Ce que tu m'as promis, songe à l'exécuter: JOAD. Sur-le-champ tu seras satisfaite : Je te les vais montrer l'un et l'autre à la fois. (Le rideau se tire. On voit Joas sur son trône; sa nourrice est à genoux à sa droite; Azarias, l'épée à la main, est debout à sa gauche; et près de lui, Zacharie et Salomith sont à genoux sur les degrés du trône ; plusieurs lévites, l'épée à la main, sont rangés sur les côtés.) Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois2. Vois-tu cette Juive fidèle Dont tu sais bien qu'alors il suçait la mamelle? ATHALIE. Ta fourbe, à cet enfant, traître, sera funeste. JOAD. Soldats du Dieu vivant défendez votre roi. ATHALIE. (Le fond du théâtre s'ouvre : on voit le dedans du temple; et les lévites armés entrent de tous côtés sur la scène.) Où suis-je ? O trahison! ô reine infortunée! 1 Dans les éditions faites du vivant de Racine, et dans les premières qui ont paru après sa mort, on ne trouve que ces mots: Le rideau se tire. Les indications qui suivent ont sans doute été ajoutées, dans la suite, pour faciliter la mise en scène d'Athalie. 2« Je ne connais point de plus grand coup de théatre. Voltaire a dit que le dernier tableau de Rodogune était plus fort. Oui, de terreur et d'horreur; mais celui-ci reunit la terreur, l'attendrissement, la pompe et la majesté. Cette pièce me semble, sous tous les rapports, le chef-d'oeuvre de l'esprit humain. » (La Harpe.) Dans le Dictionnaire philosophique, Voltaire dit, en parlant du dénoûment d'Athalie : « C'est là que la catastrophe est admirablement en action; c'est là que se fait la reconnaissance la plus intéressante chaque acteur y joue un grand rôle. On ne tue point Athalie sur le théâtre; le fils des rois est sauvé et est reconnu roi : tout ce spectacle transporte les spectateurs. »> D'armes et d'ennemis je suis environnée !! JOAD. Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux échapper, ATHALIE. Quoi! la peur a glacé mes indignes soldats! ABNER. Lui Joas! lui ton roi! Songez, méchants, songez SCÈNE VI. JOAS, ATHALIE, JOAD, ISMAEL, ET TOUS LES ACTEURS DE LA SCÈNE PRÉCÉDENTE. ISMAEL, à Joad. Seigneur, le temple est libre, et n'a plus d'ennemis : 1 « Audivit autem Athalia vocem populi currentis; et ingressa ad turbas in templum Domini, vidit regem stantem super tribunal juxta morem, et cantores et tubas prope eum, omnemque populum terræ lætantem, et canentem tubis, et scidit vestimenta sua, clamavitque: << Conjuratio! conjuratio! » (IVe livre des Rois. ch. XI, v. 13 et 14.) Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite'; ATHALIE. Dieu des Juifs, tu l'emportes*! Oui, c'est Joas; je cherche en vain à me tromper : (Athalie sort, les lévites la suivent.) 1 <<Dans cette belle peinture de la joie publique, le poëte n'oublie pas de faire remarquer que quelques Juifs éperdus ont pris la fuite. Il a été dit, au commencement de la pièce, que plusieurs étaient du parti d'Athalie, et adoraient Baal. Plus on examine cette pièce, plus on remarque l'ordre dans lequel tout se suit. » (L. Racine.) 2 Lætatusque est omnis populus terræ, et civitas conquievit. » (IVe livre des Rois, ch. XI, v. 20.) 3 « Ingressusque est omnis populus terræ templum Baal, et destruxerunt aras ejus, et imagines contriverunt valide; Mathan quoque sacerdotem Baal occiderunt coram altari. » (IVe livre des Rois, ch. XI, v. 18.) 4 Cette exclamation rappelle la parole que quelques auteurs prêtent à Julien mourant : « Tu as vaincu, Galiléen! » a Sic oculos, sic ille manus, sic ora ferebat. » 6 Voy. la note 1, acte IV, p. 661. Virg., Æn., 1. III, v. 490. JOAD. Qu'à l'instant hors du temple elle soit emmenée', SCÈNE VII. JOAS, JOAD, JOSABETH, ABNER, ET TOUS LES ACTEURS DE LA SCÈNE PRÉCÉDENTE. JOAS, descendu de son trône. Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction, Et ne souffrez jamais qu'elle soit accomplie : Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi : Et, saintement confus de nos égarements, 1 « Præcepit autem Joiada centurionibus qui erant super exercitum, et ait eis : « Educite eam extra septa templi; et quicun«que eam secutus fuerit, feriatur gladio, » Dixerat enim sacerdos: « Non occidatur in templo Domini. » Imposueruntque ei manus, et impegerunt eam per viam introitus equorum, juxta palatium; et interfecta est ibi.» (IVe livre des Rois, ch. XI, v. 15 et 16.) 2 Meurtris, mis à mort; c'est le sens primitif de ce mot, qui subsiste dans meurtre et meurtrier C'est ainsi les mots en les ramenant à leur source, et qu'il enrichit la langue que Racine rajeunit sans rien forger. 5 «Je croirais volontiers, dit M. Patin (Études sur les Tragiques grecs, t. III, p. 182), que Racine s'est souvenu d'une fort belle expression de Sénèque : gladii libido (Troad., v. 285), lorsqu'il a dit si hardiment: Si quelque audacieux embrasse sa querelle, Qu'à la fureur du glaive on le livre avec elle. » A Foi, métonymie, pour serment de fidélité. 676 ATHALIE, ACTE V, SCÈNE VIII. SCÈNE VIII. JOAS, JOAD, UN LÉVITE, ET TOUS LES ACTEURS DE LA SCÈNE PRÉCÉDENTE. JOAD, au lévite. Hé bien! de cette impie a-t-on puni l'audace ? LE LÉVITE. Le fer a de sa vie expié les horreurs. Avec joie en son sang la regarde plongée. JOAD. Par cette fin terrible. et due à ses forfaits, 1 « Discite justitiam moniti et non temnere divos. » 2 Voltaire, qui ne se fait pas faute, nous l'avons vu, d'imiter Racine, termine sa Semiramis par une moralité semblable: Par ce terrible exemple, apprenez tous, du moins, |