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et accable leurs successeurs, ils ont eu la gloire de ressusciter la science du droit romain, et d'en saisir par une vive intelligence l'esprit et les principes.

<«< Un usage continuel des ouvrages originaux sur la science du droit, dit Savigny, leur en donnait une connaissance complète et familière, qui leur permettait d'établir avec succès des rapprochements ingénieux entre différents passages. Beaucoup de glossateurs ont un mérite qu'on peut regarder comme caractéristique, celui de tenir l'attention toujours fixée sur le sujet immédiat de leur explication; et au milieu même du plus grand luxe de comparaisons avec d'autres passages de la loi, on ne les voit jamais dévier de leur but pour se jeter dans des généralités trop vagues. » A côté du droit civil commença à fleurir aussi une autre jurisprudence, celle qui s'occupe des lois ecclésiastiques, des règles établies par les conciles, des décrets des papes et des maximes des Pères. Le droit canonique ou droit canon, c'est ainsi qu'on l'appelle, eut aussi au treizième siècle son Irnérius ou plutôt son Accurse. Le moine Gratien, né en Toscane, mais résidant à Bologne, avait trouvé les matériaux de la jurisprudence cléricale entassés pêlemêle dans des recueils sans critique et sans goût; il entreprit de faire un corps régulier de tous ces membres confus. Dans son ouvrage intitulé Décret, ou Concordance des canons, il établit d'abord les principes généraux de la législation, d'où il fit découler tous les droits ecclésiastiques; il distribua son sujet en chapitres distincts, appuya ses doctrines par les préceptes de l'Écriture et des Pères, par les constitutions des Pontifes et des Conciles; enfin il éclaircit ou concilia les autorités qui semblaient obscures ou contradictoires. S'il mit trop peu de critique dans l'adoption de certaines pièces apocryphes, s'il favorisa trop la puissance excessive de la papauté, il faut songer que son ouvrage parut vers 1150 et fut le point de départ de la jurisprudence ecclésiastique.

L'étude du droit, ainsi ranimée, jouit aussitôt d'une vogue merveilleuse en moins de cinquante ans toute la Lombardie fut pleine de légistes. Des universités furent bientôt créées à Modène, à Mantoue, à Padoue, à Naples, à Pise, et consacrées spécialement à l'enseignement du droit. Mais celle de Bologne garda toujours le premier rang. Elle comptait, dit-on, jusqu'à dix mille écoliers. Les professeurs étaient environnés d'une haute estime et comblés de faveurs. Les universités rivales cherchaient à se les dérober mutuellement, et les villes étaient obligées de leur imposer le serment de ne point les quitter pour enseigner ailleurs. Le zèle des professeurs répondait à celui des élè– ves. Les écoles étaient ouvertes avant le jour, et les chaires continuellement occupées jusqu'au soir; au point qu'on fut obligé de défendre d'enseigner à l'heure du dîner. On comprend cette avidité pour la parole des maîtres, à une époque où la rareté des livres faisait de l'enseignement oral le moyen presque unique de communiquer l'instruction. Il y eut même des femmes qui s'adonnèrent à l'étude et, dit-on, à l'enseignement public du droit. Novella, fille aînée de Giovanni d'Andrea, professeur à Bologne, se fit le suppléant de son père. « Quand il étoit occupé de quelque ensoine (affaire) pour quoi il ne pouvoit vaquer à lire ses leçons à ses écoliers, il envoyoit Novella, sa fille, en son lieu lire aux écoles en chaire; et afin que la beauté d'elle n'empêchât la pensée des oyants, elle avoit une petite courtine (rideau) au-devant d'elle, et par celle manière suppléoit et allégeoit aucunes fois les occupations de son père'. »

La médecine ne jeta pas moins d'éclat que le droit sur le premier réveil de l'Italie. Les couvents (le Mont-Cassin,

1. Christine de Pisan, citée par Ginguéné. — De nos jours Mlle Clotilde Tambroni a occupé pendant plusieurs années la chaire de littéra❤ ture grecque à l'Université de Bologne. Son nom a figuré jusqu'en 1817 parmi ceux des professeurs de cette illustre corporation.

l'abbaye de Farfa) avaient conservé, au neuvième et au dixième siècle, quelques traditions de l'art iatrique. Vers la même époque commençait la célébrité européenne de Salerne : des abbés, des évêques, des princes y venaient des contrées lointaines chercher l'espoir de la guérison. Il est probable que les Arabes, maîtres des provinces méridionales de l'Italie, apportèrent à Salerne leurs livres et leurs méthodes; il est certain qu'au onzième siècle la médecine y était cultivée depuis longtemps. Des femmes même s'y firent une grande réputation dans cette science, comme à Bologne dans celle du droit. Ordéric Vital nous parle d'une savante dame qui éclipsait alors tous les autres docteurs. Des traductions nombreuses firent connaître aux Italiens les médecins grecs et arabes. Le moine carthaginois Constantin, réfugié à Salerne et contemporain de Robert Guiscard, en fit à lui seul un grand nombre, dont quelques-unes nous restent encore.

Mais une autre œuvre, presque littéraire, a donné à l'école de Salerne une longue popularité; c'est un recueil de préceptes sanitaires, rédigés en vers latins, dont il ne reste que 373, la plupart léonins ou rimés, dont le style barbare ne s'impose que plus impérieusement à la mémoire du lecteur. Adressés à un piince que les auteurs appellent << roi d'Angleterre »,

Anglorum regi scribit schola tota Salerni,

et que Tiraboschi, après une savante discussion, suppose être Robert de Normandie, alors hôte de Robert Ier et gendre de Godefroy de Conversano. Ces vers, monument authentique de la célébrité de l'école, remonteraient donc au moins à l'époque de la première croisade 2.

1. Chronica ad annum 1059.

2. D'autres littérateurs, sur la foi de quelques manuscrits des vers salernitains, veulent, avec assez peu de vraisemblance, qu'ils aient été LITT. MÉR.

2

La société savante, cléricale, latine, quelque semblable qu'elle fût à elle-même dans toute l'Europe, avait donc en Italie, au douzième et au treizième siècle, un caractère distinctif. Tandis que Paris et Oxford se livraient tout entiers à la scolastique, l'Italie n'eut des écoles publiques de théologie qu'a rès l'année 1360. Lors même qu'elle cultiva cette étude, elle laissa toujours percer d'autres préoccupations. Elle donna à l'Occident les deux premières traductions d'Aristote 2; les lettrés de Venise et de Padoue, dans leur admiration fanatique pour Averroès, allaient jusqu'à dédaigner les apôtres et les Pères de l'Église. Enfin, par l'étude et l'enseignement du droit, l'Italie tendait à la fois les mains au glorieux passé de Rome et à l'avenir fécond de l'Europe moderne. C'était déjà de la Renaissance.

CHAPITRE III

FORMATION DE LA POÉSIE ITALIENNE

Imitation des troubadours.

Importance du mi ieu politique. La ville de Florence.
Influence de la France du nord.

Brunetto Latini.

Les progrès mêmes de l'instruction cléricale retardèrent la naissance de la littérature italienne. Toute la sève du

dédiés à Charlemagne. Il semble que dans certains manuscrits, aujourd'hui perdus, ces vers s'élevaient au nombre de 664. de 1096 et même de 1639 Vor Tiraboschi, S oria della letter. ital., III, p. 1, p. 395.

1. Tiraboschi, t V p. 137, 160, et H. Hallam, Histoire de la littérature, 1. 1, p. 19 (trad. franç.).

2. L'une entreprise par les ordres de Frédéric II, l'autre sous la direction de saint Thomas. Une troisième traduction fut faite excore, en Italie, à l'époque de la Renais ance, d'après le vœu de Nicolas V. Utinam lu Averroim pati posses, disait l'un d'eux à Pétrarque,

3.

talent se portait vers la langue latine, que les hommes instruits voulaient toujours, dans leurs regrets orgueilleux, regarder comme la langue nationale. La poésie ellemême, quand elle ne s'exprimait pas en hexamètres demibarbares, conservait encore ses dédains et ses préférences. Les chantres provençaux avaient pénétré en Lombardie par suite des relations politiques qui unirent la noblesse des deux pays. Les troubadours étaient accueillis et fêtés dans les cours féodales de Montferrat, d'Este, de Vérone et de Malaspina : séduite par leur succès, la poésie italienne se prit à parler leur langue; elle perdit un temps précieux à suivre cette mode étrangère de plus elle contracta, à l'école de ces dangereux maîtres, ces funestes habitudes de faux goût et de fade galanterie dont elle put difficilement se débarrasser même dans ses plus beaux jours 1.

Mais quoique entrée la dernière des contrées de l'Europe. dans la carrière de la poésie, l'Italie semblait prédestinée à y devancer toutes les autres. La lumière de la civilisation antique s'était moins éclipsée pour elle. Les invasions des barbares y avaient été moins sauvages; le système municipal avait concentré la vie sociale dans le sein de ses villes, où la féodalité l'avait moins facilement atteinte. L'industrie, le commerce, y renaissaient rapidement, et en même temps l'opulence et l'activité. La longue lutte de l'empire et de la papauté, l'insurrection glorieuse de la ligue lombarde, Milan deux fois ruiné, deux fois renaissant de ses cendres, l'héroïque bataille de Legnano, la démocratie triomphant à la paix de Constance, les dissensions mêmes des vainqueurs, ces guerres intestines si

ut videres quanto ille tuis his nugaloribus major sit. » Mém. de Pétr.,, tome III. page 759.

1. Nous prions le lecteur de vouloir bien se reporter pour ce qui regarde la poésie des troubadours, au chapitre XII de notre Histoire de la littérature française.

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