Imágenes de páginas
PDF
EPUB

l'édition des Familles d'Outremer 130. Trompés une première fois par une fausse notion d'Albéric des Trois-Fontaines, et trouvant dans la collection des conciles, à la suite du décret lu par Hugues de Fagiano au cimetière de Nicosie le dimanche des Rameaux 1251, une constitution concernant les chanoines surnuméraires, sans date 131 mais au nom d'Hélie, archevêque de Nicosie (qui est Élie de Nabinaux du XIVe Siècle, 1332-1342), Du Cange et Le Quien l'ont crue de la même date que la pièce antérieure, ou de l'an 1252 132, et ont ainsi introduit au XIIIe siècle un archevêque Élie qui n'a jamais existé. Cette première erreur les a conduits à d'autres confusions et leur a fait attribuer à ce premier et imaginaire Élie, dont le nom peut s'écrire par un E. ou par un H., des faits concernant incontestablement Eustorge et Hugues.

Les savants rédacteurs des Familles d' Outremer et de l'Oriens christianus ne se sont pas seuls trompés sur la date de la constitution concernant les chanoines surnuméraires. Comme Du Cange et Le Quien, les auteurs de l'Art de vérifier les dates l'ont crue aussi de l'an 1251 33 et de ce fait erroné, ils ont tiré des conséquences diplomatiques qu'il faut rectifier. La formule: Dei et apostolicæ sedis gratia episcopus dont use a bon droit, au XIVe siècle, Élie de Nabinaux dans cette constitution, ne peut être ainsi vieillie de près d'un siècle et attribuée à l'an 1251. Le premier emploi authentique de cette formule célèbre ne paraît dans nos documents chypriotes qu'en 1292 et et 1298, sous les archevêques Jean d'Ancône et Gérard de Langres. Les auteurs du Nouveau traité de diplomatique ne citent qu'un exemple de la formule, antérieur aux nôtres sur un sceau de l'évêque de Bamberg de l'an 1287 134.

Nous avons eu l'occasion de parler ailleurs 135 des difficultés qu'Hugues de Fagiano eut avec le roi de Chypre au sujet des prélats grecs, auxquels le gouvernement accordait une protection trouvée excessive par l'archevêque latin. De nouveaux griefs étant survenus, Hugues frappa d'interdit le royaume de Chypre, et se retira en Italie pour ne rentrer dans l'ile qu'après la mort du roi Henri Ier, arrivée le 18 janvier 1253. C'est ce que nous apprend la chronique d'Amadi, à l'année 1253: » La terra che era interdita per l'arcivescovo Hugo » Pisan, per la rissa ch'era tra lui et el re Henrico, intesa la morte » del re, vene d'oltremare, et riconciliò la terra 136 ». Il faut donc retarder de plusieurs mois, et vraise blablement d'une année entière,

[ocr errors]

130 P. 846.

131 Labbe, t. XI, col. 2400. Constitutio Heliæ archiepisc. De canonicis supernumerariis.

132 Art de vérif. les dates. Conciles, t. I. p. 202, ann. 1298; voy. ci-dessus, note 83.

133 Nouv. traité, t. IV, p. 591, n.
134 Familles d'Outremer, p. 846.
135 Hist. de Chypre, t. I, p. 357.

136 Amadi, Chron. ann. 1253. Hist. de Chyp., t. I, p. 358-364.

en la reportant à l'année 1254, la constitution que l'archevêque Hugues aurait lue au palais archiepiscopal de Nicosie dès le 9 janvier 1253, suivant Labbe et suivant toutes les éditions des conciles 137. Mais on peut admettre que Hugues de Fagiano était rentré en Chypre dès les premiers mois de l'année 1253 et au commencement du règne du nouveau roi, Hugues II de Lusignan, encore mineur. Ce fut sans doute peu de temps après son retour, et après avoir levé l'interdit, qu'il réunit le synode et qu'il promulgua les deux statuts disciplinaires du 18 juin 1253, insérés dans les constitutions de l'église de Nicosie, recueil dû en partie à ses soins 138.

Il est difficile de croire que la cour de Rome ne fût pas informée le 30 mars 1254 de sa rentrée en Chypre. On trouve cependant à cette date dans les rubriques des lettres apostoliques une décision d'Innocent IV conférant au patriarche d' Antioche, dont le diocèse était envahi par les Turcs, l'administration et les revenus de l'église de Nicosie 39. Une semblable mesure se comprendrait pour l'époque où Hugues de Fagiano s'était éloigné une première fois de Chypre, de 1252 à 1253, ou plus tard vers 1261, lorsque par de nouveaux scrupules il résolut de quitter définitivement l'Orient, sans abandonner pourtant le titre d'archevêque de Nicosie. A la date où elle est mentionnée, dans les copies rapportées de Rome par La Porte du Theil, il nous est impossible de l'expliquer.

Nous retrouvons dès 1254, et dans les années suivantes, Hugues de Fagiano en Orient, exerçant l'autorité archiepiscopale à la tête de l'église de Chypre. C'est en cette qualité qu'il agit ou qu'il est mentionné, tantôt sous la seule désignation d'archiepiscopus Nicosiensis, tantôt nominalement Hugo, archiepiscopus Nicosiensis, dans divers actes de 1254 à 1257, qu'il faut énumérer rapidement. Le 29 janvier 1254, Innocent IV charge l'évêque de Tripoli et l'archidiacre de S. Jeand'Acre de prononcer sur la plainte que l'archevêque de Nicosie avait adressée au Saint-Siège au sujet de la vente d'un terrain (locum) où les religieux Mineurs de Nicosie s'étaient précédemment établis et qu'ils avaient ensuite vendu aux Cisterciens, contrairement à la règle de leur ordre, en vertu de laquelle le terrain abandonné par eux devait faire retour à l'évêque diocésain 14°. Le pape ne spécifie pas

137 Labbe, t. XI, col. 2384, chap. XXX, des Constitut. Nicosiens.; Mansi, Concil., t. XXVI, col. 318.

138 Chap. XXVIII, n° 1, et 2, des Constit. Nicos., Labbe, t. XI. col. 2383, Mansi, t. XXVI, col. 318. Le 1er de ces statuts rappelle aux laïques, sous peine d'excommunication, le respect qu'ils doivent témoigner par une tenue décente dans les églises à Dieu et à ses ministres. Le no 2, relatif à un sujet plus délicat, engageait le clergé regulier à modérer

son zèle de manière à ne pas nuire à la fréquentation des églises du clergé séculier, et particulièrement les jours fériés, à la fréquentation de l'église cathédrale de S. Sophie, laquelle, est il dit, est la seule église paroissiale des Latins à Nicosie. On crut bon de renouveler ces statuts en 1280 sous l'archevèque Ranulphe.

139 Hist. de Chypre, t. II, p. 68.

140 Cartul, de S.te Sophie, no 68, publ. dans notre Hist. de Chyp., t. III, pag. 651.

de quel terrain il est question, mais la rubrique inscrite en tête de la bulle et ainsi conçue: rescriptum de loco monasterii Belliloci, montre qu'il s'agit de l'abbaye de Beaulieu, monastère cistercien situé dans l'intérieur même de la ville de Nicosie 14. Le 6 mars 1254, Innocent IV envoi à son légat en Orient, Eudes de Châteauroux, la solution de différentes questions relatives à l'administration des sacrements sur lesquelles l'archevêque et les prélats latins de l'ile de Chypre n'étaient pas d'accord avec les évêques grecs 142. Le 10 mai 1254, Innocent IV défère au patriarche de Jérusalem l'examen des plaintes de l'archevêque de Nicosie contre ceux de ses fidèles qui s'adresseraient pour leurs devoirs spirituels au clergé régulier sans l'autorisation de leur curé 143. Le 6 août 1254, le légat Eudes notifie à l'archevêque de Nicosie un statut rendu à Saint Jean-d'Acre contre les simoniaques 144. Le 10 janvier 1255, l'archevêque, après une visite des églises de son diocèse, rend un décret pour recommander aux clercs l'assiduité aux offices 145. Le 13 janvier 1255, Alexandre IV engage le prélat à veiller toujours avec sollicitude sur la piété et les mœurs de ses ouailles 146. A la même date, le pape, s'adressant tant aux Grecs qu'aux Latins de l'île de Chypre, leur rappelle qu'ils doivent tous également obéissance à l'archevêque de Nicosie, leur métropolitain 147. Le 18 janvier 1255, à la suite des réclamations de l'archevêque, Alexandre IV engage la reine de Chypre à respecter les droits de l'Église 148. Le 28 du même mois et de la même année, Alexandre IV garantit à Hugues, archevêque de Nicosie, qu'il ne pourra jamais être contraint à recevoir un clerc pourvu, malgré lui, d'une prébende dans une église de son diocèse 149. Le 26 février 1255, Alexandre IV l'autorise à procéder, même par voie d'excommunication, contre les chevaliers et tous autres fidèles de son diocèse qui refuseraient de payer les dîmes dues à l'Église 150. Le 14 mai 1255, sur la plainte de l'archevêque de Nicosie, le pape charge l'évêque de Saint Jeand'Acre de veiller à ce que les exécuteurs testamentaires du feu roi Henri Ier de Lusignan remplissent l'intention qu'avait le prince de restituer certains revenus ecclésiastiques (vraisemblablement les dimes) injustement détenus par lui 15. Le 16 août 1255, l'archevêque Hugues, se trouvant à Saint Jean-d'Acre, arrête avec le grand-maître de l'Hôpital, Guillaume de Châteauneuf, une convention relative aux dimes.

141 Hist., t. III, pag. 651.

142 Rinaldi, 1254, § 7. Labbe, t. XI, col. 612; Cherubini, Bull. magn., t. I, p. 100; Reinhard, Hist. de Chyp,, t. I, pr. p. 49; Cartul. de SainteSophie, no 93, sous la date du 6 mai.

143 Cartul., no 38.

144 Labbe, t. XI, col. 2405; Mansi, t. XXVI, col. 343.

145 Chap. 32 des Constit. Nicos., Labbe, t. XI, col. 2386; Mansi, col. 322.

146 Cartul., no 13.

147 Cartul,, no 7.
148 Cartul., no 70.
149 Cartul., no 17.

150 Cartul., no 99.

151 Hist. de Chypre, t. III, p. 652.

dues sur les immeubles que l'ordre possédait dans la ville et le diocèse de Nicosie 152 Le 28 août 1255, Alexandre IV enjoint à l'archevêque de prononcer la nullité du mariage qu'avaient contracté, malgré leur parenté aux degrés prohibés, la reine de Chypre, Plaisance d'Antioche, veuve de Henri Ier, et Balian d'Ibelin, sire d'Arsur 15. Enfin le 30 septembre 1257, l'archevêque Hugues, après avoir prononcé un sermon dans son église cathédrale de Sainte Sophie, lit une constitution comminatoire, rendue nécessaire par la cupidité et les fraudes croissantes des usuriers et des courtiers de Nicosie, témoignage manifeste de l'augmentation de la population et du commerce de Nicosie sous les Latins 154.

Vers ce temps, Hugues fit réunir à la fin du Passionnaire 1s de la cathédrale, la plupart de ses statuts disciplinaires et quelquesunes des constitutions que lui avait adressées le légat Eudes de Châteauroux 156, Ces précautions, qui aidèrent l'un de ses successeurs à former le véritable cartulaire de Sainte-Sophie tel que nous l'avons aujourd'hui, semblaient annoncer des soins et des préoccupations qui sont les préludes ordinaires de graves résolutions.

Sans rien négliger des devoirs de sa charge, Hugues en effet était souvent découragé par les difficultés qu'il rencontrait dans ses rapports avec les clergés indigènes; il revenait ainsi involontairement à ses anciennes idées de retraite.

Les ménagements des rois de Chypre et du Saint-Siège lui-même, qui voulait amener graduellement la subordination des prélats indigènes sans les trop violenter, semblent ne pas avoir obtenu l'entière approbation de Hugues. La constitution chypriote de 1260, qui resta la loi de l'église latine en Chypre, avait bien décidé en principe la suppression de la dignité de métropolitain des Grecs, la subordination des évêques grecs aux prélats latins dans les quatre diocèses du royaume, et la nécessité pour l'évêque grec de résider dans un autre lieu que le siège du diocèse latin 17. Ces décisions organiques, maintenues toujours en principe, furent néanmoins, dans l'application, accompagnées de dispositions transitoires et de ménagements personnels que prolongèrent autant qu'ils le purent le régent et les barons de Chypre,

[blocks in formation]

dans l'intérêt de la paix publique. Le pape ayant décidé que le métropolitain actuel des Grecs, Germain, prélat universellement estimé, conserverait son titre et ses droits jusqu'à la fin de ses jours, Hugues de Fagiano crut prudent de s'éloigner, au moins momentanément, du pays. Le partage de l'autorité archiepiscopale lui parut une source de difficultés et de conflits incessants entre les deux rites. Il crut sans doute que sa retraite en amoindrirait l'aigreur et sauvegarderait mieux pour l'avenir la dignité de l'archevêque latin. Un secret penchant, né d'une grande simplicité de moeurs et d'une ardente. piété, l'attirait d'ailleurs vers la vie monacale. Il finit par en reprendre les habitudes et le costume. Mais, en s'éloignant de l'ile de Chypre, avec la pensée peut-être de n'y plus revenir, il conserva toujours son titre d'archevêque de Nicosie, et ne cessa de s'intéresser à la situation de l'église latine en Orient, même quand il remit à d'autres les soins de l'administration diocésaine.

L'époque précise de son départ de Chypre n'est pas connue. Nous pensons qu'il ne dut pas rester bien longtemps dans l'ile après la promulgation de la bulle d'Anagni du 3 juillet 1260. Et en effet, des actes précis témoignent de son passage en Syrie et de son séjour probable à Saint Jean-d'Acre, dès le mois de décembre 1260, et au mois de janvier 1261 158. Le 8 juillet suivant, 1261, il se trouvait encore à Saint Jean-d'Acre; il arrête, à cette date, avec le grandmaitre du Temple, Thomas Bérard, au sujet des dimes à payer sur les terres que possédait l'ordre dans la ville et le diocèse de Nicosie 159, un accord analogue à celui qu'il avait fait avec les Hospitaliers.

Les biographes pisans nous le montrent arrivé en Toscane au commencement de l'année 1263 160. Nous ne voyons rien dans les faits et les documents orientaux qui empêche de considérer cette notion comme certaine. Hugues s'occupait alors de la construction d'un monastère où il pût, sans renoncer entièrement aux occupations extérieures, venir, à ses heures et à sa convenance, se recueillir et prier en commun avec les chanoines ses confrères. Le projet qu'il avait tenté de réaliser à Lapaïs, il le reprenait et l'exécutait plus complètement dans son propre pays. I consacra à cette fondation. les ressources qu'il avait rapportées de Chypre et qui paraissent avoir été considérables, grâce à la sagesse de son administration, à son désintéressement personnel, allié toujours à une grande bienfaisance. Secondé par la générosité de l'archevêque de Pise, Frédéric Visconti, il choisit un domaine nommé Rezzano, dans la vallée du Calci,

158 Sauli, Galata, t. II, p. 201-202; Fontes rer. Austriac. Doc. vénitiens, t. III, p. 41-43.

159 Cartul. de Sainte-Sophie, n° 89.

160 Mattei, loc. cit. p. 97-112.

« AnteriorContinuar »