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Quelques dates importantes de l'histoire des compagnies limousines.
Leur admission aux processions générales. Procession du 20 juin 1686.
Les Pénitents et le curé de Saint-Pierre.

Affaire de 1781: les compagnies

menacées d'être supprimées. La Révolution.

Pendant quarante-cinq ans, les Pénitents n'eurent que des processions particulières : chaque compagnie visitant à son tour, comme nous l'avons dit, au jour de sa fête patronale et le JeudiSaint, un certain nombre d'églises; mais ces associations ne prenaient part à aucune des grandes processions faites par le clergé et les communautés religieuses de la ville. En 1643, le Prieur des Pénitents Noirs, M. Du Boys de Chamboursat, adressa à l'évêché, au nom des cinq confréries alors existantes, une demande pour obtenir l'autorisation d'accompagner celle de l'Octave du Saint-Sacrement. Cette autorisation fut accordée le 26 mai par le vicaire général, en l'absence de l'évêque. Le Présidial s'en émut; les Consuls furent mandés le 6 juin devant les magistrats du siége, et défense fut faite aux prieurs d'innover aux usages établis. Les Pénitents obtinrent la levée provisoire de cette défense, mais sans qu'il fût rien préjugé sur le fond même de la question. L'affaire portée devant le Conseil privé, celui-ci cassa, le 7 août 1643, les arrêts du Présidial, reconnut à l'évêque seul le droit d'ordonner et de régler les processions, décida que les Pénitents continueraient, en vertu de la permission à eux donnée par le vicaire général, à assister à celle de l'Octave du Saint-Sacrement (1). Ils furent plus tard appelés à prendre part aux autres cérémonies de ce genre, notamment à la procession du 15 août, conformément au mandement de Mar de Carbonnel de Canisy en date du 14 juin 1700.

Ces jours-là, nous l'avons dit, les compagnies faisaient assaut de luxe et de magnificence. Une des plus belles processions dont les annales limousines nous aient conservé le souvenir est celle qui fut faite le jour de l'Octave de la Fête-Dieu, 20 juin 1686. Dans la curieuse relation qui nous en a été transmise, le passage concernant les Pénitents nous paraît offrir un intérêt tout spécial. L'auteur anonyme fait défiler devant nous chaque confrérie,

(1) Legros, Mélanges mss., T. I, p. 409. XVIIe siècle, p. 214.

P. Laforest, Limoges au

l'une après l'autre, suivant l'ordre que lui assigne la date de sa fondation. Ce sont d'abord les Pénitents Pourpres, chantant les litanies du Saint-Sacrement, tenant tous un cierge à la main, et précédés de leur croix processionnelle « couverte d'un voile de brocard rouge à fleurs »; puis les Feuille-Morte, dont la croix est garnie d'un « tabis feuille-morte, semé de larmes de fil d'argent, brodé de dentelle d'argent ». Les Gris suivent, avec six panonceaux d'argent et « un voile faict d'une moile à fond d'argent »; celui des Blancs est « d'une toile d'Hollande » qui a « une bordure dentelée fort propre »; la croix, « d'un bois fort luisant, travaillée avec bien de l'esprit, bordée tout autour de lames d'argent », a « un beau Christ et un soleil aussi d'argent ». Les officiers de la confrérie portent quatre bâtons d'argent surmontés de la figure d'un « agneau dans un soleil, aussi d'argent ». Derrière eux viennent les Pénitents Bleus, « qui ont l'honneur d'avoir un de nos rois pour confrère (1) dans le chemin royal de la croix », et dont le voile est « d'un très beau tabis, semé de fleurs de lis d'or, faites à l'aiguille, et bordé d'une dentelle d'or ». Les Noirs s'avancent les derniers; le prieur et le sous-prieur tiennent chacun à la main un bâton d'ébène, semé de larmes d'argent; deux autres officiers ont des cierges garnis de panonceaux du même métal. Leur croix est recouverte d'un voile de moire à franges d'argent. On évalue à six cents environ le nombre des confrères qui assistent à cette procession (2).

Notons que, pendant cent cinquante ans, les Pénitents de Limoges se montrèrent en public pieds nus; aux obsèques des confrères seulement, ils portaient des chaussures. Au XVIIIe siècle, la ferveur diminuant, l'usage prévalut parmi eux de paraître chaussés aux processions; mais le porte-croix et ses acolytes conservèrent l'ancienne coutume, et nous les avons vus jusqu'à nos jours y demeurer fidèles. Le droit de porter la croix était

(1) Allusion à l'affiliation aux Pénitents Bleus de Toulouse de Louis XIII (1622) et de Louis XIV. V. ci-dessus, chap. IV, p. 42.

(2) Le TRIOMPHE DU TRÈS-SAINT-SACREMENT ou la Procession célèbre qu'on fit à Limoges le jour que finissoit l'Octave de la Fête-Dieu, le 20 juin 1686, procession qu'on fait tous les ans, mais qu'on n'avoit plus fait avec tant de pompe et de magnificence. A Limoges, par Jean Legier, imprimeur et libraire, proche la Halle des Bancs. - Ce curieux opuscule a été réimprimé de nos jours (Limoges, Chapoulaud frères, 1877), par les soins de M. l'abbé Tandeau de Marsac.

conféré, par les statuts de certaines compagnies, aux titulaires d'offices déterminés; ailleurs ce privilége était mis aux enchères, comme l'étaient, dans la confrérie des Pourpres, celui de détacher le supplicié du gibet et celui de porter son cercueil.

En 1736, il s'émut une assez vive querelle entre les Pénitents et M. Juge, curé de Saint-Pierre. Celui-ci se plaignit à l'évêché de ce que, dans les enterrements des confrères, une place d'honneur fût réservée au chef de la compagnie. L'usage en effet s'était établi que, aux obsèques des associés, un officier, en costume et le bourdon à la main, marchât devant le corps, pour veiller au bon ordre et, en particulier, au remplacement des porteurs au fur et à mesure qu'ils étaient fatigués. Le curé alléguait plusieurs disputes et scandales, et demandait le retrait de l'espèce de privilège que les Pénitents s'étaient ainsi arrogé dans une cérémonie religieuse dont l'ordonnance appartenait au clergé seul. Les six compagnies adressèrent à Mar de Charpin de Genétines un mémoire signé: pour les Pénitents Noirs, du prieur Faulte; pour les Bleus, du sous-prieur de La Borderie; pour les Blancs, de Peyroche, conseiller; pour les Gris, du sous-prieur de Jayat et des trésoriers Messié et Texier; pour les Feuille-Morte, du sous-prieur Besse, et pour les Pourpres, du prieur David et du sous-prieur Laforêt. Ces honorables citoyens défendent leurs confrères et leurs associations d'avoir voulu usurper une place d'honneur au détriment du clergé; ils expliquent dans quel but un officier, aux funérailles des Pénitents, marche devant le cercueil, et affirment qu'aucun scandale ne s'est produit à l'occasion de l'usage dont il s'agit. Ils se rappellent seulement que, aux obsèques de l'archidiacre Michelon, l'hebdomadier chargé de célébrer le service funèbre repoussa l'officier de Pénitents qui était venu prendre la place accoutumée. Celui-ci n'insista pas, et cet incident ne donna lieu à aucune dispute fâcheuse. La plainte semble n'avoir pas reçu de suite. L'évêque se borna sans doute à exhorter les deux parties à la tolérance, à la charité et à la paix (1).

Les bayles des âmes du purgatoire de la paroisse de SaintMichel eurent aussi de fréquentes altercations avec les compagnies de Pénitents, dont les membres leur disputaient le droit de porter les cordons du drap mortuaire aux enterrements des

(1) Archives de la Haute-Vienne, liasse 1128.

confrères ou des personnes de marque. « Maintes fois », s'il faut en croire les doléances des Amiers, les Pénitents s'emparèrent <<< de force » des cordons, et se livrèrent « à des voies de fait scandaleuses ». L'évêque avait décidé, en 1748, pour mettre fin à ces discussions, que les bayles des âmes porteraient les cordons dans les églises et les cimetières, et que les Pénitents les prendraient dans les rues (1). Cette équitable décision ne fit pas cesser tout conflit, et les disputes continuèrent jusqu'à la Révolution entre Pénitents et Amiers.

Dans les processions, les compagnies de Pénitents étaient souvent accompagnées de personnages richement costumés, d'enfants surtout, représentant diverses scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament. A la grande procession du Saint-Sacrement de 1686, trois enfants habillés en anges marchaient en tête des Pénitents Pourpres, et portaient des cartouches sur lesquels étaient peints un saint-sacrement et deux cœurs, avec les devises: Caritas et Facite pænitentiam, les Blancs étaient également précédés d'un « garçon habillé en S. Jean », portant un <<< feston de feüillages » avec ces paroles: Parate viam Domini (2).

Cette confrérie a continué jusqu'à nos jours de faire marcher dans ses rangs, en souvenir de son patron, un enfant vêtu d'une peau de mouton, une houlette à la main, un cercle d'or surla tête et menant un petit agneau attaché par un ruban. - Les Pénitents Pourpres donnaient au peuple un plus attrayant spectacle: au milieu d'eux s'avançait un nombreux cortége, où l'on reconnaissait le « collége des apôtres » à la suite duquel figurait toujours saint Martial, et les saintes femmes, parmi lesquelles on distinguait Marie-Madeleine à sa riche chevelure blonde ou rousse, et la Véronique, à l'image sanglante qu'elle présentait aux fidèles. Nous verrons plus tard les Pénitents Violets du Stabat escorter les Macchabées. Ces représentations survécurent à la période révolutionnaire: elles subsistaient encore en 1827, époque à laquelle elles 'furent interdites, comme nous le dirons plus loin, par Mar de Tournefort, évêque de Limoges. Nous avons vu que des personnages et des scènes analogues figu

(1) Archives de la Haute-Vienne, liasse 164.

(2) Le Triomphe du Très-Saint-Sacrement, etc.

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raient et figurent encore aux processions de Perpignan; dans plusieurs autres villes ces usages ont longtemps subsisté.

En 1781, un incident de peu de gravité en lui-même faillit compromettre l'existence de nos compagnies de Pénitents. Les officiers du régiment Dragons-d'Artois, alors en garnison à Limoges, avaient, en plusieurs occasions, manifesté peu de respect pour les ecclésiastiques et pour les choses de la religion. L'un d'eux, se trouvant en face des séminaristes, dans une rue étroite, avait injurié les directeurs et affecté de faire avancer sur eux son cheval et ceux des hommes qui le suivaient, au risque d'écraser plusieurs personnes. Le chapitre de Saint-Martial, faisant la procession des Rogations, avait, à plusieurs reprises, rencontré des détachements de dragons qui avaient refusé de s'arrêter et forcé les chanoines et les fidèles à se disperser; le chapitre s'en était vengé en faisant fermer un jour, au moment même où se présentait la garde montante, les portes de la place des Arbres, dont il laissait la jouissance au public et où avait lieu tous les jours la parade (1). - Le 14 juin 1781, pendant le défilé de la procession du Saint-Sacrement, un officier de dragons entra dans les rangs de la compagnie des Pénitents Gris, et affecta d'y marcher le casque sur la tête. Cette inepte bravade troublait l'ordre de la cérémonie et blessait le sentiment de toutes les personnes présentes. Un des dignitaires de la confrérie alla à ce militaire et l'invita à se retirer. L'officier s'emporta: une altercation assez vive s'ensuivit. Toutefois, il ne paraît pas que le Pénitent ait frappé ou même touché le dragon du bâton processionnel qu'il tenait à la main. L'intervention du major du régiment, qui se trouvait à une fenêtre, mit fin à la scène; mais, au lieu de punir l'auteur de cette incartade, ce fut au Pénitent que l'on s'en prit (2). L'autorité voulut le faire saisir et jeter en prison: ses confrères prirent fait et cause pour lui; on réussit longtemps à le dérober aux recherches. Les compagnies furent alors dénoncées comme un ramassis de fanatiques et d'hommes malintentionnés. On pressa le Gouvernement de supprimer ces associations. Celui-ci, avant de décider de leur sort, voulut s'éclairer sur leur passé. L'intendant de la généralité reçut de

(1) Bullat, Tableau ecclésiastique.

(2) Legros, Continuation des Annales, p. 277.

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