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son esprit ajoutons encore que les villes de Tripoli et d'Acre ont été prises toutes deux avec l'aide des Génois.

Enfin, le dernier chapitre a aussi été emprunté au Codex d'Alpirsbach; cela ne nous paraît pas douteux, car l'auteur ne dit rien qui indique d'une manière certaine comment il a appris tous ces détails sur la seconde croisade de Frédéric de Zimmern et sur son repentir de sa conduite en Occident, ni d'où il a extrait cet épisode assez intéressant de la vie d'un des ancêtres de la famille de Zimmern. Il n'y a pas de raison de supposer que ce soit simplement une légende née à une époque postérieure. Frédéric de Zimmern est mort en Syrie 239 pendant le règne de Baudouin II, c'est-à-dire entre 1118 et 1131. Il est possible que ceux de ses parents qui étaient restés dans la patrie aient fait faire de soigneuses recherches sur les dernières années de sa vie; peut-être ont-ils emprunté leurs renseignements à des pèlerins revenus d'Orient, ou encore à des lettres dans lesquelles lui-même racontait ses aventures.

Quoiqu'il en soit, il ressort de tout ce qui précède que la Chronique de Zimmern, en nous présentant quelques tableaux très intéressants de l'histoire de la civilisation, mérite d'occuper un des premiers rangs parmi les petites relations de croisades écrites pendant la première moitié du XIIe siècle: c'est du moins ce que nous avons essayé de démontrer dans cette étude.

239 Il n'est point mort à Alpirsbach, comme le suppose Röhricht, Beitr. III, 50, car le chroniqueur dit

Henri HAGENMEYER.

positivement qu'il fut enterré en Syrie.

III.

ÉTUDE

SUR LA

DEVISE DES CHEMINS DE BABILOINE

I.

Le mémoire militaire, intitulé la Devise des chemins de Babiloine, a été rédigé près d'un siècle et demi avant la reconnaissance si précise et si complète des côtes de l'Égypte et de la Syrie, faite par Ghillebert de Lannoy. Il a été écrit sous le règne du sultan Melik ed Dhahir Beybars, après la conquête de Safed et avant la prise de St-Jeand'Acre. Il débute par un exposé des forces du sultan en Égypte et en Syrie; puis il donne, en onze courts chapitres, les indications de route nécessaires à une armée qui, ayant le Kaire pour objectif, déboucherait en Égypte par la route de Gazza, ou bien, après avoir débarqué à Damiette ou à Rosette, aurait à traverser les provinces de la Basse-Égypte. L'auteur de ces différents plans prévoit aussi le cas d'un coup de main sur Edkou, près d'Alexandrie, et celui où un corps d'armée, parti de Foua, ravagerait la province de Gharbièh jusqu'à la ville de Mahalleh, située non loin de la rive occidentale de la branche Tanitique du Nil.

Les noms des différentes localités citées dans la Devise des chemins de Babiloine, ont été, primitivement, écrits d'une façon très correcte. La forme, quelquefois peu exacte, sous laquelle ils nous sont donnés dans les différents manuscrits, n'est due qu'à l'ignorance ou à la négligence des copistes qui ont transcrit des noms dont l'origine et le

sens leur étaient complètement inconnus. La manière dont ils sont orthographiés, la terminaison du pluriel turc (ler) qui se trouve à la fin du mot de Kharroub (Kharroubler, les caroubiers), me font supposer que ces renseignements topographiques ont été donnés par un officier des milices turques fait prisonnier par les chrétiens.

Les historiens arabes, et parmi eux Khalil ed Dahiry et Maqrizy, nous fournissent de précieux détails sur l'administration militaire des Sultans Mamelouks; ils nous donnent le chiffre des troupes régulières et celui des contingents irréguliers qui pouvaient entrer en campagne. Il est nécessaire, toutefois, de tenir compte, dans leurs évaluations, de la différence notable qui a toujours existé, dans les armées orientales, entre le nombre des soldats inscrits sur les registres et celui des hommes présents sous les drapeaux.

L'armée régulière des Sultans Mamelouks avait son quartier général à la citadelle du Kaire. Elle se composait d'esclaves turcs ou circassiens et de soldats venus en Égypte pour servir sous des officiers de leur race. Elle était divisée en deux corps: les gens de la Halqah et les Djoundis ou Bahrièh, ainsi nommés sous les princes de la dynastie turque parce que leurs casernes s'élevaient sur les bords du Nil (Bahr). Cette organisation, établie par les Eyyoubites, subsista jusqu'à la conquête de l'Égypte par sultan Selim en 1517. « Ceux qui estoyent à » la soude du Soudan, dit Léon l'Africain dans sa description de l'Afrique, se divisoyent en quatre parties, dont ceux de la première » s'apelloyent Caschia (Khassekièh) chevaliers, lesquelz estoyent ex» cellens au maniement des armes; et d'iceux s'elisoyent les chaste>>lains, capitaines et gouverneurs des cités. Les uns avoyent gage de » la chambre du Soudan en deniers contans, et aux autres estoyent » distribuées les rentes des vilages et chasteaux. Les seconds s'apelloyent Esseifia (Seyfièh) qui estoyent fantes à pied ne portant aultres » armes que l'épée seule, et estoit prins leur salaire en la chambre » du Seigneur. Les tiers s'apelloyent Charanisa qui demeuroyent à l'expectative, lesquels estoyent provisionnez outre le nombre des sol» dats, sans avoir autre chose que leurs dépens; mais un des Mame>> lucs qui avoyent provision n'était pas plus tôt décédé, que l'un » de ceux cy entroit en sa place. Les derniers s'apelloyent Geleb » (Djoulban) et estoyent Mammalucs de nouveau venus qui n'avoyent » encore nulle cognoissance de la langue turquesque ny moresque et » qui n'avoyent encore su montrer paragon de leur proësse, ny fait >> aucune preuve de leur personne. » '.

1 Description de l'Afrique tierce partie du monde par Jean Léon l'Africain, premièrement en langue

arabesque, puis en toscane et à présent mis en françois. A Lyon, par Jean Temporal, 1556 in-fo, p. 361.

Ghillebert de Lannoy ne donne point des détails aussi précis sur les différents corps des Mamelouks, mais les renseignements qu'il avait recueillis offrent un réel intérêt. « Item, a tousjours, sy comme » on dit, ledict Soudan de Babilonne, tant au Kaire comme assez » près là, environ dix mille esclaves à ses gaiges, qu'il tient comme ses » gens d'armes qui lui font sa guerre quant il en est mestier, montez » les aucuns à deux chevaulz, les aucuns plus, les aucuns moins. Et » est à sçavoir que iceulz esclaves sont d'estranges nacions comme » de Tartarie, de Turquie, de Bourguerie, de Hongrie, d'Esclavonie, » de Wallasquie, de Russie et de Grece, tant des païs cristiens » comme d'autres. Et ne sont point appelez esclaves du Soudan » s'il ne les a achetez de son argent ou ne lui sont donnez ou » envoyez en présent d'estranges terres........... et les met de jeunesse » sus, petit à petit, en leur monstrant la manière de sa guerre et > selon ce que chacun se preuve, il fait l'un admiral de dix lances, » l'un de vingt, l'autre de cincquante, l'autre de cent, et ainsi mon» tant, deviennent l'un admiral de Ierusalem, l'autre roi et admiral » de Damasq, l'autre grant admiral du Kaire, et ainsi des autres offices » du païs...... Item, quant iceulz esclaves vont en guerre, ils sont > toujours de cheval, armez seullement de cuirasses meschantes, cou» vertes de soye et une ronde petite huvecte en la teste, et chacun l'arcq et les flesches, l'épée, sa mache et le tambour pour eulz > rassembler comme trompettes...... ».

Les soldats de la Halqah formaient la garde du sultan 2. Ils avaient reçu ce nom parce que, en campagne, leurs tentes étaient dressées en cercle (Halqah) autour de celle du prince. Leur nombre aurait dû être de vingt-quatre mille hommes, placés sous les ordres de vingtquatre émirs appelés Emir el Maich ou Mouqaddim el oulouf, c'est-à-dire chef de cent Mamelouks et marchant à la tête de mille hommes. Chaque compagnie de cent hommes était conduite par un officier désigné sous le nom turc de Bach (chef) ou sous le nom arabe de Naqib. Au-dessous du Bach étaient placés des émirs de Thabl Khanèh, ainsi nommés parce qu'ils avaient le droit d'avoir une musique militaire composée de trois timbales (thabl) et de deux trompettes. Les émirs de Thabl Khanèh étaient au nombre de quarante, et ils avaient chacun à leur service quarante Mamelouks. Puis venaient vingt émirs de vingt, cinquante émirs de dix, et trente émirs de cinq mamelouks. La solde des troupes de la Halqah était fournie par les revenus de certains fiefs militaires.

Outre ces deux corps de la Halqah et des Djoundis ou Bahrièh, le sultan pouvait conduire sur le champ de bataille dix mille Mame

2 Halqah signifie cercle, anneau. Joinville écrit exactement leur nom «lor gent de la Haulqa ».

Cf. Quatremère, Histoire des sultans Mameluks. I, page 197-202.

louks achetés par lui et faisant partie de sa maison, et huit mille autres appartenant aux grands dignitaires de l'État.

En cas de guerre, tous les bourgs et tous les villages de l'Égypte. et de la Syrie, depuis Djanadjil sur la frontière de la Nubie jusqu'à l'Euphrate, devaient fournir chacun deux cavaliers. Le nombre de ces bourgs et de ces villages était évalué à trente-trois mille.

Les contingents irréguliers se composaient des cavaliers des tribus arabes de l'Égypte, de la Syrie et du Hedjaz.

Les Benou Nouwaïr devaient en présenter vingt-quatre mille; les Bédouins du Hedjaz le même nombre, les Al Aly deux cents, les Arabes de l'Iraq deux mille, ceux de Yelemlem, sur les confins du Yémen, deux mille, les Metrouk mille, les Djerm mille, les Benou Oqbah et les Benou Mehdy mille, les Oumera mille, les Djoudham mille, les Ayd mille, les Fezarêh mille, les Qatil mille et les Douththab mille. Les petites tribus, répandues sur le territoire de l'Egypte, pouvaient lever trois mille cavaliers, et le nombre des Hawwarah .de la Haute-Égypte avait autrefois atteint le chiffre de vingt-quatre mille hommes. Ces Arabes Bédouins formaient la cavalerie légère et les éclaireurs des armées du Sultan. Ghillebert de Lannoy nous donne quelques détails à leur sujet...... « mais, il y a une autre manière de » gens nommez Arrabes qui grant partie habitent ès desers et plu» sieurs autres lieux en Egypte, lesquels ont chevaulz et cameulz et » sont très vaillans gens au regard desdis Sarrazins et se treuvent » grant quantité. Et font les aucuns à la fois guerres au Souldan » mesme, et sont gens de povres vivres et de povre habit et n'ont » autres armures que une longue lance et gresle, comme dardes plo»yans, et ont une targe en manière de grant bouclier..... et font » souvent guerre l'un contre l'autre, et n'ont villes, ne maisons, ains » dorment toujours aux champs, dessoubz huttes qu'ilz font pour sol» leil. Et de ceux cy, se le Souldan en avait à faire contre Cristiens, » n'est point de doubte qu'il en trouverait assez » 3.

Les Turkomans étaient établis depuis Gazza jusqu'à Diarbekr. Les uns occupaient les postes militaires du Liban et formaient les garnisons des places maritimes de la côte de Syrie; les autrès résidaient dans l'intérieur du pays. Les tribus qui avaient émigré en Syrie étaient celles de Qouthlou Bek, des Keupekoglou, des Saqalsiz, des Zoulghadroglou d'où sont sortis les princes qui ont régné sur la Caramanie, des Ramazanoglou qui fondèrent la principauté indépendante de ce nom dans le nord de la Syrie, des Erzary, des Bouzdjoglou, des Marachkou, des Ereky, des Utchaklou et des Bouzaklou. On portait à quatre-vingt mille le nombre de leurs combattants. Celui des

3 Voyages et ambassades, pp. 120-121.

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