Et du camp d'Amurat s'approchaient tous les jours. ACOMAT. Que faisaient cependant nos braves janissaires? OSMIN. Amurat est content, si nous le voulons croire, C'est en vain que, forçant ses soupçons ordinaires, Votre absence est pour eux un sujet de murmure : 1 Babylone est ici pour Bagdad, ville fondée sur les ruines de Séleucie, formée elle-même, en partie, des débris de Babylone. Racine a préféré ce nom comme plus harmonieux et plus connu. C'est Schah-Abbas, roi de Perse, qui s'empara, au commencement du règne d'Amurat, de la province et de la ville de Bagdad. 2 « Il est bien sûr que la diligence d'Osmin ne fait rien à la distance qui est entre Byzance et le camp d'Amurat, et que par conséquent ce mot malgré, qui marque l'opposition, n'est pas grammaticalement exact. Mais le sens est si clair, et la phrase si naturellement abrégée par cette forme d'ellipse, que, bien loin de la reprocher à l'auteur, il faut lui savoir gré d'avoir dit en si peu de mots ce qu'il fallait dire. » (La Harpe.) 3 D'Olivet a critiqué cet imparfait, que Louis Racine regarde comme une erreur typographique. D'Olivet est trop méticuleux et Louis Racine trop complaisant. Semblait se rapporte au moment du départ d'Osmin, et convient parfaitement. 4 « Voulut lorsqu'il voulait forme, dit Geoffroy, une espèce de galimatias. » Il est certain que cette construction, sielle n'est pas incorrecte, manque au moins d'élégance. 5 Timet timentes. » (Tac.) 6 Le temps... lorsque est ici pour où, que repoussait l'euphonie, car. pour la mesure, Racine eût pu écrire: où de vaincre assurés. ACOMAT. Quoi! tu crois, cher Osmin, que ma gloire passee OSMIN. Le succès du combat réglera leur conduite : ACOMAT. Tel était son dessein : cet esclave est venu; OSMIN. Quoi, seigneur! le sultan reverra son visage ACOMAT. Cet esclave n'est plus : un ordre, cher Osmin, OSMIN. Mais le sultan, surpris d'une trop longue absence, 1 << On voit, dans les deux premiers vers, un général disgracié, que le souvenir de sa gloire et l'attachement des soldats attendrissent sensiblement; dans les deux derniers un rebelle qui médite quelque dessein. Voilà comme il échappe aux hommes de se caractériser sans aucune intention marquée. C'est là une de ces nuances dont on ne trouve guère d'exemples que dans Racine. » (Vauvenargues.) 2 Toute l'histoire ottomane atteste la vérité de ce que dit Osmin, et témoigne combien les mœurs sont ici fidèlement peintes; mais l'auteur ne les a pas observées de même dans les caractères.» (La Harpe) Cela est vrai d'Atalide et même, à un certain degré, de Bajazet, non de Roxane et d'Acomat. La critique de Corneille, qui ne voyait que des Français dans les Turcs de Racine, est au moins fort exagérée. La Harpe a eu tort de la reproduire. En cherchera bientôt la cause et la vengeance. ACOMAT. Peut-être avant ce temps Je sais à son retour l'accueil qu'il me destine. Quel emploi, quel séjour, Osmin, pour un vizir! OSMIN. Quoi donc ? qu'avez-vous fait ? ACOMAT. J'espère qu'aujourd'hui Bajazet se déclare, et Roxane avec lui. OSMIN. Quoi! Roxane, seigneur, qu'Amurat a choisie ACOMAT. Il a fait plus pour elle, Osmin : il a voulu De l'honneur dangereux d'être sortis d'un sang On l'abandonne aux mains qui daignent le nourrir. 1 Expression dont l'élégance dissimule la hardiesse, pour dirc: des craintes qui troubleront son sommeil. 2 La préposition de se trouve cinq fois dans ces deux vers. 3 Lorsque Boileau disait que son ami avait encore plus que lui le génie satírique, il citait pour preuve ces quatre vers.» (Louis Racine.) Boileau aurait pu citer encore, à l'appui de sa thèse, avec plus de raison, les cruelles épigrammes que le tendre Racine aiguisait si finement, et qu'il décochait si volontiers, dans l'occasion. Il vint chercher la guerre au sortir de l'enfance, Il partit, et voulut que, fidèle à sa haine, OSMIN. Mais pouvaient-ils tromper tant de jaloux regards ACOMAT. Peut-être il te souvient qu'un récit peu fidèle Sur la foi de ses pleurs ses esclaves tremblèrent'; 1 Boileau aimait à citer et il admirait deux vers de Scudéri qui ont quelque analogie avec ceux-ci, et qui peuvent les avoir inspirés : Il n'est rien de si doux pour des cœurs pleins de gloire Que la paisible nuit qui suit une victoire. (Alaric, ch. X, v. 1.) 2 Avant la naissance d'un fils. Un fils naissant présente une autre idée. 3 « Ses charmes. Cette expression est remarquable. Partout ailleurs que dans cette pièce, Racine ne s'en serait pas servi. Les mœurs du sérail autorisaient cette expression de Racine. On sentira aisément, sans que j'en dise les raisons, qu'on peut parler des charmes d'un homme dans un pays où les femmes sont esclaves et renfermées. » (La Harpe.) 4 Il faut reporter une part du mérite de ce beau vers à La Fontaine, qui avait dit, dans son admirable Elégie aux Nymphes de Vaux: Le plus sage s'endort sur la foi des zéphyrs. De l'heureux Bajazet les gardes se troublèreni; OSMIN. Quoi! Roxane, d'abord leur découvrant son âme, ACOMAT. Ils l'ignorent encore; et, jusques à ce jour, Du prince, en apparence, elle reçoit les vœux; OSMIN. Quoi vous l'aimez, seigneur ? 1 «Ce morceau est un de ceux que Voltaire répétait avec le plus de plaisir, et qu'il nous faisait admirer le plus dans cette scène, où tout lui paraissait admirable. Il n'y a point d'homme de goût qui n'y ait remarqué, comme lui, cet art de la narration, plus difficile ici qu'ailleurs, puisqu'il s'agissait de rendre vraisemblable, par le choix des circonstances, une liaison aussi singulière que celle de la sultane avec Bajazet, dans la situation où ils sont l'un et l'autre, et au milieu de tant d'obstacles et de périls. Cette fiction de la mort d'Amurat, qui est de l'invention du poëte, est un coup de maitre. Le poëte s'est occupé de fonder son avant-scène, comme on fonde l'action même quand on veut prévenir toute objection. » (La Harpe.) 2 Surveiller. Molière a plusieurs fois employé le mot éclairer au même sens, et notamment dans le passage suivant : J'ai voulu vous parler en secret d'une affaire, (Tartufe, acte III, sc. 11.) 3 Ce passage découvre toute la trame de la pièce, et en même temps sa faiblesse. Ce manége n'est ni vraisemblable ni digne. Roxane acceptant des hommages par procuration, Atalide et Bajazet également fourbes, et Acomat dupé comme Roxane, est-ce de la tragédie? |