Sous un ciel étranger comme moi transplantées. Je mets à les former mon étude et mes soins; Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même1, SCÈNE II. ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR. UNE ISRAELITE, chantant derrière le théâtre. TOUT LE CHOEUR, entrant sur la scène par plusieurs endroits différents. La reine nous appelle : Allons, rangeons-nous auprès d'elle. ÉLISE. Ciel! quel nombreux essaim d'innocentes beautés 1 Fuyant le bruit des cours et se cherchant lui-même, Il avait déposé l'orgueil du diadėme. (Volt. Henr., chant I.) 2 Ces soins donnés à l'éducation de jeunes filles, et cette fuite de la cour vers une pieuse retraite, designaient madame de Main tenon. 3 C'est textuellement le premier vers de l'OEdipe Roi · Ω τέκνα Κάδμου τοῦ πάλαι νέα τροφή, que M.-J. Chénier traduit ainsi : Enfants, du vieux Cadmus postérité nouvelle. 4 « Ascendit fumus incensorum de orationibus sanctorum, de manu angeli, coram Deo. » (Apocalyp., cap. viii.) Que Dieu jette sur vous des regards pacifiques! ESTHER. Mes filles, chantez-nous quelqu'un de ces cantiques* Déplorable Sion, qu'as-tu fait de ta gloire? Si dans mes chants ta douleur retracée TOUT LE CHOEUR. O rives du Jourdain! ô champs aimés des cieux! UNE ISRAELITE, seule. Quand verrai-je, ô Sion! relever tes remparts, Tes peuples en chantant accourir à tes fêtes? TOUT LE CHOEUR. O rives du Jourdain! ô champs aimés des cieux! Par cent miracles signalées! 1 « Et qui abduxerunt nos : « Hymnum cantate nobis de canticis "Sion.» (Psal. CXXXVI.) 2« Adhæreat lingua mea faucibus meis, si non meminero tai, « si non proposuero Jerusalem in principio lætitiæ meæ. » (Psal. CXXXVI). Guillaume du Vair, à la fin du XVIe siècle, a paraphrase le psaume Super flumina Babylonis. On remarque dans sa paraphrase le passage suivant, que M. A. C. Sapey (Essai sur du Vair, p. 117) a rapproché des vers de Racine : O Sion! si jamais tellement je t'oublie, Racine fait pâlir son devancier. Ces choeurs d'Esther, par lesquels il réalise le projet, depuis longtemps conçu, d'introduire dans la tragédie des morceaux lyriques, ces choeurs sont de véritables chefs-d'œuvre. La poésie sacrée, déjà si noble dans Malherbe, mais affaiblie par Desportes, Racan et Godeau, reprend ici toute sa majeste. SCÈNE III. ESTHER, MARDOCHÉE, ÉLISE, LE CHOEUR. ESTHER. Quel profane en ce lieu s'ose avancer vers nous ? A donc conduit vos pas, et caché votre entrée ? MARDOCHÉE. O reine infortunée! O d'un peuple innocent barbare destinée! Nous sommes tous perdus! et c'est fait d'Israël! ESTHER. Juste ciel! tout mon sang dans mes veines se glace. On doit de tous les Juifs exterminer la race. Au sanguinaire Aman nous sommes tous livrés; Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours; ESTHER. O Dieu, qui vois former des desseins si funestes, 1 « Quæ quum audisset Mardochæus, scidit vestimenta sua, et indutus est sacco, spargens cinerem capiti.» (Esther, cap. Iv.) 2 Mais le fer, le bandeau, la flamine est toute prête. Iphigénie, act. III, sc. v, p. 443. 3 « Jussimus ut quoscunque Aman, qui omnibus provinciis præpositus est, et secundus a rege et quem patris loco colimus, monstraverit, cum conjugibus ac liberis deleantur ab inimicis suis, nullusque eorum misereatur, quarta decima die duodecimi mensis Adar anni præsentis. » (Esther, cap. XIII.) UNE DES PLUS JEUNES ISRAÉLITES. Laissez les pleurs, Esther, à ces jeunes enfants. Où le nom des Hébreux doit périr sans retour'. ESTHER. Hélas! ignorez-vous quelles sévères lois Qui, sans être appelé, se présente à leurs yeux, Qu'il me cherche, ou du moins qu'il me fasse appeler. Quoi! lorsque vous voyez périr votre patrie, Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie! 1 « Venit summa dies et ineluctabile tempus En., 1. II, v. 323. 2 « Omnes servi regis et cunctæ quæ sub ditione ejus sunt norunt provinciæ, quod, sive vir, sive mulier, non vocatus, interius atrum intraverit, absque ulla cunctatione statim interficiatur, nisi forte rex auream virgam ad eum tetenderit pro signo clementiæ. » (Esther, cap. IV.) 3« Et quis novit utrum idcirco ad regnum veneris, ut in tali tempore parareris? » (Esther, cap. IV.) Que peuvent contre lui tous les rois de la terre? ESTHER. Allez que tous les Juifs dans Suse répandus, Me prêtent de leurs vœux le secours salutaire, (Le chœur se retire vers le fond du théâtre.) SCÈNE IV. ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR. ESTHER. O mon souverain roi', Me voici donc tremblante et seule devant toi! 1 « Omnes gentes quasi non sint, sic sunt coram eo.» (Isaïe, cap. XL.) 2« Si enim nunc silueris, per aliam occasionem liberabuntur Judæi; et tu et domus patris tui peribitis. » (Esther, cap. IV.) 5 « Vade et congrega omnes Judæos quos in Susam repereris et orate pro me. Non comedatis et non bibatis tribus diebus et tribus noctibus. » (Esther, cap. IV.), 4 Cette belle prière est tirée presque littéralement du livre d'Esther, cap. XIV. |