Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Comment le roy d'Armenye vint a Paris et alla le roy de France contre a grant compaignie. CXLIII.

Le dernier chapitre est relatif à l'entrée à Paris de Léon V, entrée qui, d'après la Chronique, eut lieu le 30 juin 1384. Notre auteur nous parle de l'accueil magnifique fait au roi d'Arménie par Charles VI et par les ducs de Berry et de Bourgogne, du dîner donné au Louvre en son honneur par le roi de France. Son récit s'arrête là, par conséquent au milieu de l'année 1384. Donc en plaçant entre cette année et le 29 novembre 1393, jour de la mort de Léon, la date de la rédaction de la Chronique, je crois être dans le vrai. Car, si elle avait été écrite postérieurement, l'auteur, qui était un chroniqueur officiel, comme il a soin de nous l'apprendre lui-même, n'eût pas manqué de nous tenir au courant des faits et gestes de son maître. Dans quel but a été composée cette Chronique? Deux causes peuvent être indiquées: ou bien l'auteur a voulu faire connaître aux Occidentaux le souverain malheureux et détrôné qui venait leur demander un asile, ou, en leur exposant les infortunes de ce prince et la triste situation de l'Arménie tombée au pouvoir des Infidèles, provoquer leur pitié et leur arracher des secours en hommes et en argent, qui eussent permis à Léon V de rentrer en possession de ses états. Quoi qu'il en soit, l'auteur a su faire une œuvre intéressante, qui se recommande et par l'abondance et par la précision des faits. Cette abondance et cette précision sont portées à un tel degré que le chroniqueur a dû vivre dans l'intimité et la confiance du roi Léon pour avoir pu le connaitre de la sorte. Mais quel était ce confident? Je pense l'avoir trouvé dans un personnage qui naturellement doit avoir eu une certaine culture intellectuelle et avoir pris une part active aux affaires de l'Arménie; selon moi, ce personnage ne serait autre que le confesseur du roi. C'est une opinion que ne manqueront pas de partager tous ceux qui étudieront avec soin la Chronique; c'est une conclusion qui se présente d'elle-même à quiconque connaît le cœur humain.

Pendant que le roi d'Arménie est en captivité au Caire, arrivent à Jérusalem « pluiseurs pelerins nobles, chevaliers et escuiers, et » aultres, entre lesquelz avoit ung religieux, nommé frère Johan » Dardel, nés d'Estampes en la province de France, et son compai»gnon, nommé frère Anthoine de Monopole, et aloient en peleri»> naige en Jherusalem et au mont de Sinay » 2. Jean Dardel était cordelier, comme nous l'apprend la rubrique; il est seul, avec son compagnon, désigné par son nom; rien des autres pèlerins, sinon qu'ils allèrent au Caire « faire reverence » au roi d'Arménie

Lyon le quint pour lequel sont faittes ces cronicques et histoyres » (Chap. XXI, fol, 11 vo).

2 Chap. CXV du ms., fol. 64.

qu'ils savaient dans les fers. Mais il est dit que frère Jean chanta la messe devant le roi, le jour de la sainte Marguerite, qu'il fut invité, après la messe, par le roi à demeurer avec lui, qu'il y consentit, sauf approbation de ses supérieurs, qu'après avoir été à Jérusalem demander cette approbation, il revint au Caire vers Léon qui « le >> retint pour son confesseur et resconfortoit le roy le dit frère Johan >> tous jours en toutes ses adversités au mieulx que il pouoit et sça» voit . . . Et demoura le dit frère Jehan et son compaignon jusques » a l'an MCCCLXXIX et escript de sa main partie de toutes les >> lettres que le roy envoioit en Ponent, c'est a dire ès parties de par >> decha ».

Plus loin nous voyons Jean Dardel, « de l'ordre des frères mineurs » de la province de France, qui par long temps avoit demouré avecques » luy (le roy d'Arménie) au Caire », investi « par instrument pu» blicque » d'une mission auprès de Pierre IV, roi d'Aragon, et, si besoin était en cas d'insuccès, auprès des autres rois de la chrétienté. Il reçoit de Léon l'anneau royal et part, muni de pleins pouvoirs, avec son compagnon, le 11 septembre 1379 3. Le 1er mars suivant, its arrivent à Barcelone; le 5, Jean Dardel présente au roi d'Aragon les lettres de son maître et le prie d'envoyer au soudan d'Égypte des messagers pour demander la délivrance du roi d'Arménie. Les négociations traînent en longueur pendant huit mois; Jean s'impatiente de ces lenteurs et supplie le roi d'Aragon de consacrer à la délivrance de Léon les revenus des églises de son royaume. Pierre promet à Dardel, par lettres scellées, une galère nommée la Victoire, et l'invite à l'armer, sachant bien qu'il n'en avait pas les moyens. Il espérait ainsi «< soy despeschier de luy ». Enfin, sur les instances réitérées de Dardel, il consent à envoyer au soudan d'Égypte, par un pèlerin, nommé Jean Alfonse de Loric, une lettre en faveur du roi d'Arménie, et il remet à Dardel des lettres pour les prélats et seigneurs de son royaume. « Et le dit frère Jehan porta ses lettres a grant mes>> chief de cuer par tout le royaume d'Arragon, en Catheloigne, en » Valence et en la conté de Roussillon et les presenta aus prelas et >> seigneurs du paiis et il respondirent que a ce faire leur devoit leur >> roy monstrer example et aultre chose n'en emporta le dit con>> fesseur »>.

Je pourrais suivre encore longtemps Jean Dardel et le montrer partout et toujours continuant à plaider avec le même zèle louable, les mêmes efforts persévérants la cause de son malheureux maître, et naturellement le chroniqueur ne nous faisant grâce d'aucun détail, d'aucun fait, d'aucune date quand il s'agit de Dardel, tandis que

Chap. CXXVI du ms., fol. 69.

d'autres personnages, beaucoup plus considérables, sont à peine l'objet d'une simple mention. Sa personnalité finit par remplacer presque celle de Léon V, et, quelque sympathique qu'elle soit, on ne peut s'empêcher de la trouver encombrante. C'est pourquoi, ne voulant pas donner sa biographie, je renonce à l'accompagner dans ses missions. Les lecteurs de la Chronique pourront, s'ils le jugent à propos, apprendre à le connaître plus amplement.

Je terminerai en mentionnant cependant encore un fait qui se rattache à l'histoire ecclésiastique de l'Italie. La Chronique nous apprend qu'en 1383 « le XIe jour d'avril nostre saint Père le pape prononça » en plain concitoire, present le saint collége, le dit frère Jehan, con» fesseur du roy, evesque de la cité de Tortible en recompensation » des boins services, painnes et travaulz que le dit frère Jehan avoit >> euz et soustenus pour l'onneur de sainte Eglise en poursievant » la delivrance du roy d'Armenye » 4, et qu'il fut sacré en l'église Notre-Dame de Ségovie au mois d'août suivant. L'évêché dont il est question et qui est dénommé ailleurs dans la Chronique Cortibery et Cortebery, est Tortiboli, suffragant de Bénévent, qui n'exista qu'au XIIIe et au XIVe siècle. Jean Dardel en fut le septième et avantdernier titulaire. Ughelli le nomme, mais ne le reconnaît pas comme évêque; il le qualifie d'intrus et, dans une note, il dit de lui: << Omittitur ut intrusus ». Ce qu'il rapporte de Dardel se borne d'ailleurs à cette simple phrase: « Johannes, electus hujus ecclesiæ » episcopus anno 1383 a pseudo Pontifice Clemente VII, solvit soli>> tum pensum 20 junii 16 ».

6

Comme conclusion, je pense qu'on peut vraisemblablement admettre que Jean Dardel est l'auteur ou tout au moins l'inspirateur de la Chronique d'Arménie.

4 Chap. CXXXVI du ms., fol. 77.

5 Chap. CXXXIX du ms., fol. 78.

ULYSSE ROBErt.

6 Italia sacra, t. VIII, col. 389.

II.

ÉTUDE SUR LA CHRONIQUE DE ZIMMERN

RENSEIGNEMENTS QU'ELLE FOURNIT SUR LA PREMIÈRE CROISADE

[Traduit par M. FURCY RAYNAUD ].

M. le docteur Barack a donné le premier, pour la Bibliothek des litterarischen Vereins in Stuttgart, une édition en quatre volumes, très complète et très bien faite, de la Chronique dite de Zimmern ; elle est écrite en dialecte souabe-alaman du XVIe siècle: cette publication a ajouté un document de la plus haute importance à la collection, déjà riche, des teates relatifs à l'histoire spéciale de l'Allemagne du sud, car elle renferme une foule de matériaux précieux pour les recherches historiques; désormais il ne sera plus possible d'écrire une histoire complète sans en tenir compte. Les deux seuls manuscrits connus de cette chron ique se trouvent à la bibliothèque du prince de Fürstenberg, à Donaueschingen 2. Ignorés jusqu'au XIXe siècle, ils avaient, il est vrai, été déjà retrouvés avant M. Barack; Lassberg 3, Ittner, E. Münch 5,

1 Zim merische Chronik, herg. von Dr. K. A. Barack, t. I-IV. Tübingen, 1869, in 8.o (vol. XCI-XCIV de la Bibliothek des litterarisch. Vereins in Stuttgart). Une deuxième édition, revue et corrigée, est en cours de publication; les vol. I et II ont paru en 1881; les vol. III et IV paraitront dans le courant de 1882. 2 Voyez Barack: Die Handschriften der fürstlich fürstenbergischen Bibliothek zu Donaueschingen, 1865, n° 580 et 581. La description exacte de ces manuscrits se trouve aussi dans l'édition de la Chronique de Zimmern, t. IV, pp. 447 et ss. Le Codex A n'est pas l'original, comme le porte la couverture; d'après Barack, c'est la première copie, mise au net sur parArchives de l'Orient latin, II, 1882.

chemin en caractères de chancellerie, vers le milieu du XVIe siècle: il ne contient qu'une portion, le tiers environ, de la chronique. Le cod. B formant deux forts volumes grand in-fol. est une copie sur papier du manuscrit A, auquel on a ajouté un grand nombre d'appendices et d'armoiries et autres peintures exécutées avec soin.

3 Liedersaal, II, p. LXXXI-LXXXIII.

4 Werke, publiés par le docteur H. Schreiber (1827), I, 255-256.

5 Geschichte der Hauses Fürstenberg, 1829, Vol. I,

P. XL.

2

« AnteriorContinuar »