Son amante en furie, Près de ces lieux, seigneur, craignant votre secours, Et de sa vie en vain j'ai cherché quelque reste De morts et de mourants noblement entouré, Que, vengeant sa défaite et cédant sous le nombre 2, Mais, puisque c'en est fait, seigneur, songeons à nous. ACOMAT. Ah! destins ennemis, où me réduisez-vous! Je sais en Bajazet la perte que vous faites, Je vais, non point sauver cette tête coupable, Madame, consultez : maîtres de ce palais, Et moi, pour ne point perdre un temps si salutaire, 1 En effet, cette ignorance a de quoi surprendre, mais elle était nécessaire pour entretenir un reste d'intérêt jusqu'à l'achèvement de la tragédie. 2 Inversion un peu forcée. 3 La tragédie pourrait finir à cette scène : le spectateur supposerait qu'Atalide donne un consentement tacite à la proposition d'Acomat ; et la règle qui veut qu'on rende compte, à la fin, du sort de chaque personnage, serait suffisamment observée. Le dénoùment serait ainsi debarrassé d'un monologue qui le fait languir, et d'un meurtre très-froid. Rien n'est plus vicieux que d'ensanglanter mal à propos la scène; rien n'est moins tragique que la mort d'un personnage auquel on prend peu d'intérêt. » (Geoffroy.) Le consentement tacite d'Atalide serait un démenti à son caractère. « Servetur ad imum Qualis ab incepto processerit et sibi constet. » (Hor. Ars poet.) 328 BAJAZET, ACTE V, SCÈNE XII. SCÈNE XII. ATALIDE, ZAIRE. ATALIDE. Enfin, c'en est donc fait ; et par mes artifices, Je suis donc arrivée au douloureux moment Toi, mère malheureuse, et qui, dès notre enfance, Roxane, venez tous, contre moi conjurés, ZAIRE. (Elle se tue.) Ah! madame!... Elle expire. O ciel! en ce malheur, 1 Réminiscence de Virgile : «... Non hos quæsitum munus in usus. » (En., IV, v. 647.) 2 « On a reproché à Racine d'avoir fini Bérénice par un hélas : il termine Bajazet par un vers infiniment plus répréhensible : rien n'empêche Zaïre d'imiter sa maitresse, et d'expirer avec elle. Le poignard d'Atalide est auprès d'elle, et à son service. » (Geoffroy.) Geoffroy en parle à son aise; pourquoi veut-il la mort de Zaïre? La tuerie, comme dit madame de Sévigné, n'est-elle pas assez nombreuse? Bajazet, Orcan, Roxane, Atalide suffisent, ce semble, et au delà. PRÉFACE'. Il n'y a guère de nom plus connu que celui de Mithridate sa vie et sa mort font une partie considérable de l'histoire romaine; et, sans compter les victoires qu'il a remportées, on peut dire que ses seules défaites ont fait presque toute la gloire de trois des plus grands capitaines de la république, c'est à savoir de Sylla, de Lucullus et de Pompée 3. Ainsi, je ne pense pas qu'il soit besoin de citer ici mes auteurs: car, excepté quelques événements que j'ai un peu rapprochés par le droit que donne la poésie, tout le monde reconnaîtra aisément que j'ai suivi l'histoire avec beaucoup de fidélité. En effet, il n'y a guère d'actions éclatantes dans la vie de Mithridate qui n'aient trouvé place dans ma tragédie. J'y ai inséré tout ce qui pouvait mettre en jour les mœurs et les sentiments de ce prince, je veux dire sa haine violente 1 Toutes les notes de cette préface sont tirées du commentaire de Geoffroy. 2 Plusieurs princes ont porté ce nom. Le héros de la tragédie de Racine est Mithridate, troisième du nom, septième roi de Pont, surnommé Eupator; monarque vraiment extraordinaire, et qui joue le rôle le plus brillant dans l'histoire romaine. 11 régna soixante ans, et vécut environ soixante et douze. 3 C'est à savoir, de Sylla, de Lucullus et de Pompée. Cette fin de phrase ne se trouve pas dans la première édition de Mithridate, publiée dans le mois de mars 1673. |