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Nous retrouvons dans les documents des témoignages de la sollicitude de l'archevêque pour son église. La forme coordonnée dans laquelle nous sont parvenues quelques unes de ses constitutions 247 montre les soins qu'il apportait à assurer la conservation des actes de son administration. On lui doit une mesure du même ordre et plus utile encore dans ses résultats historiques, c'est la confection du premier Cartulaire de Sainte Sophie Durant le cours de l'année 1322, il fit exécuter sous sa surveillance directe l'enregistrement des actes de l'église latine de Chypre, dont les originaux ou les copies se trouvaient un peu disséminés dans les coffres et les livres de la cathédrale. Des commissaires attitrés, juges et notaires, réunirent ces pièces dans la grande chambre de l'archevêché, en reconnurent la sincérité et les firent transcrire dans un registre spécial. Ce premier recueil qui comprend les actes de 1195 à 1292 sauf l'intercalation postérieure d'une bulle de 1492 (n.o 94) répond aux 106 premiers numéros du cartulaire actuel de Sainte Sophie conservé à Venise, cartulaire exécuté en 1524 sous l'archevêque Abdobrandino des Ursins. Le recueil de l'archevêque Jean forme en réalité le premier noyau et la plus considérable partie de ce recueil, car dans son ensemble et avec ses divers suppléments, le manuscrit de Venise ne renferme que 140 pièces environ.

La formation du premier cartulaire par l'archevêque Jean, en 1322, est ainsi rappelée en tête du ms. de Venise, après la propre déclaration d'Aldobrandino des Ursins : « In nomine Domini, amen. Anno » a Nativitate ejusdem millesimo trecentesimo vigesimo secundo, » indictione quinta, tempore domini Johannis pape XXII, ac reve>> rendi in Christo patris domini fratris Johannis, archiepiscopi Ni» cosiensis. Hoc est exemplum quorumdam privilegiorum, litterarum » apostolicarum, regum, legatorum sedis apostolice, baronum ad ec>>clesiam Nicosiensem spectantium in thesauro ejusdem ecclesie re» pertorum; quarum tenor inferius denotatur 248. » Le travail de transcription fut terminé le 9 juillet 1322. La mention suivante inscrite après le certificat des délégués, à la fin de la pièce n.o 106, le constate: << Actum Nicosie, in magna camera dicti domini archie>> piscopi, anno Domini millesimo trecentesimo vigesimo secundo, » indictione quinta, die nono Julii, presentibus dominis Guillelmo de » Aricio, canonico plebis Sancte Marie civitatis ejusdem, officiali » ejusdem domini archiepiscopi, fratre Marco de Vicentia, ordinis » Predicatorum, etc. ad hec specialiter vocatis et rogatis ».

Il est à remarquer que le cartulaire de l'archevêque Jean, pas plus que le supplément qu'y ajouta plus tard Aldobrandino des Ursins,

247 Labbe, Concil., t. XI, art. 2, col. 2424.

248 Cartul. de Sainte Sophie, n.o 1.

ne renferme pas les constitutions émanées des archevêques dont nous avons eu l'occasion de parler plusieurs fois. On n'a guère transcrit dans le cartulaire que les actes réglant Forganisation de l'église latine en Chypre, et une partie des actes relatifs aux propriétés de l'église provenant de donations, d'achat ou de fondations pieuses 249. Les décrets, les statuts capitulaires ou synodaux et tous les actes concernant la discipline ecclésiastique étaient évidemment copiés dans un recueil, ou dans des recueils différents. C'est par un registre de cette sorte que nous sont parvenues, sous le titre de Constitutiones Nicosienses, plusieurs conciles et les décisions administratives des archevêques de Nicosie de l'an 1248 à l'an 1354, qui forment une si précieuse annexe du tome XI des Conciles de Labbe 250.

En 1326, Jean del Conte fit transcrire à la suite de son cartulaire les pièces numérotées aujourd'hui 107 et 108, qui sont des actes de 1243 et 1245. Plusieurs années après sa mort, en 1339, on ajouta encore, avec les procédés ordinaires de l'enregistrement officiel, la pièce n.o 109 qui est du 20 janvier 1327 et qui appartient au temps de son épiscopat. Jean avait confirmé par cet acte une fondation pieuse du sénéchal de Chypre, Guy d'Ibelin. Les certificats joints à la transcription décrivent très en détail le sceau et le contre-sceau de l'archevêque. Le sceau oblong, en cire rouge et incrusté dans une gangue de cire commune était appendu à la pièce par des lacs de soie rouge. Il représentait dans la partie supérieure la Transfiguration de N. S., au-dessous un prélat en habits pontificaux ; tout autour était la légende: S. fratris Johannis, ordinis Predicatorum, Dei gratia, archiepiscopi Nicosiensis. Le contre-sceau, rond et en cire rouge, avait au centre un aigle et autour la légende: S. fratris Johannis, Dei gratia, archiepiscopi Nicosiensis 251.

L'archevêque Jean paraît avoir eu une dévotion particulière pour la fête de la Transfiguration de N. S. qui se célèbre au 6 août. Cette date se rattachait probablement à quelque circonstance mémorable de sa vie. On vient de voir qu'il avait adopté la Transfiguration comme emblème particulier de son sceau pontifical; il fit représenter encore la scène miraculeuse du Thabor en broderie sur un grand tapis dont il fit présent à l'église de Sainte Sophie avec d'autres riches orne

249 On y cherche vainement deux bulles pontificales, l'une du 27 août 1326, l'autre, du 8 mars 1356, toutes deux importantes et relatives au village de Psimolopho, situé dans le diocèse de Nicosie. Il s'agissait de savoir si les patriarches de Jérusalem, alors propriétaires de ce village, devaient payer la dime de ses revenus à l'archevêque. La dime fut déclarée exigible si elle n'excédait pas 120 florins d'or. Bibl. Nat., MSS. Suarez, XXIII, fol. 198. Arch. de PO. L., pp. 273, 281.

250 T. XI, 2. part, col. 2376-2441.

251 Le sceau du chapitre de S.te Sophie appendu également à l'acte, était en cire noire, sur lacs de soie rouge. Au centre, sept têtes de chanoines, autour la légende: Sigillum capituli Nicosiensis. Le contre-sceau représentait deux tètes de saints avec la légende S. Barnabas. S. Nichanor.

ments. En même temps, il embellissait son église de peintures murales; il y ajoutait des chapelles, une galerie et quelques ouvrages extérieurs 252. Il suivait ainsi l'exemple de ses prédécesseurs, qui tous avaient tenu à honneur de continuer l'oeuvre d'Albert et d'Eustorge. Le plan et les premiers travaux de l'édifice durent être modifiés vraisemblablement dans le siècle qui s'était écoulé depuis la pose de la première pierre. Jean II ne donna pas même à l'église de Sainte Sophie le dernier complément, qu'elle n'a peut-être jamais reçu. Mais l'ensemble de l'œuvre étant suffisamment avancé dans toutes ses parties, Jean II fit la consécration solennelle du monument le 4 novembre 1326.

Les chroniques chypriotes mentionnent ces travaux et la générosité de l'archevêque Jean pour les clercs et pour les pauvres de son église dans différents passages qu'il serait trop long de citer ici 253.

Jean del Conte n'était pas d'ailleurs absolument renfermé dans les choses ecclésiastiques. Sa position et sa naissance l'appelèrent plus d'une fois à prendre part utilement aux affaires politiques du royaume de Chypre. Dès l'année 1319, le pape l'avait chargé de s'employer à prévenir des hostilités entre les Génois et les Chypriotes, afin de donner le temps aux négociateurs de chercher une base de paix acceptable 254. Il fallut encore dix années d'efforts et de pourparlers continus pour arriver à conclure un traité, tant étaient grandes les exigences des Génois et la légitime irritation des Chypriotes contre les corsaires, que protégeait la république 255. Il avait été plus facile de s'entendre avec les Vénitiens. Un traité, préparé par l'archevêque Jean 256 et signé à Nicosie le 4 septembre 1328, renouvela les avantages que les accords antérieurs avaient donnés aux sujets de la république en Chypre.

Les calamités publiques offraient à l'archevêque l'occasion d'exercer son infatigable charité. En 1330, au mois de novembre, des inondations extraordinaires survenues dans l'île ayant particulièrement sévi à Nicosie, il ouvrit sa demeure et les églises de Nicosie aux malheureuses victimes du désastre, et leur livra les provisions entières de blé qui se trouvaient réunies dans les greniers de l'archevêché 257. C'est à ce dernier trait que s'arrête ce que nous savons de sa vie.

252 Amadi, fol. 242. Documents nouveaux. Mélanges, t. IV.

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253 Docum. Nouv. Mélanges, t. IV, p. 352. 254 Rinaldi, 1319, 10, ci-dessus., p. bis. 255 Hist. de Chyp., t. II, p. 157, 158. Traité de Nicosie de 1329. L'archevêque Jean n'assista pas à sa conclusion.

256 Infrascriptus est tractatus reverendi in Christo >> patris domini Johannis, archiepiscopi Nicossiensis, factus inter etc. » Hist. de Chypre, t. II, p. 142.

Parmi les témoins signant au traité se trouve

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En rappellant sa mort, survenue le 1er août 1332, les chroniques renouvellent l'éloge de son dévoûment pour son église, pour son clergé, pour les pauvres, pour tous les gens malheureux ou délaissés que pouvaient assister ou diriger ses conseils et ses ressources, les veuves, les orphelins, les jeunes filles dépourvues de dot.

Le souvenir de ses vertus et de son inépuisable bienfaisance 258 s'est conservé en dehors de l'ile de Chypre, car sa générosité, même après son établissement à Nicosie, n'oublia pas les églises de Toscane. În lit, à la date de son décès dans le mémorial particulier des Dominicains de Sainte Marie Nouvelle de Florence, qui avaient été plusieurs fois l'objet de ses munificences, que l'archevêque Jean de Polo mourut dans un dénûment presque absolu, parce qu'il ne gardait rien pour lui du magnifique revenu de 25,000 florins d'or dont il disposait: « Dominus frater Johannes de Polo, romanus, ordinis fra>>trum Predicatorum, et archiepiscopus Nicosiensis, de insula Cypri, >> migravit ad dominum in calendis Augusti MCCCXXXII, in dicta » insula, cum magno honore et gratia totius populi, propter quod » de XXV milia florenis auri quos habebat in redditibus nichil sibi » reservabat, sed omnia pauperibus (et religiosis mendicantibus) ero» gabat, nolens de crastino cogitare 259 ». Plusieurs actes conservés dans les archives du monastère portent cette mention: « De pecunia >> fratris Johannis de Roma, archiepiscopi Nicosiensis 260 ».

Jean del Conte continua dignement, comme on le voit, l'œuvre des Eustorge et des Hugues, qui avaient honoré le siège de Nicosie dans le siècle précédent par leur bienfaisante et vigilante administration. Rien ne dépérit sous son successeur..

XII. LE CARDINAL ÉLIE ou HÉLIE DES NABINAUX
ou DE NABINAUX. 1332.

Par une lettre du 16 novembre 1332, donnée à Avignon, Jean XXII nomma frère Élie de Nabinaux, Elias de Nabinalis, religieux franciscain et professeur de théologie, à l'archevêché de Nicosie 261. Le sujet

Sophia et in li monasterii et per le giesie ». Amadi, ann. 1330, fol. 241. Fl. Bustron 2. partie. MS. de Londres, fol. 3.

258 Docum. nouv. Mélanges, t. IV, p. 353. 259 Mattei, (Hist. eccl. Pisana, t. II., p. 53, n.) qui cite ce précieux fragment dans sa notice sur Hugues de Fagiano. (Mem. di più illustri pisani; t. IV, p. 111). Cf. not. Hist de Chypre, t. II, P. 72, n.° 3.

260 Mattei, Hist. eccl. Pis., t. I, p. 58, n. En 1325, l'archevêque de Nicosie avait donné à la cathédrale de Pise un grand amit brodé avec inscription, que l'on placait encore devant l'autel principal au jour .ommémoratif de la consécration de l'église, du temps de Mattei. Hist., t. II, app. p. 25, n. 261 Wadding, Annal. Minor., t. VII, 2. édit. reg. pontif., p. 449.

nommé directement par le S. Siège pour remplacer l'archevêque Jean, se trouvait en Europe et probablement dans le couvent de son ordre à Avignon. Amadi rappelle en ces termes son élection, son arrivée en Chypre et son son retour en cour de Rome: « Dapoi fu » fatto arcivescovo un Helia, frate minor, qual era in la corte de » Roma. Et vene in Cypro, et poi fu citato per il papa de andar a » Roma; et andato, fu fatto cardinale 262 ».

Baluze conjecture, avec vraisemblance, d'une lettre apostolique dans laquelle un Raymond de Nabinaux, du diocèse de Périgueux, est qualifié de damoiseau, que la famille même de l'archevêque de Nicosie était de quelque noblesse et appartenait au Périgord 263. On trouve dans cette province une localité de Nabinaux 264 qui est peut-être le berceau de sa famille. Plusieurs personnes du même nom et probablement de la même parenté, de Nabinalis ou Nabinallis, étaient alors fixés en Chypre. Du temps même du nouvel archevêque, Léger de Nabinaux fut doyen du chapitre de Sainte Sophie 265 position considérable, qui désignait souvent le titulaire au choix des chanoines et de la cour de Rome pour passer à un siège épiscopal. La bulle de nomination d'Élie exposait les principes nouveaux qui prévalaient alors dans l'église au sujet des nominations d'évêques. Les papes, surtout depuis leur établissement à Avignon, avaient pris l'habitude de pourvoir d'autorité aux évêchés vacants, sans autre désignation ni contrôle, que ceux de leurs propres agents. Bien plus, l'usage s'était établi de dispenser souvent de l'obligation de la résidence les clercs ainsi nommés à des évêches ou à des abbayes, et de les autoriser à gérer leurs bénéfices en simples commendes. Que de fâcheux abus ne soient sortis à la longue de ces nouvelles pratiques, nul ne le conteste. Mais il faut reconnaître aussi que cette extension du pouvoir apostolique, légitimée d'ailleurs par l'adhésion universelle de l'église, a eu pendant longtemps de grands avantages. Il permit aux souverains pontifes d'appeler dans leurs conseils et d'employer dans les affaires publiques les hommes le plus recommandables de la chrétienté entière par leurs talents et leur expérience. Pour nous, en restant dans les limites de notre simple exposition historique, nous pourrons voir la doctrine nouvelle nous donner la raison des fré

262 Amadi, fol. 242.

263 Benoît XII charge l'évêque de Famagouste d'absoudre Raymond de Nabinaux, domicellum Petragoricensis diocesis, et Pierre de Milhet, citoyen de Toulouse, de l'excommunication qu'ils avaient encourue pour avoir visité le S. Sepulcre sans la permission nécessaire. Lett. de déc. 1336, déc. 1337. Ex rubric, anni 3 Bened XII, c. 9. Baluze, Vita pap. Avenion, t. I, col 886; cf. notre Hist. de Chypre, t. III, p. 736, n. 2.

264 Près d'Aubeterre, ancien diocèse de Périgueux. Vte de Gourgues, Dict. de la Dordogne.

265 En 1339, 1340 et peut-être avant. Labbe, Concil., t. XI. Constit. Nicos, col. 2400, 2432; Cartul., de S.te Sophie, n.° 109, charte de 1339, dans la quelle figure Itier de Nabinaux, religieux fran

ciscain.

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