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»sade et y ont pris part » 1. Dans sa pensée, cela doit évidemment signifier que deux au moins de ces historiens ont été contemporains et témoins oculaires de la croisade: a-t-il tort ou raison? Ce point ne peut plus faire, pour nous, l'objet d'un doute; en effet, nous savons que Guillaume de Tyr est mort postérieurement à l'année 11842, et que Gui de Reims, si c'est, comme nous le supposons, Gui de Bazoches que le chroniqueur désigne sous ce nom, n'a vécu qu'à la fin du XIIe siècle. Ni l'un ni l'autre n'a donc pu être témoin oculaire de la croisade. Pour Guillaume de Tyr, l'auteur de la Chronique de Zimmern a dû savoir lui-même que cet écrivain n'a pas pris part à la première croisade, et pas un des contemporains du chroniqueur n'a dû le considérer comme un témoin oculaire de cette guerre; cela ne peut pas faire pour nous l'objet d'un doute. Abstraction faite de ce qu'il a continué son Historia jusqu'à l'année 1184, il dit luimême que, jusqu'à l'année 1142, il a emprunté son récit à d'autres, mais que pour tout ce qui est postérieur à cette date, et particulièrement à partir du règne de Baudouin III, il ne relate que ce qu'il a vu de ses propres yeux ou appris par le récit véridique de personnes qui assistaient aux événements 3. Il eût été difficile à l'auteur de la Chronique de Zimmern de se tromper à ce langage. Il est extrêmement probable qu'il avait sous les yeux l'édition de Bâle de 1549 4. Ainsi, il ne peut avoir attribué la qualité de témoins oculaires qu'à Robertle-Moine et à Gui de Reims. Pour le premier, c'était autrefois une opinion généralement admise 5, mais, jusqu'à ce jour, le fait n'a pas été démontré, bien qu'il faille sans aucun doute faire remonter la rédaction de l'Historia de Robert beaucoup plus haut qu'on ne l'avait cru dans les derniers temps 7. En tous cas, alors même qu'il n'aurait pas puisé à une source quelconque des renseignements à cet égard, l'auteur de la Chronique a dû considérer Robert comme un témoin

1 Chap. 1, p. 20; éd. Barack, 1, p. 76, 1. 88; 2e éd. p. 85, 1. 32.

2 L' Historia belli sacri de Guillaume de Tyr s'ètend jusqu'à l'année 1184: la date de sa mort est probablement postérieure à l'année 1184.

3 Guillaume de Tyr écrit au commencement du liv. XVI: « Quæ de præsenti hactenus contexuimus » historia, aliorum tantum quibus prisci temporis ple>>nior adhuc famulabatur memoria, collegimus ratione: >> unde cum majore difficultate, quasi aliena mendicantes suffragia, et rei veritatem, et gestorum se» riem, et annorum numerum sumus consecuti: licet » fideli, quantum potuimus, hæc eadem recitatione, » scripto mandavimus Quæ autem sequuntur dein» ceps partim nos ipsi file conspeximus oculata, par» tim corum, qui gestis interfuerunt, fida nobis patuit » narratione ».

4 Basilea, per Nicolaum Brylingerum et Joann. Oporinum, 1549. Ed. Philip. Poyssenot.

5 Par Blondus, Vossius, Lelong, l'Histoire littéraire de France, Mabillon, Morlot etc. Pour plus de détails, voy. Recueil des hist. occid. des crois., III, p. xliv, et s.; Potthast, p. 997, va jusqu'à donner l'Historia comme une source originale.

6 Voy. Recueil, 1. c., et Sybel, Gesch. des I. Kreuz, p. 50; 2e éd. (Leipz. 1881), p. 45.

7 C'est M. Riant qui le premier, a, de nos jours, appelé l'attention sur ce point (Epistola Alexii ad Rob. Flandr. Genève, 1879, p. xlj). Ce qui nous détermine à placer l'Historia de Robert dans les dix premières années du XIIe siècle, c'est que Guibert s'est inspiré de Robert; c'est un fait que nous escaierons de démontrer autre part. Pour le moment nous nous contentons de renvoyer aux passages que nous avons indiqués dans Peter der Eremite, p. 345

et s. notes.

oculaire, et il y a une particularité qui devait le confirmer dans cette opinion; ce sont les passages de l'Historia où Robert emploie généralement, au lieu du mot Franci, l'expression nostri ; mais ces passages sont tous empruntés à l'auteur des Gesta Francorum, témoin oculaire celui-là (c'est un fait hors de doute), et que Robert a copié presque mot pour mot. Au temps de l'auteur de la Chronique de Zimmern, l'Historia de Robert était répandue, en particulier en Allemagne, à un grand nombre d'exemplaires manuscrits 9; il en avait même été publié, dès cette époque, deux éditions imprimées, celle de l'année 1472 10 et celle de l'année 1533 ". C'était, sans aucun doute, du moins en Allemagne, la relation de la première croisade la plus connue 12.

L'auteur de la Chronique a dû, par les mêmes motifs, attribuer la qualité de témoin oculaire à Gui de Reims: disons le sans plus tarder; ce nom résonne à notre oreille d'une manière étrange, car, parmi les écrivains connus qui ont parlé de la première croisade, aucun ne porte ce nom. Nous connaissons bien un Gui de Bazoches 13, mais non un Gui de Reims; si ces deux noms ne s'appliquent pas à une seule et même personne, nous devrions avouer que nous ne possédons absolument aucun autre renseignement sur le dernier, et l'auteur de la Chronique indiquerait là une source historique absolument inconnue partout ailleurs. Mais il est, à notre avis, assez probable que le mot Remensis s'applique à Gui de Bazoches. On sait que Bazoches se trouve aux environs de Reims: or, Gui a fait un long séjour dans cette ville. Bazoches est un château fort, situé dans le département de l'Aisne, entre Soissons et Reims. C'était la maison. patrimoniale des Châtillon; les comtes de Blois descendaient d'une branche collatérale de cette famille. La branche aînée conserva le nom de Bazoches. Les Châtillon et les Bazoches habitaient Reims, Soissons et les environs. Dans ses lettres, Gui de Bazoches donne la description d'une villa voisine de Reims, où il passait l'été à l'époque où il était chantre à Châlons-sur-Marne. L'épithète Remensis convient parfaitement à un membre de la maison de Bazoches-Châtillon; de plus, au Moyen-Age, le mot Remensis, était synonime

8 Voy. entre autres, Recueil, 1. c., pp. 757, 759, 761, 763, 778 etc.

9 Voy. Riant, Epistola Alexii ad Robert. Flandr., p. xl. On connaît encore, à l'heure présente, plus de So manuscrits de Robert. Voyez, Ibid. p. lxiv et s. 10 Parue chez Ter Hornen, à Cologne en l'an 1472; on ne connait plus qu: quatre exemplaires de cette edition; trois sont à Paris, le quatirème à Bonn. Voy. Recueil des croisades, Hist. occid., III, p. 1j, et Peter d. Eremite, p. 9.

11 Parue avec d'autres écrits sous le titre de

Bellam christianorum principum, præcipue Gallorum

contra Saracenos, an. salutis 1097 pro terra saneta gestum, etc. Basil. 1533, in-fol. Voy. Potthast, Bibl. hist., p. 997. Recueil, 1. c., p. 1j.

12 Voy. Riant, p. xl: Robert avait été l'objet de plusieurs versions allemandes dont l'une imprimée au XV s. Voy. aussi Archives de l'Or. lat., I, 713.

13 Voy. les renseignements fournis sur cet écrivain par Riant, Note sur les œuvres de Gui de Bazoches, Paris, 1877, in-8°, Scheeffer-Boichorst, dans les Mon, Germ. SS. t. XXIII, 663, et Hagenmeyer, Peter der Eremite, pp. 26, 329.

de l'expression Champenois 14, que l'on emploie de nos jours; il nous semble donc que rien ne s'opposerait à ce qu'il y eût identité entre Gui de Reims et Gui de Bazoches. Cependant cette manière de voir peut, assurément, être erronée; en effet, comme l'auteur place le nom de ce Gui avant celui de Robert-le-Moine, cette circonstance pourrait être l'indication qu'il s'applique à un auteur qui aurait vécu avant Gui de Bazoches; dans ce cas, l'opinion que nous attribuons à l'auteur de la Chronique de Zimmern prendrait quelque vraisemblance, et il faudrait admettre que ce Gui était contemporain de Robert-leMoine et écrivait antérieurement à Guillaume de Tyr: mais il est évident que ceci ne serait plus applicable à Gui de Bazoches; car celui-ci, on le sait, vivait encore après la mort de Guillaume et s'est amplement servi de l'Historia belli sacri pour sa Chronographia 15. D'un autre côté, si Gui de Reims et Gui de Bazoches ne sont qu'une seule et même personne; il est singulier que Gui occupe la première place parmi les noms cités par le chroniqueur; en effet, sa Chronographia, le seul ouvrage pour lequel il puisse être mentionné ici, n'a qu'une très courte partie consacrée à la croisade, tandis que Robert et Guillaume ont exclusivement traité ce sujet; il se trouverait donc que le chroniqueur aurait placé au premier rang la chronique universelle du premier et au dernier l'histoire spéciale de la croisade du second. Mais rien ne démontre, dans la Chronique de Zimmern, que l'auteur se soit appliqué à suivre strictement la chronologie, lors même qu'il cite les autres sources auxquelles il a eu recours; tout au contraire, ses indications chronologiques, lorsqu'il en donne, ne reposent pas sur des bases bien solides, nous le verrons plus loin et le prouverons derechef à la fin de cette étude, et, sans doute, ayant sous les yeux divers écrivains, il lui paraissait difficile de distinguer la valeur plus ou moins grande de leurs récits à ce point de vue: nous devons donc nous en tenir à l'opinion que nous avons déjà exprimée, à savoir, que les plus grandes probabilités sont en faveur de l'identité de Gui de Reims et de Gui de Bazoches.

Maintenant, de ces trois ouvrages sur la première croisade, il est certain qu'il en est un au moins qui a servi à l'auteur de la Chronique de Zimmern, c'est l'Historia belli sacri de Guillaume de Tyr; en effet, il en reproduit des passages dans d'autres parties de sa Chronique 16, et, à la fin du manuscrit, dans la liste des sources auxquelles

14 C'est à l'amabilité de M. le comte Riant que nous sommes redevable de ces renseignements sur Bazoches.

15 Voy. aussi Scheeffer-Boichorst, Introduction de l'Alberici Chronicon dans les Mon. Germ. SS. t. XXIII, p. 663.

16 P. ex. t. IV, 242: le chroniqueur dit : « Guil

>> laume de Tyr, le savant auteur de l'histoire de Jé»rusalem, parle d'une Mélusine qui aurait épousé un seigneur français, nommé Hugues de Reteste et aurait » été la mère du sire Baudouin de Bourg, qui a été le » second roi de Jérusalem, après la mort du cher roi » Godefroi ».

il a puisé, il le nomme expressément 17. Il n'est point douteux que les quelques données sur Godefroi de Bouillon qui se trouvent dans la partie que nous étudions doivent provenir de Guillaume de Tyr, à moins qu'elles ne se trouvent aussi dans Albéric de TroisFontaines; en effet, il est non seulement possible, mais extrèmement probable, que c'est dans ce dernier qu'ont été puisés les renseignements en question sur Godefroi, de sorte que le chroniqueur ne les aurait reçus qu'indirectement de Guillaume de Tyr; nous reviendrons. sur ce point.

Il en est de même pour Robert-le-Moine et Gui de Reims. Si le chroniqueur les nomme de nouveau expressément dans la liste des sources qui se trouve à la fin de l'ouvrage 18, il n'en fait plus une seule fois mention dans tout le cours de sa Chronique, et comme nous n'y trouvons pas un renseignement que l'on puisse faire remonter directement à l'un ou à l'autre, nous devons douter qu'il leur ait fait aucun emprunt direct. Il est possible qu'il n'ait connu Gui de Reims que par ouï-dire, par les passages d'Albéric de Trois-Fontaines où celui-ci lui donne la parole 19; dans ce cas il ne s'en serait servi que d'une manière indirecte, comme, peut-être, il avait déjà fait pour Guillaume de Tyr, ainsi que nous l'avons vu. Quoiqu'il en soit, ce qui est positif, c'est que ni Robert, ni Gui n'ont pu exercer une influence sensible sur le récit que le chroniqueur fait de la première croisade.

Tout autre, au contraire, a été l'influence de ces « autres » auteurs, que le chroniqueur désigne vaguement dans la liste placée au commencement de notre extrait; et parmi eux il faut assurément compter au premier rang Albéric de Trois-Fontaines. On sait que l'histoire de la première croisade écrite par Albéric de Trois-Fontaines est une compilation puisée dans les relations de Guillaume de Malmesbury, de Guillaume de Tyr et de Gui de Bazoches; il nous serait donc permis de supposer que l'auteur de la Chronique de Zimmern a également connu le premier de ces écrivains: mais, comme il ne le nomme nulle part, nous devons admettre que les passages qui concordent avec ceux de Guillaume de Malmesbury sont uniquement extraits de la Chronique d'Albéric: c'est elle, évidemment, qui a servi de base au récit du chap. II de notre extrait: pour le démontrer, il nous suffira de citer ici le passage correspondant d'Albéric: << Godefridus Idæ filius imperatori Henrico contra Hildebrandum mi» litavit, et in oppugnando Romam partem muri quae sibi obtigerat

17 Elle se trouve à la fin du manuscrit B, de la page 1558 à la page 1561, et, dans l'édition de Barack, t. IV, p. 463-465. Ne pas confondre cette liste avec celle que nous avons donnée au chap. I. 18 Ibid. p. 464.

19 Voy. plus haut la note 13 de la p. 39. Jusque dans les derniers temps on croyait perdu l'ouvrage de Gui de Bazoches, retrouvé par M. Riant, et on ne connaissait de lui que les citations qu'Albéric de Trois-Fontaines en donne dans sa chronique.

» primus irrupit, postea præ nimio labore in nimia siti nimiuni vi» num hauriens febrem quartanam nactus est. Audita autem causa » viæ Hierosolymitanæ, illuc se iturum vovit, si Deus illi redderet » sanitatem. Quo voto emisso, vires ejus penitus refloruerunt 20 ». Ce passage n'est pas le seul où notre chroniqueur ait puisé ce qu'il dit de la campagne de Godefroi à Rome : dans un autre passage (ad añ. 1081), le même Albéric dit qu'en l'an 1081 l'empereur Henri se mit en marche sur Rome, et que Godefroi faisait partie de sa suite. Ce ne peut être également que le récit d'Albéric qui lui fait dire que Godefroi se procura par tous les moyens possibles l'argent nécessaire pour sa glorieuse croisade, et qu'il finit par vendre tous ses biens. Albéric dit, il est vrai: « Episcopo Leodiensi Otberto >> dux Godefridus castrum Bullionium venale exposuit, vivente adhuc » matre sua Ida et consentiente, pro mille et quingentis marcis » argenti »; mais il n'est pas le seul à parler ainsi; Gilles d'Orval affirme expressément que, tandis qu'il se préparait à partir pour Jérusalem, Godefroi « possessiones suas venderet et earum pretium >> secum deferret 22 »; le chroniqueur aura donc également connu le récit de Gilles. Il ne serait peut-être pas difficile de découvrir d'autres auteurs, originaires de la Belgique, qui lui ont fourni des matières pour son récit. Peut-être aussi a-t-il connu l'ouvrage de Jacques de Vitry 23 qui ne fait pas non plus partie de ceux dont il donne la liste à la fin de son ouvrage.

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Toutes les relations dont nous venons de parler étaient connues de l'auteur de la Chronique, et à chacune il a emprunté quelque chose pour former la base de son récit; mais toutes ont été composées par des Français, ou des Néerlandais, et ceux-ci ne se sont occupés, la plupart du temps, que des personnages originaires de leur pays. Or, il se proposait surtout de décrire la part prise par les Allemands à la première croisade; il devait donc rechercher d'autres sources de renseignements plus appropriés à son sujet, et, dans le nombre. il désigne comme les plus importantes et celles dont il s'est le plus inspiré, ce vieux Livre d'Alpirsbach, et cette tenture où l'on voyait des figures en tapisserie 24. C'est de là qu'il a tiré tout ce qui, dans son récit, a rapport aux sires de Zimmern. Quant aux autres renseignements relatifs au rôle des nobles ALLEMANDS, il les a assurément puisés à d'autres sources: ce ne sont plus les auteurs français et belges mentionnés plus haut, mais bien Bernold de Saint-Blaise 25 la

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25 Bernoldi Chronicon (Mon. Germ., SS., V, p. 400467).

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