de l'est à l'ouest, c'est partout le même spectacle d'une expansion bien faite pour confondre l'imagination. Pour se rendre compte de l'accroissement subit de l'Ordre, il faut savoir que bon nombre d'hospices et de maladreries, fondées antérieurement, passèrent sous sa direction. Les seigneurs et les habitants, qui appelaient les religieux à la tête de leurs hospices, trouvaient dans ce changement les avantages d'un service plus éclairé et d'une charité plus généreuse, en même temps qu'ils assuraient à leurs hospices un personnel plus stable. Chose étonnante, non seulement l'Ordre succéda au clergé paroissial et à des communautés particulières; mais deux ordres très répandus, l'ordre de Saint-Jacques et celui des Frères Pontifes, lui cédèrent leurs hôpitaux. Nous touchons ici à des questions que la rareté des documents rend difficiles à traiter. Nous croyons pourtant devoir nous arrêter à des faits qui, établis d'ailleurs quant au fond, ne sont pas sans importance pour le sujet qui nous occupe. On connaît l'origine de l'ordre de Saint-Jacques. La découverte du tombeau de l'apôtre, au IXe siècle, dans la ville d'Espagne qui porta plus tard son nom, attirait en ce lieu un concours infini de pèlerins de toutes les nations, surtout de l'Espagne et de la France. Les Maures, encore maîtres d'une grande partie de l'Espagne, malgré les victoires de Ramire, leur tendaient de continuelles embûches et les dépouillaient impunément. Les chanoines de Saint-Eloi, qui avaient un monastère au royaume de Galice, bâtirent de leurs revenus, qui étaient fort considérables, des hôpitaux sur le chemin qu'on appelle communément Voie française, pour y loger les pèlerins'. Peu de temps après, vers 1170, treize gentilshommes s'unirent 'P. Hélyot, t. II, p. 257-258. aux chanoines et s'engagèrent par vœu à conduire les pèlerins et à les défendre contre les infidèles. Telle est l'origine de l'ordre militaire de Saint-Jacques de l'Epée Rouge, si célèbre dans l'histoire d'Espagne. Alexandre III l'approuva en 1175 et Innocent III en 1198'. Le zèle des hospitaliers de Saint-Jacques ne se borna pas à l'Espagne. La fin du XII° siècle et le commencement du XIII nous les montrent en possession d'un grand nombre d'hospices dans le midi de la France. La Gascogne en particulier, lieu de passage des pèlerins, possédait des maisons de secours échelonnées le long des deux grandes voies romaines qui reliaient l'ouest de la France à l'Espagne. On appelait ces chemins « les chemins roumiens», ou les chemins de Saint-Jacques; les commanderies, hôpitaux et auberges qui les bordaient, portaient le nom d'hôpitaux de Saint-Jacques ou de Spatha (de l'épée). Le premier itinéraire des pèlerins partait de Toulouse et, traversant la Gascogne de l'est à l'ouest, aboutissait à Saint-Jean-Pied-de-Port, et poursuivait à Astorga, Léon et Compostelle. Il est mentionné pour la première fois entre Toulouse et Auch en 1180; des hospices se trouvaient, sur cette route, à Maubourguet, Montesquiou, l'Isle-de-Noé, Serregrand, la Gors, Auch, Aubiet, Saint-Jean-le-Vieux, Le Luc, Armeau, Orthez, l'Hôpital d'Orion, Orion, Sauveterre, Saint-Jean-Pied-de-Port. La seconde voie partait de l'abbaye du Grand-Sauve et traversait les Landes par deux routes différentes. Ceux qui P. Hélyot, ibid. F. Bladé, Ordres religieux et milit. de la Gascogne (Revue de Gascogne, t. XVIII, 1877, P. 345-355). Les constitutions de l'Ordre, confirmées par Honorius III en 1231, étaient empruntées à la règle de saint Augustin. La marque distinctive des chevaliers de Saint-Jacques était une épée de drap rouge à la garde en forme de croix, cousue sur la poitrine du côté gauche: c'était le symbole de leur vocation à la fois guerrière et charitable. (Hélyot, ibid. Hermant, Hist. des religions ou ordres militaires, 1704, p. 57-59.) Adrien Lavergne, Les chemins de S. Jacques en Gascogne (Revue de Gascogne, t.XX, 1879, p. 363). voulaient aller à Compostelle par mer, se rendaient à Cap-Breton, dans les Landes, par Langoiran, Portets, l'Hôpital de Bessaut (écart de Lencouacq), Mont-de-Marsan. Ceux qui préféraient la voie de terre passaient par Bordeaux, l'Hospitalet de Béliet, Muret, Vieux-Boucau, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz, et suivaient de là le premier itinéraire '. Tous les lieux cités possédaient des hospices de SaintJacques, stations naturelles des pieux voyageurs'. Comment la plupart de ces maisons, sinon toutes, sont-elles venues en possession de l'ordre du Saint-Esprit dès le commencement du XIIIe siècle (avant 1220)? Nous ne l'avons pu découvrir. Il est probable toutefois que l'ordre de SaintJacques, après avoir fondé tant d'hospices, se sera trouvé impuissant à les desservir et aura été tout heureux de trouver, dans les enfants de Gui de Montpellier, de précieux auxiliaires. Telle est du moins l'explication qui nous paraît la plus naturelle'. Une question plus difficile encore, est celle des relations de l'ordre du Saint-Esprit avec celui des Frères Pontifes. Elle a été posée par Pierre Saulnier en ces termes : «< Si dans cet ouvrage il m'était permis de donner quelque place à la conjecture, je ne penserais pas errer beaucoup, en revendiquant pour l'ordre du Saint-Esprit, saint Jean Benezet, le thaumaturge de l'Occitanie, le constructeur Pontife d'Avignon, l'architecte inspiré du ciel pour un ouvrage digne de la force de Samson*. » Il apporte ensuite 'L'abbé Pardiac, Histoire de saint Jacques le Majeur et du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle (Revue de Gascogne, t. IV-VI, 1873-1875). Outre les hospices de ces voies principales, l'Ordre en possédait dans bien d'autres lieux, comme l'Ile-en-Jourdain, Boulac, Thésiers, Gaillac, etc. * On a confondu souvent les chevaliers de l'Epée Rouge avec les chevaliers de S. Jacques de la Foi et de la Paix, créés aux XIII' siècle par Amanieu I, archevêque d'Auch, pour combattre les Albigeois, et dont les derniers survivants se donnèrent à l'ordre des Feuillants en 1663. Les documents du XVII siècle concernant l'ordre du Saint-Esprit témoignent plus d'une fois de cette confusion. De capite sacri ordinis... p. 64. |