PERSONNAGES. THÉSÉE, fils d'Égée, roi d'Athènes. PHÈDRE, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphae. HIPPOLYTE, fils de Thésée et d'Antiope, reine des Ama zones. ARICIE, princesse du sang royal d'Athènes. PANOPE, femme de la suite de Phèdre. La scène est à Trézène, ville du Péloponèse. ACTE PREMIER. SCÈNE I. HIPPOLYTE, THERAMÈNE. HIPPOLYTE. Le dessein en est pris: je pars, cher Théramène, Et dans quels lieux, seigneur, l'allez-vous donc chercher ? J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe; Qui sait même, qui sait si le roi votre père HIPPOLYTE. Cher Théramène, arrête et respecte Thésée. 1 Aimable, épithète dans le goût d'Homère: paтεvý. Ainsi, Il., 1. II, v. 532: Avyeids patεvás, et, mêine chant, v. 571: Αραιθυρέην τ' ἐρατεινήν. 2 La tête pour la personne. Métonymie que les Grecs ont transmise aux Latins, et qui paraît ici un souvenir de ces vers d'Horace (1. I, od. xxiv) : • Quis desiderio sit pudor, aut modus De ses jeunes erreurs désormais revenu, Par un indigne obstacle il n'est point retenu ; Hé! depuis quand, seigneur, craignez-vous la présence' Au tumulte pompeux d'Athène et de la cour? Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ? HIPPOLYTE. Cet heureux temps n'est plus. Tout a changé de face, THÉRAMÈNE. J'entends de vos douleurs la cause m'est connue: HIPPOLYTE. Sa vaine inimitié n'est pas ce que je crains. Quoi! vous-même, seigneur, la persécutez-vous? 1 Présence, qui se dit des personnes, anime les lieux dont Hippolyte redoute l'aspect. 2 La périphrase n'est pas ici une simple ressource de style: le poëte amène à dessein le nom de Pasiphaë. Qu'attendre, en effet, de la fille d'une telle mère? Κρυπτῷ γε πένθει θανάτου θέλουσαν Κέλσαι ποτὶ τέρμα δύστανον. «Atteinte d'un mal caché, elle veut, dit-on, se hâter vers le terme fatal.» (Eurip., Ph., v. 139.) 4 Les fils de Pallante, frère d'Égée, avaient tenté d'enlever à Thésée l'héritage de son père. Thésée, après avoir déjoué leur complot, les avait tous mis à mort. Et devez-vous hair ses innocents appas1? HIPPOLYTE. Si je la haissais, je ne la fuirais pas. THÉRAMÈNE. Seigneur, m'est-il permis d'expliquer votre fuite? Et d'un joug que Thésée a subi tant de fois ? Et, vous mettant au rang du reste des mortels, HIPPOLYTE. 3 Ami, qu'oses-tu dire? 1 Expression fade, suivie d'un madrigal plus pastoral que tragique. Ce vers: Si je la haïssais, je ne la fuir ais pas, cité comme un modèle de finesse, serait mieux placé ailleurs. 2 Le doute de Théramène après l'aveu si transparent d'Hippolyte n'a d'autre objet que de donner la parole à ce jeune prince, dont les réticences peuvent aussi nous surprendre. 3 Plutarque donne à cette mère le nom d'Antiope, adopté par Racine, et Athénée celui d'Hippolyte. 4 Le docteur Piccolos, dont la complaisance est inépuisable comme l'érudition, me signale un passage de Quintus de Smyrne qui paraît avoir inspiré ces vers de Racine. Ce passage est tiré des Posthomerica. Ulysse et Diomède, qui emmènent Neoptolème au siége de Troie, lui racontent pendant la traversée les exploits de son père : Οἱ δ' Ἀχιλήϊον υἷα, παρεζόμενοι ἑκάτερθεν, "Ces princes, assis à ses côtés, charmaient le fils d'Achille en lui racontant les exploits de son père, ce qu'il avait fait pendant la traversée, sa lutte sur terre contre Télèphe, les Troyens accablés autour de la ville de Priam, et les Grecs comblés de gloire. Et lui, ravi de ces discours, se promettait d'égaler le courage et la gloire S'échauffait au récit de ses nobles exploits, Tant d'autres dont les noms lui sont même échappés, de son invincible père. >> On peut encore rapprocher de ce passage les vers que Racine a mis dans la bouche d'Iphigénie : Hélas! avec plaisir je me faisais conter Tous les noms des pays que vous alliez dompter. (Act. IV, sc. Iv.) Et Virgile, Æn., 1. III, v. 342 : << In antiquam virtutem animosque viriles Et pater Eneas et avunculus excitat Hector. >> 1 Ovide a compté aussi les exploits de Thésée avec la prolixité qui lui est habituelle : le goût de Racine y a mis plus de sobriété : « Te, maxime Theseu, Mirata est Marathon Cretei sanguine tauri; Metam., 1. VII, v. 433-41. « Illustre Thésée, Marathon t'admira lorsque tu revins couvert du sang du taureau crétois. Si le laboureur peut désormais cultiver les champs de Cromyon sans craindre le sanglier qui les ravageait, sa sûreté est ton ouvrage. Par toi la terre d'Epidaure a vu tomber le fils de Vulcain armé d'une massue; le Céphise a vu la chute de l'impitoyable Procuste; par toi encore Eleusis, chère à Cérès, a vu la mort de Cercyon. Il est aussi tombé, ce Sinis, dont la vigueur criminelle pouvait courber le tronc des arbres, et abaissait jusqu'à terre la cime des pins, qui se redressaient pour jeter au loin les membres de ses victimes. La route est ouverte et sûre vers Alcathoé, fondée par Lélex, gràce au trépas de Sciron. Les os dispersés du monstre n'ont point d'asile sur la terre, et la mer les repousse. »> 2 Ce vers est un souvenir des plaintes d'Ariane dans Catulle. 3 Hippolyte avait raison alors, et peut-être a-t-il tort de faire maintenant une pareille énumération, surtout lorsqu'il vient de dire: Cher Theramène, arrête, et respecte Thésée. |