Accablant vos enfants d'un empire odieux, Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux. J'en ai trop prolongé la coupable durée. OENONE. Quoi! de quelques remords êtes-vous déchirée ? Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles. OENONE. Et quel affreux projet avez-vous enfanté Dont votre cœur encor doive être épouvanté ? PHÈDRE. Je t'en ai dit assez épargne-moi le reste. OENONE. Mourez donc, et gardez un silence inhumain ; PHÈDRE. Quel fruit espères-tu de tant de violence? OENONE. Et que me direz-vous qui ne cède, grands dieux, PHÈDRE. Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable, OENONE. Madame, au nom des pleurs que pour vous j'ai versés, 1 ΤΡ. Αγνὰς μέν, ὦ παῖ, χεῖρας αἵματος φέρεις. ΦΑ. Χεῖρες μὲν ἁγναί, φρὴν δ ̓ ἔχει μίασμά τι. «LA NOUR.: Ma fille, tes mains sont pures de sang. Pn. Mes mains sont pures, mais mon cœur est souillé. » (Eur., v. 316.) 2 « Tu me refuses le prix de ma fidélité. » (Eur., v. 335.) Tu le veux : lève-toi. PHÈDRE. OENONE. Parlez : je vous écoute. Ciel ! que lui vais-je dire? et par où commencer? OENONE. Par de vaines frayeurs cessez de m'offenser. PHEDRE. O haine de Vénus! O fatale colère ! Dans quels égarements l'amour jeta ma mère '! OENONE. Oublions-les, madame; et qu'à tout l'avenir PHEDRE. Ariane, ma sœur, de quel amour blessée Que faites-vous, madame? et quel mortel ennui PHEDRE. Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable Aimez-vous 2 ? ΘΕΝΟΝΕ. 1 ΦΑ. Ω τλῆμον, οἷον, μῆτερ, ηράσθης ἔρον ! LA « PH. : De quel amour tu fus éprise, o mère infortunée! NOUR.: Tu parles du taureau. Pourquoi rappeler ce souvenir? PH. : Et toi, sour malheureuse, epouse de Bacchus ! - LA NOUR. : Enfant, qu'as-tu done? tu diffanies ta famille. - PH. : Et moi, troisième victime, comment je peris! » (Eur., v. 338.) Le vers de Racine Je péris la dernière et la plus misérable, est traduit littéralement de l'Antigone de Sophocle (v. 809-92). Πορεύομαι Πρὸς τοὺς ἐμαυτῆς, ὧν ἀριθμὸν ἐν νεκροῖς « Je vais retrouver mes proches que Proserpine a déjà reçus en si grand nombre parmi les morts, moi la dernière et la plus misérable, devançant le temps marqué par la destinée. » 2 ΤΡ. Τί φής; ἐρᾶς, ὦ τέκνον, ἀνθρώπων τινός; ΦΑ. Ὅστις ποθ ̓ οὗτός ἐσθ ̓ ὁ τῆς ̓Αμαζόνος. Pour qui? PHÈDRE. De l'amour j'ai toutes les fureurs. OENONE. PHÈDRE. Tu vas ouir le comble des horreurs. J'aime... A ce nom fatal, je tremble, je frissonne.' PHEDRE. Tu connais ce fils de l'Amazone, Ce prince si longtemps par moi-même opprimé? Hippolyte ! Grands dieux! OENONE. PHEDRE. C'est toi qui l'as nommé ! OENONE. Juste ciel! tout mon sang dans mes veines se glace'. PHÈDRE. Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d'Égée ΤΡ. Ἱππόλυτον αὐδας; ΦΑ. Σοῦ τάδ' οὐκ ἐμοῦ κλύεις « LA NOUR. Que dis-tu, ma fille? Aimes-tu quelqu'un es hommes?-PH.: Tel qu'il est, ce fils de l'Amazone.- LA NOUR.: Tu parles d'Hippolyte.-PH.: C'est toi qui l'as nommé. » (Eur., v. 352.) Σou τάo' оux êμоu xλúets, littéralement : « De toi, non de moi, tu entends cela, » est admirablement rendu par : c'est toi qui l'as nommé. C'est cependant un poete médiocre, Gilbert, résident de la reine Christine à Paris, plagiaire par anticipation de la Rodogune de Corneille (V. Viguer, Anecd. littéraires sur P. Corneille ), qui a eu cette bonne fortune dans ce vers : Ne m'en accuse point, c'est toi qui l'as nommé. Ne m'en accuse point est là pour oux pou. Racine l'a judicieusement supprimé. 1 « LA NOUR.: Grands dieux! qu'as-tu dit? Je suis perdue. Mes amies, cela peut-il s'entendre? » (Eur., v. 354.) 2 Ici Racine a pris Sapho pour modèle: Ως γὰρ εἴδω σε, βροχέως με φονᾶς οὐδὲν ἔτ ̓ εἴπει· Αὐτίκα χρῷ πῦρ ὑποδεδρόμακεν Οππάτεσσιν δ ̓ οὐδὲν ὅρημ', ἐπιῤῥομβεῦσι δ' ἀκουέ Je reconnus Vénus et ses feux redoutables, Ce n'est plus une ardeur dans mes veines cachée 3: Κάδδ ̓ ἱδρὼς ψυχρὸς χέεται, κ. τ. λ. Théocrite, dans sa seconde idylle, a imité cette ode de Sapho, que Catulle a traduite. Boileau (Traité du Sublime, trad. de Longin) a essayé de lutter contre ce texte, que Racine seul pouvait égaler. << Instauratque diem donis pecudumque reclusis 2 « Agnosco veteris vestigia flammæ. » (Virg., 1. IV, v. 23.) 3 4 « Vulnus alit venis et cæco carpitur igni. « In me tota ruens Venus (Virg., 1. IV, v. 2.) Cyprum deseruit. » (Hor.. 1. I, od. xix, v. 9.) Euripide a fourni quelques traits à Racine : « Après que l'amour m'eut blessee, je considerai les meilleurs moyens de le supporter. Je commençai donc par taire mon mal et par le cacher... Ensuite je résolus de résister au délire de ma passion, et de la vaincre par la chasteté. Mais enfin, ne pouvant par ces moyens triompher de Vénus, mourir me parut être le meilleur parti. » (Trad. de M. Artaud, t. I, p. 296.) Et dérober au jour une flamme si noire : Pourvu que, de ma mort respectant les approches, SCÈNE IV. PHEDRE, OENONE, PANOPE. PANOPE. Je voudrais vous cacher une triste nouvelle, Que la reine, abusée, Ciel! PANOPE. Pour le choix d'un maître Athènes se partage: Au prince votre fils l'un donne son suffrage, Madame; et de l'Etat l'autre oubliant les lois, Au fils de l'étrangère ose donner sa voix. On dit même qu'au trône une brigue insolente Veut placer Aricie et le sang de Pallante. J'ai cru de ce péril vous devoir avertir. Déjà même Hippolyte est tout prêt à partir; Et l'on craint, s'il paraît dans ce nouvel orage, Qu'il n'entraîne après lui tout un peuple volage. OENONE. Panope, c'est assez : la reine, qui t'entend, SCÈNE V. PHÈDRE, OENONE. OENONE. Madame, je cessais de vous presser de vivre 1; |