enclin à comprendre dans sa signification originelle le monument des Jardins d'Athènes, et à tenir à ce qu'une reproduction fidèle, au moins pour l'essentiel, en présidât au théâtre. Le nom de Milo paraît avoir pour racine un mot grec qui signifie pomme, ou plus généralement fruit. Ce fut une allusion, peut-être, à la forme de l'île qui est à peu près ronde. Peut-être aussi fut-ce une formule de consécration à Vénus, patronne des jardins, déesse des fruits comme des fleurs. Des médailles de Milo portent au revers, par allusion, sans doute, à ces faits et à ces idées, une fleur entr'ouverte, qui paraît être une fleur de pommier. D'autre part, sur une médaille de Magnésie du Méandre, ville d'Asie Mineure, qui avait, sans doute, avec Milo des relations d'intérêt et d'amitié, on voit une femme avec l'exergue : À la Vénus des Méliens. On doit en conclure que Vénus était l'objet à Milo d'un culte tout particulier, et même que probablement elle était la patronne de l'île. S'il en était ainsi, il était naturel que Milo se procurât pour l'ornement significatif de son théâtre une imitation de quelqu'une des plus belles images de Vénus qu'eût produites le ciseau grec. Milo, de plus, avait été conquise et colonisée au ve siècle par les Athéniens. Lysandre les en déposséda et soumit l'île à Lacédémone, et l'on ne sait plus rien pour les époques suivantes de l'histoire de Milo. Mais il est permis de présumer que la colonie athénienne, qui n'avait pas dû disparaître entièrement, reprit peu à peu le dessus. Rien n'était plus propre que le génie attique à développer les ressources que fournissait à Milo sa situation maritime. L'île devenue riche ambitionna de se donner un théâtre; elle le commença, si elle ne put l'achever, sur une grande échelle. Rien de plus naturel encore que de supposer qu'elle voulut alors y installer, dans une image d'une beauté exceptionnelle, la déesse qui était à la fois sa patronne et, en qualité de régente supérieure des destinées, celle de la poésie dramatique, et qu'elle tira cette image du monument athénien où était représentée dans ce grand rôle la Vénus céleste. On s'explique facilement ainsi que ce soit à Milo qu'il ait été trouvé une des plus belles répétitions qui aient, sans doute, été exécutées de la Vénus des Jardins et, en même temps, une des plus fidèles. Dans un temps où l'usage s'était établi de représenter Vénus ou nue ou au moins demi-nue pour offrir en elle un modèle accompli de toutes les beautés, Milo pouvait vouloir que l'artiste qui exécuterait pour son théâtre une imitation du chef-d'œuvre d'Alcamène et de Phidias ne lui laissât pas la tunique qu'avait exigée la sévérité religieuse des habitudes du ve siècle. La Vénus de Milo ne dut conserver du costume de son prototype que le manteau qui enveloppe la partie inférieure du corps. Il se peut que la Vénus primitive ne tînt pas un fruit; que, par exemple, conformément au motif qu'offre le groupe trouvé à Locres (1), elle s'appuyât de ses deux mains croisées sur l'épaule de son compagnon. Milo dut vouloir, en tout cas, que sa Vénus à elle tînt une pomme. Elle figurerait ainsi, en même temps que la reine du ciel, la patronne spéciale de l'île dont la forme était celle d'un fruit, et qui avait pris pour insigne une fleur. Enfin on comprend aisément et qu'on ait rendu à la Vénus de Milo, dans cette île, un culte exceptionnel, qu'attestent, avec la médaille de Magnésie, les riches ornements dont on crut bien faire, à une époque tardive, de la charger, et que, au temps des luttes violentes du christianisme contre le paganisme, (1) Pl. VII, fig. 4. se rappelant, en présence des signes de ce culte, les idées qu'on se faisait alors de la déesse de Cythère et de Chypre, des adeptes ardents de la foi nouvelle lui aient infligé, en signe d'aversion et de malédiction, toutes sortes d'outrages. On frappait ainsi dans la Vénus céleste la Vénus inférieure qui peu à peu l'avait fait oublier, Le temps était loin alors où l'on pourrait venir à reconnaître dans la Déesse-colombe, maîtresse du monde par la seule douceur, une figure prophétique de la divinité même au nom de laquelle un zèle imparfaitement éclairé mettait en pièces une de ses plus augustes en même temps que de ses plus gracieuses images. En résumé, si mes inductions ne sont pas erronées, la Vénus de Milo est une reproduction, libre à plusieurs égards, exécutée dans le siècle d'Alexandre, d'un modèle créé à Athènes dans le siècle de Périclès. Dans la composition originale comme dans la reproduction à laquelle appartenait la Vénus de Milo, la déesse, qui était la Vénus Uranie des anciens temps, accueillait dans le séjour élyséen, comme son époux futur, et en l'élevant ainsi au rang de Mars, le héros dans lequel Athènes honorait son fondateur et son génie tutélaire, et auquel avait mérité cet honneur sa générosité surhumaine. Le groupe d'Uranie et de Thésée figurait ainsi, dans un monument où le plus grand des sculpteurs avait mis tout son art, l'idée en laquelle était renfermée la pensée qui domina la religion et la civilisation de la Grèce, et surtout celles d'Athènes. Athènes honorait dans Minerve, sa patronne, la vierge guerrière conçue comme le génie qui la guidait sur la terre en toutes ses entreprises; elle honorait dans la Vénus céleste le génie supérieur encore qui inspirait cette douceur en laquelle la ville de Minerve faisait consister sa vertu la plus haute, génie qui, par delà la vie terrestre, couronnait de l'éternelle félicité cette vertu.. |