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elles sont anonymes ne peuvent rien prouver ici, et il est donc inutile de les énumérer.

Deux seuls documents portant un nom propre sont cités par Le Quien dans cette période de 1239 à 1251, et attribués expressément, mais tout à fait à tort, à Élie ou Hélie Ier. C'est 1.o une constitution (sans date) concernant les chanoines surnuméraires de Sainte Sophie, et commençant par ces mots : « Nos frater Helias », etc 83. Le Quien attribue le décret à cet Hélie Ier, qu'il croit avoir succédé en 1239 à Eustorge. On va voir qu'il est d'Élie de Nabinaux, archevêque de Nicosie vivant au XIVe siècle. C'est 2.° un règlement d'Eudes de Châteauroux, évêque de Tusculum, légat apostolique en Orient, daté du mois de mars 1248, dans lequel l'archevêque de Nicosie, dont le légat venait de visiter la province, est ainsi désigné : venerabilis pater E. archiepiscopus 84. Le Quien voit dans cette citation. le même Élie Ier qu'il a créé; je la réclame pour Eustorge, et à bon droit évidemment, puisque un document de la même année 1248 et presque du même mois, 26 février, nous donne en toutes lettres le nom du métropolitain vivant et exerçant en Chypre: Eustorgius, Nicosiensis archiepiscopus 85.

Voilà donc un Eustorge, archevêque de Nicosie en 1248, qu'il faut absolument introduire dans les années attribuées à l'épiscopat d'Élie. Il y a plus: un autre document établit que ce même Eustorge siègeait à Nicosie, bien avant l'année 1248, avant même l'année 1240, et ne laisse par suite plus de place pour cet Élie Ier du XIII siècle, qu'on a trop facilement accepté et qui n'a jamais existé.

La 34 pièce du Cartulaire de Sainte Sophie, bulle du 8 des calendes d'avril, 14° année du pontificat de Grégoire IX, 25 mars 1240, prouve que l'archevêque de Nicosie s'appellait alors Eustorge; elle atteste en même temps que l'archevêque occupait depuis long temps, quod tu olim 8, le siège de Chypre et montre ainsi qu'il ne peut s'agir ici d'un second archevêque homonyme du précédent, d'un Eustorge II, qui aurait succédé au premier en 1239. L'identité de l'archevêque de Nicosie existant en 1215 et 1217, avec l'archevêque mort après 1240 et 1248 est donc bien établie. La mention de la chronique de Trois-Fontaines est donc une erreur certaine, soit du premier rédacteur, soit des compilateurs postérieurs; et la soudure

83 Le Quien, t. III, col. Labbe, Concil., t. XI, 2. partie, col. 2400. C'est d'après cet unique document, non daté, nous le répétons, mais placé à la sui ted'une constitution de 1251, que les Bénédictins (Art de vérif. les dates; Chr. des conciles, ann. 1298) et Le Quien ont fait remonter jusqu'à l'année 1251, l'emploi de la formule Dei et apostolice sedis gratia archiepiscopus, dans la chancellerie chypriote. Je n'ai pas trouvé d'exemple de cette formule dans les

actes des archevèques de Nicosie avant l'année 1292,
et avant l'épiscopat de Jean Ier d'Ancône, qui paraît
être le premier archevêque de Nicosie nommé direc-
tement par le pape sans l'intervention, mais avec l'as-
sentiment du chapitre.

84 Labbe, t. XI, 2. p., col 2400.
85 Hist., t. III, p. 648.

86 Cartul. de S.te Soph., n.° 34. Doc. Nouv. servant de preuves. Mélanges, t. IV, p. 345.

étant faite entre Eustorge de Montaigu, successeur d'Albert, avec l'archevêque Eustorge, nous n'avons qu'à poursuivre l'énumération des faits qui le concernent jusqu'à l'époque de sa mort.

Dans ce qui nous reste à dire de lui nous retrouverons le même esprit d'activité et de dévouement que les monuments nous ont montré aux premiers temps de son épiscopat. L'archevêque n'est pas toujours désigné nominativement dans les actes de cette seconde période pas plus que dans la première. La lettre E. seule l'indique quelquefois. Mais son nom se retrouve en entier dans plusieurs documents, soit en français, soit en latin: Eustorgius, en 1240 87; Eustorge en 1244 88; Eustorgius, en 1245 89; Estorgue, en 1247 Eustorgius, en 1248 91.

90.

,

Les anciennes difficultés avec le clergé grec étaient loin d'être appaisées et ne devaient pas se calmer de longtemps. Plutôt que de prêter aux évêques latins le serment d'obéissance et de reconnaître comme exempte d'hérésie la croyance latine sur les azymes, beaucoup de prêtres et de moines grecs, avaient préféré se retirer en Arménie avec leurs évêques et les vases sacrés des églises. Informé de ces faits, Grégoire IX chargea l'archevêque de Nicosie, de nommer des sujets latins à tous les postes devenus ainsi vacants et pria le pouvoir civil de prêter main forte, s'il le fallait, à l'autorité métropolitaine pour l'exécution de ses ordres. On n'insista pas heureusement sur ces mesures extrêmes et irréalisables. Le remède eut été pire que le mal, et la nécessité de retenir en Chypre les populations des campagnes amena forcément une transaction à cet égard 92.

En s'occupant des autres communions orientales, Grégoire IX recommandait aux prélats de Syrie d'aider l'archevêque de Nicosie à ramener à l'obéissance latine un grand nombre de Syriens, Jacobites et Nestoriens habitants l'ile de Chypre, qui au milieu des troubles religieux avaient perdu leurs chefs spirituels et erraient ainsi dans la foi comme de vrais acéphales 93. C'est à la date de ces dernières, exhortations que le pape s'adressant personnellement à Eustorge, archevêque de Nicosie, approuva les nouvelles créations qu'il avait faites pour augmenter le personnel de l'église métropolitaine

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roi de Chypre. Cartul., n.° 71.
Même date.
Lettre aux chevaliers du roy. de Chypre. Cartul.,
n.° 72.
Mème date, même objet. Lettre au pré-
cepteur et aux frères de l'Hôpital de Jérusalem en
Chypre. Cartul., n.° 74. Cf. Hist., t. I, pp. 357,
364, 392, etc.

93 Grégoire IX à l'archevêque de Césarée, à l'évèque de S. Jean d'Acre et au trésorier de Césarée, 25 mars 1240, de Latran. Cartul. de S.te Sophie n.° 35.

par la lettre que j'ai précédement citée, du 25 mars 1240 94. Sans compter ses chanoines, l'église de Sainte Sophie eut dès lors pour le service divin, dix prêtres attitrés, 5 diacres, 5 sous-diacres et dix acolytes, tous jouissant du revenu fixe qu'on appellait une assise.

Si Grégoire IX avait dû exhorter souvent les chevaliers chypriotes à remplir leurs obligations vis à vis des églises, Innocent IV et son successeur n'eurent pas moins d'occasions d'intervenir dans ces questions jusqu'à la grande constitution de 1260, qui les règla à peu près définitivement. Nous en trouvons la preuve dès les premiers mois du pontificat d'Innocent IV dans la lettre que le pape adressa au roi de Chypre le 4 août 1243 95 sur les instances réitérées de l'archevêque. Eustorge avait déclaré au S. Siège que les chevaliers chypriotes ne paraissaient pas devoir céder à de simples menaces d'excommunication et qu'il ne voyait d'autre moyen pour les contraindre à payer les dimes aux évêques que l'intervention du roi lui-même. Sans pousser les choses à l'extrême, Eustorge, autant qu'on en peut juger par les actes du Cartulaire, ne négligeait ainsi aucune occasion de défendre les droits de l'église; il veillait en même temps et avec la même sollicitude qu'autrefois aux intérêts généraux de la religion et au bien de sa cathédrale.

,

A sa demande, l'abbé de Citeaux confirma en 1244 la fondation à Nicosie d'une abbaye de l'ordre due à la générosité d'Alix de Montbéliard, belle-sœur du vieux sire de Beyrouth 96, fondation qui n'était peut-être qu'une dotation nouvelle et plus ample de l'abbaye créée par Eustorge en 1222 97. Une de ses chartes, qui est une vraie bulle épiscopale, car elle est scellée en plomb 98, nous montre que l'obligation pour la population grecque de payer la dime aux prélats latins n'était pas universelle et absolue, pas plus en Chypre que dans l'empire de Romanie. En 1245, une famille grecque obtient de l'archevêque et du chapitre de Nicosie la confirmation de sa propriété sur diverses maisons construites par le père sur un terrain appartenant à l'église de Sainte Sophie, moyennant la seule redevance annuelle d'un pain de cire 99. Mais ces conditions légères n'étaient que des avantages personnels et rares, motivés par des circonstances exceptionnelles.

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95 Anagni, 2 des nones d'Août, ann. I, Cartul. de S.te Soph., n.o 88.

96 Hist. de Chypre, t. III, p. 644. 97 Voy. ci-dessus, notes 57 et 58.

98. Le sceau de plomb d'Eustorge, déjà connu par le dessin de Paoli (ci-dessus, note 31), est ainsi décrit dans le Cartulaire,à la suite de la présente pièce, dont nous avons publié le dispositif:

• Cui privilegio erat imposita quedam vera bulla

Archives de l'Orient latin, II, 1882.

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Eustorge avait signalé au pape certains abus de pouvoir qui s'étaient introduits dans la collation de prébendes faite par ses légats au nom ou par ordre du Saint Siège dans quelques églises de son diocèse. Innocent IV lui promet en 1246 100 que nul délégué romain ne pourra désormais le contraindre à enregistrer de semblables nominations, qui ne lui paraîtraient pas nécessaires ou méritées. En 1247, il achète pour son église de Jean d'Ibelin, comte de Jaffa, l'auteur célèbre du Livre des Assises de Jérusalem un jardin situé à Nicosie et tenant d'un côté au jardin du sire de Beyrouth et de l'autre au jardin de l'abbaye de Notre Dame de Tyr 101 ce qui nous montre que, même avant la perte de S. Jean d'Acre, des établissements religieux portant des dénominations syriennes existaient déjà en Chypre. En 1248, par un nouveau contrat fait avec le comte de Jaffa, il place aux conditions ordinaires de 10 pour cent une somme de 12,000 besants d'or sur diverses villages du comte situés en Chypre; et il assure ainsi à son église un revenu de mille besants 102,

ΙΟΙ

Les monuments ne nous permettent pas de dire quelle part Eustorge put prendre aux évènements qui terminèrent la guerre des Impériaux en Orient et à la reconnaissance du roi de Chypre comme seigneur du royaume de Jérusalem. Ces évènements s'accomplissaient pendant que les Francs de Syrie, après quelques succès momentanés, se retrouvaient dans les plus grands dangers. Les Arabes avaient repris partout l'avantage; les populations se réfugiaient dans les villes de la côte, d'autres cherchaient leur sécurité jusqu'en Chypre. Le reste du royaume de Jérusalem semblait perdu, si une nouvelle croisade n'arrivait à temps pour arrêter les Sarrasins. L'archevêque de Nicosie et l'évêque de Limassol, dont les diccèses renfermaient le plus grand nombre des fugitifs venus de Palestine, reçurent du S. Siège l'assurance que pendant qu'ils auraient à pourvoir à la vie de ces malheureux fugitifs, nul délégué du S. Siège ne pourrait les appeler en jugement hors de l'ile de Chypre 103.

Ces garanties n'étaient pas de vaines faveurs. Elles épargnaient aux évêques des déplacements coûteux, pour répondre à des citations en cour de Rome quelque fois trop précipitamment lancées par les légats. Eustorge éprouva par sa propre expérience combien le désintéressement et le dévouement les plus notoires, étaient quelquefois insuffisants à préserver un vertueux prélat de la sévèrité des inspecteurs apostoliques.

Si active et féconde qu'eût été son administration, elle ne pouvait faire qu'une église datant à peine d'un demi-siècle et établie au mi

100 Cartul. de S.te Soph., n.o 16.

101 Hist., t. III, p. 647.

102 Hist., t. III, p. 648.

103

Innocent IV à l'archevêque de Nicosie et à l'évêque de Limassol. 21 janvier 1247, de Lyon.

Cartul. de S.te Soph., n.o 24.

lieu de races étrangères, fût, nonobstant ses richesses, aussi bien dotée d'institutions ecclésiastiques que les églises d'Occident. Eustorge, après avoir terminé la cathédrale et construit un archevêché, après avoir multiplié les maisons du clergé régulier, et étendu le domaine de son église, s'était plus occupé d'ajouter à l'éclat du culte et d'augmenter le nombre des prêtres et des desservants de Sainte Sophie que d'accroître le nombre de ses chanoines. La pensée d'élever l'importance des canonicats en leur laissant des dotations plus considérables l'avait peut-être engagé dans cette voie. Il est moins facile de voir les raisons qui l'empêchèrent d'exécuter les prescriptions du dernier concile général de 1215 pour la création d'écoles gratuites dans les églises cathédrales. Ce qu'il n'avait pas fait frappa le légat du S. Siège Eudes, de Châteauroux, beaucoup plus que les incontestables et nombreux témoignages de son dévouement à ses devoirs et à son église.

On pourrait le croire du moins d'après le décret que l'évêque de Tusculum publia en Chypre même, au mois de mars 1248 104, après avoir terminé la visite des églises du royaume. Il y signale trèsdurement l'oubli à peu près complet des décisions du concile général sur l'instruction des fidèles et sur la nécessité d'arracher le peuple à l'ignorance, l'ignorance, dit-il, source de tant d'erreurs et de sottises, ignorantia cunctorum errorum mater 105. Les écrivains qui accusent l'église d'obscurantisme devraient bien au moins lire les monuments de son histoire, remarquons-le en passant.

Le légat ordonne en conséquence à l'archevêque de Nicosie d'ouvrir immédiatement deux écoles gratuites dans son église cathédrale, d'abord une « école de la faculté de grammaire » pour donner les premières notions de l'instruction, et en outre une école de théologie, pour le degré supérieur. Dans les églises suffragantes, c'est à dire à Paphos, à Limassol et à Famagouste, devaient être établies sans retard de simples écoles de grammaire.

Les reproches du légat ne se bornent pas à ces questions. Poursuivant ses récriminations, il trouve le nombre des chanoines de Nicosie insuffisant et peu en rapport avec les revenus de la métropole; il décide donc qu'il y aura à l'avenir à la cathédrale douze chanoines au moins, nombre que personne ne trouvera excessif, dit-il, attendu qu'autrefois (antiquitus) avec des revenus moindres, l'église en avait eu jusqu'à seize 106. En même temps il organise d'une manière complète le chapitre de Nicosie déjà existant et y crée la dignité de doyen, pour l'un de ses membres qui prendra deux parts de chanoine et sera la première personne après l'archevêque au chapitre

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