé :

Et qu'il eût, sans espoir d'être mieux à la cour,
A son long balandran changé son inanteau court.

Ainsi que La Fontaine dans Philémon et Baucis:

Cependant l'humble toit devient temple, et ses murs
Changent leur frêle enduit aux marbres les plus durs

ANTIOCHUS.

Il suffit. Cependant n'as-tu rien négligé
Des ordres importants dont je t'avais chargé ?

ARSACE.

Seigneur, vous connaissez ma prompte obéissance.
Des vaisseaux dans Ostie armés en diligence,
Prêts à quitter le port de moments en moments,
N'attendent pour partir que vos commandements.
Mais qui renvoyez-vous dans votre Comagène ?

ANTIOCHUS.

Arsace, il faut partir quand j'aurai vu la reine.

ARSACE.

Qui doit partir?

ANTIOCHUS.

Moi.

ARSACE.

Vous ?

ANTIOCHUS.

En sortant du palais,

Je sors de Rome, Arsace, et j'en sors pour jamais.

ARSACE.

Je suis surpris sans doute, et c'est avec justice.
Quoi! depuis si longtemps la reine Bérénice
Vous arrache, seigneur, du sein de vos États;
Depuis trois ans dans Rome elle arrête vos pas :
Et lorsque cette reine, assurant sa conquête,
Vous attend pour témoin de cette illustre fête,
Quand l'amoureux Titus, devenant son époux,
Lui prépare un éclat qui rejaillit sur vous....

ANTIOCHUS.

Arsace, laisse-la jouir de sa fortune,

Et quitte un entretien dont le cours m'importune.
ARSACE.

Je vous entends, seigneur ces mêmes dignités
Ont rendu Bérénice ingrate à vos bontés :
L'inimitié succède à l'amitié trahie.

ANTIOCHUS.

Non, Arsace, jamais je ne l'ai moins hafe.

ARSACE.

Quoi donc ! de sa grandeur déjà trop prévenu,
Le nouvel empereur vous a-t-il méconnu?
Quelque pressentiment de son indifférence
Vous fait-il loin de Rome éviter sa présence?

ANTIOCHUS.

Titus n'a point pour moi paru se démentir :
J'aurais tort de me plaindre.

ARSACE.

Et pourquoi donc partir? Quel caprice vous rend ennemi de vous-même ? Le ciel met sur le trône un prince qui vous aime, Un prince qui, jadis témoin de vos combats,

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