ACTE CINQUIÈME. SCÈNE I. ATALIDE. Hélas! je cherche en vain : rien ne s'offre à ma vue. 1 La lettre de Bajazet. Il n'y a pas d'obscurité, puisqu'Atalide ne peut pas avoir d'autre pensée, et que le spectateur est instruit. 2 Dans le vers signalé plus haut, act. IV, sc. IV: D'ailleurs l'ordre, l'esclave et le visir me presse, on pouvait croire que l'accord irrégulier était un besoin de la rime. Ici le soupçon n'est pas permis, et il est clair que Racine a préféré le singulier comme plus poétique et plus conforme à sa pensée. C'est ainsi que le poëte a dit, dans Bérénice, act. IV, SC. V: Et d'un œil que la gloire et la raison éclaire... qu'il dira, dans Iphigénie, act. III, sc. v: Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête; dans la même tragédie, act. IV, sc. vI : Que ma foi, mon amour, mon honneur y consente; dans Phèdre, act. I, sc. III: Vivez donc ; que l'amour, le devoir vous excite. Après ces exemples, et tant d'autres qu'on pourrait y ajouter, il faut reconnaitre que cette construction n'est pas une licence, mais un droit. Les maîtres seuls savent en user. Sur qui sera d'abord sa vengeance exercée ? Retirez-vous, vous dis-je ; et ne répliquez pas 1. SCÈNE III. ROXANE, ZATIME. ROXANE. Oui, tout est prêt, Zatime: Orcan et les muets attendent leur victime. Je suis pourtant toujours maîtresse de son sort : ZATIME. Oui, sur mes pas un esclave l'amène ; ROXANE. Ame lâche, et trop digne enfin d'être déçue. Peux-tu souffrir encor qu'il paraisse à ta vue? 1 « Ce vers terrible dans sa simplicité, prépare bien l'explication que Bajazet doit avoir avec Roxane.» (Geoffroy.) 2 Ce passage prépare la terreur du mot vraiment tragique qui termine la scène suivante entre Roxane et Bajazet. On saura ce que signifie sortez dans la bouche de la sultane. SCÈNE IV. BAJAZET, ROXANE. ROXANE. Je ne vous ferai point des reproches frivoles: Les moments sont trop chers pour les perdre en paroles. Malgré tout mon amour, si je n'ai pu vous plaire, Qui? moi, madame ? BAJAZET. ROXANE. Oui, toi. Voudrais-tu point encore BAJAZET. Atalide, madame! O ciel! qui vous a dit... ROXANE. Tiens, perfide, regarde, et démens cet écrit. BAJAZET, après avoir regardé la lettre. Consultant vos bienfaits, les crut, et sur leur foi, 1 « Cette réponse brusque et violente est bien dans le caractère de Roxane, qui vient de reprocher à Bajazet qu'elle l'a laissé vivre.» (Geoffroy.) 2 Molière, Boileau et Racine ont employé cette façon de parler, devant que, remplacée tyranniquement, en dépit de leur autorité, par avant que. De tous mes sentiments vous répondit pour moi'. Il était dangereux pour vous de reculer. Cependant, je n'en veux pour témoins que vos plaintes, Un silence témoin de mon trouble caché 2: Plus l'effet de vos soins et ma gloire étaient proches, Le ciel, qui m'entendait, sait bien qu'en même temps Et si l'effet enfin, suivant mon espérance, Que vous-même peut-être... ROXANE. Et que pourrais-tu faire ? 1 << Pour moi, en place de moi. Bajazet se taisait. Et même votre amour... consultant vos bienfaits: le sens de ces trois vers se présente d'abord, on ne songe pas même à le chercher. Lorsqu'on veut cependant le chercher, on trouve quelque difficulté, quoique la construction soit très-nette: Votre amour, consultant vos bienfaits, crut qu'ils devaient m'engager à vous aimer, et vous répondit pour moi de tous mes sentiments. » (Louis Racine.) Ce vers est beau; mais il est fâcheux que le mot témoin, qui lui donne tant de relief, se trouve déjà un peu plus haut: . Je n'en veux pour témoins que vos plaintes. Laissons ces vains discours; et, sans m'importuner, Ma rivale est ici : suis-moi sans différer; Viens m'engager ta foi le temps fera le reste. BAJAZET. Je ne l'accepterais que pour vous en punir; Ajoutez cette grâce à tant d'autres bontés, ROXANE. Sortez ". 1 Racine avait d'abord écrit: De ton cœur par sa mort viens me voir assurer. 2 « Dans les règles de la grammaire, il faudrait répéter ni, à la place de la conjonction et. » (Louis Racine.) La syntaxe avait, au tenips de Racine, plus de liberté. 3 Ce vers, qui est une correction, était suivi de quatre autres, que Racine a retranchés. On lisait d'abord: Si mon cœur l'avait crue, il ne serait qu'à vous. Par sa mort elle-même a voula nous lier. 4 « On poursuit une vengeance, et non pas un courroux. On suit son courroux, parce qu'on s'y laisse entraîner; on poursuit la vengeance, parce qu'on veut l'obtenir. » (La Harpe.) Ce mot terrible finit parfaitement la dernière scène tragique de cette pièce. La proposition de Roxane, tout atroce qu'elle est, est conforme au caractère du personnage, à la situation, aux mœurs. Ce n'est pas dans le sérail qu'une femme outragée et trompée épargne sa rivale. » (La Harpe. |