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Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
Il plut à ton amour de choisir nos aïeux :
Même tu leur promis de ta bouche sacrée
Une postérité d'éternelle durée.

Hélas! ce peuple ingrat a méprisé ta loi;
La nation chérie a violé sa foi ;

Elle a répudié son époux et son père,

Pour rendre à d'autres dieux un honneur adultère:
Maintenant elle sert sous 'un maître étranger.

Mais c'est peu d'être esclave, on la veut égorger:
Nos superbes vainqueurs, insultant à nos larmes,
Imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes,
Et veulent aujourd'hui qu'un même coup mortel
Abolisse ton nom, ton peuple et ton autel.
Ainsi donc un perfide, après tant de miracles,
Pourrait anéantir la foi de tes oracles,

Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons,
Le saint que tu promets et que nous attendons?
Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches,
Ivres de notre sang, ferment les seules bouches
Qui dans tout l'univers célèbrent tes bienfaits;
Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.
Pour moi que tu retiens parmi ces infidèles,
Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
Et que je mets au rang des profanations
Leurs tables, leurs festins, et leurs libations;
Que même cette pompe où je suis condamnée ',
Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée
Dans ces jours solennels à l'orgueil dédiés,
Seule et dans le secret, je le foule à mes pieds;
Qu'à ces vains ornements je préfère la cendre,
Et n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre.
J'attendais le moment marqué dans ton arrêt,
Pour oser de ton peuple embrasser l'intérêt.
Ce moment est venu! ma prompte obéissance
Va d'un roi redoutable affronter la présence.
C'est pour toi que je marche : accompagne mes pas
Devant ce fier lion qui ne te connaît pas;

Commande en me voyant que son courroux s'apaise,
Et prête à mes discours un charme qui lui plaise :
Les orages, les vents, les cieux te sont soumis;
Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis.

1 Où, à laquelle. C'est ainsi qu'Iphigénie a dit, acte III, scène v: Et voilà donc l'hymen où j'étais destinée !

On consultera avec fruit, sur les divers emplois du mot où, le Lexique comparé de la langue de Molière, par M. Génin. Ce sont des vestiges précieux de notre ancienne langue qui reparaîtraient avec avantage. Ronsard a pu dire :

Est-ce là le profit et le fruit que tu fais,
En prêchant l'Evangile où tu ne crus jamais?

SCÈNE V.

(Toute cette scène est chantée.)

LE CHOEUR.

UNE ISRAELITE, seule.
Pleurons et gémissons, mes fidèles compagnes;
A nos sanglots donnons un libre cours;
Levons les yeux vers les saintes montagnes
D'où l'innocence attend tout son secours.
O mortelles alarmes!

Tout Israël périt. Pleurez, mes tristes yeux':
Il ne fut jamais sous les cieux
Un si juste sujet de larmes.

TOUT LE CHOEUR.

O mortelles alarmes !

UNE AUTRE ISRAÉLITE.

N'était-ce pas assez qu'un vainqueur odieux
De l'auguste Sion eût détruit tous les charmes,
Et traîné ses enfants captifs en mille lieux?
TOUT LE CHOEUR.

O mortelles alarmes!

LA MÊME ISRAÉLITE.

Faibles agneaux livrés à des loups furieux,
Nos soupirs sont nos seules armes.

TOUT LE CHOEUR.

O mortelles alarmes!

UNE ISRAELITE.

Arrachons, déchirons tous ces vains ornements
Qui parent notre tête.

UNE AUTRE.

Revêtons-nous d'habillements
Conformes à l'horrible fête

Que l'impie Aman nous apprête.

TOUT LE CHOEUR.

Arrachons, déchirons tous ces vains ornements

Qui parent notre tête.

UNE ISRAELITE, seule.

Quel carnage de toutes parts!

On égorge à la fois les enfants, les vieillards,

Et la sœur, et le frère,

Et la fille, et la mère,

1 Pleurez, pleurez mes yeux, et fondez-vous en eau.

Corneille, le Cid, act. III, no. 1,

Le fils dans les bras de son père !!

Que de corps entassés! Que de membres épars,
Privés de sépulture!

Grand Dieu! tes saints sont la pâture

Des tigres et des léopards.

UNE DES PLUS JEUNES ISRAÉLITES.

Hélas! si jeune encore,

Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur?
Ma vie à peine a commencé d'éclore:
Je tomberai comme une fleur

Qui n'a vu qu'une aurore2.

Hélas! si jeune encore,

Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur?

UNE AUTRE.

Des offenses d'autrui malheureuses victimes,
Que nous servent, hélas! ces regrets superflus?
Nos pères ont péché, nos pèrès ne sont plus,
Et nous portons la peine de leurs crimes3.

TOUT LE CHOEUR.

Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats:
Non, non, il ne souffrira pas
Qu'on égorge ainsi l'innocence.

UNE ISRAÉLITE, seule.

Hé quoi! dirait l'impiété,

Où donc est-il ce Dieu si redouté

Dont Israël nous vantait la puissance?

UNE AUTRE.

Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux,
Frémissez, peuples de la terre,
Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux,
Est le seul qui commande aux cieux :
Ni les éclairs ni le tonnerre
N'obéissent point à vos dieux.

UNE AUTRE.

I! renverse l'audacieux.

UNE AUTRE.

Il prend l'humble sous sa défense.

TOUT LE CHOEUR.

Le Dieu que nous servons est le Dieu des combats :
Non, non, il ne souffrira pas

Qu'on égorge ainsi l'innocence.

1 Voltaire paraît avoir imité ce passage (Henriade, chant II, vers 26):

2

3

Le fils assassiné sur le corps de son père,
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère,
Les époux expirants sous leurs toits embrasés,
Les enfants a berceau sur la pierre écrasés.

« Purpureus veluti quum flos, succisus aratro,
Languescit moriens. >>

(Virg. Æn., 1. IX, v. 435.)

<< Delicta majorum immeritus lues. » (Hor., 1. III, od. vi, v. 1)

DEUX ISRAELITES.

O Dieu, que la gloire couronne
Dieu, que la lumière environne,
Qui voles sur l'aile des vents,

Et dont le trône est porté par les anges',

DEUX AUTRES DES PLUS JEUNES.

Dieu qui veux bien que de simples enfants
Avec eux chantent tes louanges;

TOUT LE CHOEUR.

Tu vois nos pressants dangers:
Donne à ton nom la victoire;
Ne souffre point que ta gloire
Passe à des dieux étrangers.

UNE ISRAELITE, seule.

Arme-toi, viens nous défendre.

Descends tel qu'autrefois la mer te vit descendre;
Que les méchants apprennent aujourd'hui
A craindre ta colère:

Qu'ils soient comme la poudre et la paille légère
Que le vent chasse devant lui 2.

TOUT LE CHOEUR.

Tu vois nos pressants dangers:
Donne à ton nom la victoire;
Ne souffre point que ta gloire
Passe à des dieux étrangers.

1 « Amictus lumine sicut vestimento... qui ambulas super pennas ventorum. » (Psal. CIII.) « Et ascendit super cherubim, et volavit, et lapsus est super pennas venti. » (IIe liv. des Rois, chap. XXII.)

Fiant tanquam pulvis ante faciem venti. » « Et sicut stipulam ante faciem venti.» (Psal. XXXIV).

Le poëte Racan a présenté la même image non moins poétique

ment:

La gloire qui les suit, après tant de travaux,

Se passe en moins de temps que la poudre qui vole
Du pied de leurs chevaux.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME.

Le théâtre représente la chambre où est le trône d'Assuérus.

SCÈNE I.

AMAN, HYDASPE.

AMAN.

Hé quoi! lorsque le jour ne commence qu'à luire,
Dans ce lieu redoutable oses-tu m'introduire?
HYDASPE.

Vous savez qu'on s'en peut reposer sur ma foi;
Que ces portes, seigneur, n'obéissent qu'à moi:
Venez. Partout ailleurs on pourrait nous entendre.

AMAN.

Quel est donc le secret que tu me veux apprendre?

HYDASPE.

Seigneur, de vos bienfaits mille fois nonoré,
Je me souviens toujours que je vous ai juré
D'exposer à vos yeux, par des avis sincères,
Tout ce que ce palais renferme de mystères 1.
Le roi d'un noir chagrin paraît enveloppé :
Quelque songe effrayant cette nuit l'a frappé.
Pendant que tout gardait un silence paisible,
Sa voix s'est fait entendre avec un cri terrible :
J'ai couru. Le désordre était dans ses discours;
Il s'est plaint d'un péril qui menaçait ses jours:
Il parlait d'ennemi, de ravisseur farouche;
Même le nom d'Esther est sorti de sa bouche;
Il a dans ces horreurs passé toute la nuit.
Enfin, las d'appeler un sommeil qui le fuit 2,
Pour écarter de lui ces images funèbres,
Il s'est fait apporter ces annales célèbres
Où les faits de son règne avec soin amassés,
Par de fidèles mains chaque jour sont tracés 3;

1 Après cet aveu, auprès d'Assuérus. 2 On a excusé ce présent comme une hardiesse poétique. Toutefois, c'est le seul temps qui convienne, puisque le sommeil n'est pas encore venu.

il n'y a pas d'équivoque sur le rôle d'Hydaspe

3 Cet usage des rois de Perse est attesté par Hérodote et Thucydide; c'était aussi celui des rois de France, et Racine, historio

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