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Raymond Ir paraît avoir eu à cœur de faire oublier ce conflit. Il obtint d'Anastase IV, le 10 décembre 1153, une bulle de confirmation pour les biens et priviléges de son Église, qu'il eut la bonne fortune de corroborer d'une charte de Louis VII.

Cette charte du roi de France est datée du 9 février 1155 (1156), et contient une sorte de statistique des possessions de l'Église de Maguelone au milieu du XIIe siècle. Louis VII y déclare « à Raymond et à sa sainte communauté 2 » prendre sous sa protection tous les biens de l'Église de Maguelone acquis ou à acquérir. Entrant ensuite dans le détail, il spécifie l'île de Maguelone avec ses dépendances, soit sur la mer, soit sur l'étang, ses pêcheries, son port, alors même que le grau viendrait à être déplacé, Villeneuve, Gigean, La Vérune, Baillargues, Le Terral, Guzargues, Ganges, Vic, Montpelliéret, avec la suzeraineté de Lattes et de Montpellier. Le roi comprend dans cet ensemble, par manière de reconnaissance de donation, Exindre, La Mosson, Maurin, Cocon, et leurs appartenances 3.

Telle est aussi la teneur d'une bulle d'Adrien IV du 15 avril 1155, et d'une seconde charte de Louis VII de 1156, si semblables entre elles, qu'on croirait les deux documents calqués l'un sur l'autre, ou issus de notes identiques'. La bulle d'Adrien IV est plus explicite, et à certains égards plus circonstanciée dans son énumération, que celle d'Anastase IV. Elle renferme, en outre, la défense de construire aucune nouvelle église dans le territoire de Maguelone, sans l'autorisation de l'évêque et des

1 Gall. Christ., VI, Instrum. 357. Cf. Gariel, Ser. præs. Magal., I, 493.

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2 « Raymundo episcopo Magalonensi, ejusque successoribus canonice substituendis, et ejusdem ecclesie sancto conventui in perpetuum. Hist. gén. de Lang., II, Pr. 552; Gariel, Ser. præs. Magal., 1, 496; Gall. Christ., VI, Instrum. 358, et Layettes du Trésor des Chartes, par Teulet, I, 75. Cf. Cartul. de Mag., Reg. C, fol. 97.

3 Diplôme de Louis VII, du 9 février 1455 (1456), ut supra.

4 Privil. de Mag., fol. 28 vo, et Cartul. de Mag., Reg. C, fol. 97. Voy. Pièces justificatives, No IV, Cf. Gall. Christ., VI, Instrum. 358; Hist. gén. de Lang., II, 552, et Layettes du Trésor des Chartes, par Teulet, 1, 76, en y ajoutant une troisième charte, de 1161, ibid. 84.

chanoines de sa cathédrale, et consacre, au profit du prélat, un droit d'inquisition ou de police religieuse sur ses diocésains.

VIII. Tant d'avantages, se succédant avec une si heureuse continuité, sembleraient avoir ébloui et comme enivré nos chanoines. L'élection du successeur de Raymond Ier, en 1158, fut signalée par des troubles intérieurs assez graves, dont le souvenir a été consigné dans nos chroniques.

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A la mort de l'évêque Raymond, dit la plus ancienne de ces chroniques, celle que j'ai éditée pour la première fois, il y a quinze ans, en la regardant avec raison, je persiste à le croire, comme l'œuvre d'un des premiers dignitaires de la communauté de Maguelone d'alors, « nous nous assemblâmes en chapitre. Je commençais à parler au sujet de » l'élection d'un évêque, quand l'archidiacre Pons m'interrompit, en >> disant qu'il fallait au préalable nous engager par serment à vouloir le » maintien de nos droits communs. Plusieurs des frères furent de cet avis, » d'autres résistèrent. On finit toutefois par s'entendre, pour éviter du » scandale, et Raymond, prieur de Maguelone, jura le premier. Nous >> en fîmes tous autant après lui. Lorsque ensuite nous voulûmes nous » occuper d'élire un évêque, certains frères, ambitionnant le rôle de fils » de Bélial, et se refusant à vivre sous le joug et la discipline d'un prélat, » se mirent à vociférer qu'à aucun prix ils ne laisseraient faire l'élection » d'un évêque, si on n'y préludait par celle d'un prévôt. Nous consul» tâmes chacun des frères, leur demandant s'ils voulaient avoir un prévôt, et plus des deux tiers nous répondirent que non. Nous dîmes >> alors aux premiers: Puisque la majorité ne veut pas de prévôt, pourquoi insistez-vous? Et nous leur résistâmes le plus que nous pûmes, » nous efforçant par tous les moyens de les ramener à l'unité. Mais eux. » n'en continuaient pas moins à crier qu'ils s'opposeraient à l'élection » d'un évêque.............. On s'accorda, toutefois, à la fin, pour élire un prévôt, » en réservant en toutes choses la dignité du prieur majeur et de l'évêque. » On convint qu'il aurait l'administration de la communauté, et qu'il en défendrait judiciairement les intérêts, mais que, tout en vaquant aux » soins du temporel de la maison, il ne se mêlerait en rien du spirituel.

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» On procéda, en conséquence, à la double élection d'un prévôt et d'un

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Cette petite scène d'intérieur est d'autant plus précieuse, que nous en devons le récit à un témoin oculaire, à l'un des chanoines mêmes, à l'un des principaux dignitaires, je le répète, du chapitre de Maguelone. Aussi Arnaud de Verdale a-t-il cru devoir en consigner le souvenir dans sa chronique 2. Mais le document du XIIe siècle que je viens de traduire a sur le résumé épiscopal du XIVe siècle l'inappréciable supériorité d'un témoignage personnel, nous introduisant jusqu'au sein du chapitre, et nous y faisant assister à la représentation intime du petit drame canonial. Avais-je donc tort d'assigner quelque valeur à cette primitive chronique maguelonaise, en l'éditant naguère?

Elle serait plus piquante encore, si, comme je n'ai pas cessé de le soupçonner, le Jean qui l'a écrite n'était autre que Jean de Montlaur. Car ce fut Jean de Montlaur qui devint ce jour-là évêque de Maguelone, en même temps que Bernard était élu prévôt du chapitre.

L'un et l'autre se distinguaient par leur naissance autant que par leur mérite particulier. Bernard appartenait à la famille des seigneurs de Lunel, et Jean de Montlaur se glorifiait d'avoir pour oncle un des chevaliers qui avaient accompagné à la première croisade le comte de

1 Chronique inédite de Maguelone, page 14. Le prévôt n'eut donc, à la suite de cette délibération, que le soin du temporel de la communauté maguelonaise, le spirituel demeurant tout entier à l'évêque, et par délégation au prieur majeur ou grand prieur. Cette répartition des pouvoirs ne fut toutefois que momentanée. Le spirituel de la maison alla au prévôt, une quinzaine d'années après, en vertu d'une nouvelle décision des chanoines, que ratifia l'évêque, et que maintint une bulle d'Alexandre III, du 28 juin 1473-1174, transcrite parmi les Priviléges de Maguelone, fol. 80 ro. Ce nouveau partage occasionna divers conflits entre le prévôt et le prieur majeur, puis entre le prévôt et l'évêque, et il fallut qu'Urbain III intervînt pour leur apaisement. Il établit nettement en 1486-4487 la supériorité spirituelle de l'évêque, et afin de couper court à toute mésintelligence entre le prévôt et le prieur majeur, supprima la charge de ce dernier. Elle se transforma en celle de prieur claustral. Mais le prieur claustral, dépourvu de juridiction spirituelle, et réduit au simple rôle d'intendant de la maison, aida au lieu d'entraver, et tout le monde eut à s'en applaudir. Voy. Pièces justificatives, Nos XIV et XIX. 2 Voy. De Grefeuille, Hist. de Montp., II, 431.

Toulouse Raymond IV et le seigneur de Montpellier Guillem V. La communauté de Maguelone comptait un certain nombre de nobles parmi ses membres; elle se recrutait en partie dans les hautes classes du diocèse.

Cette origine privilégiée valut à notre nouvel évêque une position qui lui permit de jouer un rôle important dans les affaires de la contrée. Nous le voyons s'interposer avec succès, en 1160, entre le comte de Melgueil Bernard-Pelet et le seigneur de Montpellier Guillem VII, puis devenir, en 1172, par le testament de ce dernier, tuteur et administrateur des biens de Guillem VIII, puis finalement pacifier le pays, en y neutralisant les étincelles d'une conflagration générale.

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Cette active participation aux affaires publiques n'empêchait nullement Jean de Montlaur de vaquer aux emplois particuliers de son ministère. « Le seigneur Jean, une fois devenu évêque», - dit la vieille chronique canoniale que j'ai publiée en 1853, — « voyant l'église de Maguelone » menacer ruine, s'entendit avec ses paroissiens ou diocésains au sujet de » sa reconstruction. Il a fourni à l'œuvre jusqu'à ce jour trente mille » sous, et a donné de son bien propre vingt-huit muids de grain et de » vin. Au moyen de ces ressources, l'ancienne église a été démolie, et la » nouvelle en majeure partie construite 1. »

Faut-il généraliser cette réédification? Ou ne convient-il pas plutôt de la limiter à la nef et au portail, ainsi qu'à la partie ancienne de la tribune? J'inclinerais vers cette dernière interprétation, la même chronique attribuant plus haut la construction de l'abside et du transsept aux prédécesseurs de Jean de Montlaur, Galtier et Raymond. Encore y aurait-il lieu d'excepter de ce renouvellement de la nef la chapelle Saint-Augustin, dont l'appareil accuse une architecture primitive, à laquelle auraient été comme appliquées les murailles reconstruites'.

1 Cum dominus Johannes factus esset episcopus, videns ecclesiam ruinam minari, cum parochianis suis super ejus reedifficatione locutus est, et operi ecclesie triginta milia solidorum sua diligenti provisione et cura offerri ad hec usque tempora fecit, et de suo proprio xXVIII modios grani et vini dedit: et ex his ecclesia vetus demolita est, et nova ex majori parte constructa. Chron. inéd. de Magal., page 14.

2 En supposant toutefois que l'inscription relative à l'évêque d'Avignon Arbert, mort en 1423, aura été gravée ou rétablie après coup au pilier de droite de cette chapelle,

La partie ainsi réédifiée a, du reste, sa date authentiquement certaine : BERNARDVS III VIIS FECIT HOC ANNO INC. D. M C L XXVIII, lit-on au bas de l'inscription en vers léonins sculptée au portail.

Quelle que soit la part que l'on fasse à Jean de Montlaur dans l'œuvre de la cathédrale de Maguelone, ce prélat n'en mérite pas moins une place distinguée parmi les fondateurs de notre église. Il justifia pleinement, sous ce rapport, l'abandon que fit, en 1160, à sa mense épiscopale le prévôt, par ordre du chapitre, de six cent soixante sous melgoriens que devait à la communauté son prédécesseur Raymond Ier. et la délicate attention qu'eurent nos chanoines d'établir chez eux un service annuel pour le repos de l'âme des membres de sa famille.

IX. Les vieux usages disciplinaires paraîtraient n'avoir encore à cette époque rien perdu de leur rigueur primitive, à en juger par ce qu'on raconte de Bernard le Pénitent, et de l'austère régime auquel l'assujettit, en 1170, notre évêque. Jean de Montlaur, en expiation d'un meurtre demeuré historiquement assez obscur, mais pour lequel nous admettrions aujourd'hui plus d'une circonstance atténuante, le condamna à marcher nu-pieds durant sept ans, à ne jamais se servir de linge, à pratiquer un jeûne de quarante jours avant Noël, à s'abstenir d'aliments gras le mercredi et le samedi, à se contenter de pain et de vin le vendredi de chaque semaine, et à ne boire que de l'eau ce jour-là en carême 1.

ou en n'admettant, ce que je préfèrerais, qu'une reconstruction de la partie haute de la nef, peut-être même simplement de la voûte.

1 a Joannes, Dei gratia Magalonensis episcopus, omnibus Ecclesiæ catholicæ rectoribus subjectis æternam in Domino salutem. Notum sit omnibus vobis quod Bernardo, præsentium litterarum latori, talem pœnitentiam pro peccatis suis horribilibus injunximus: quod usque ad septem annos nudis pedibus incedat; camisiam non ferat omnibus diebus vitæ suæ; quadraginta dies ante Natale Domini in cibis quadragesimalibus jejunet; quarta feria a carne et a sagimine abstineat; sexta feria præter panem et vinum nihil comedat; in omni sexta feria quadragesimæ et quatuor temporum præter aquam nihil bibat; omni sabbato, exceptis solemnibus diebus, et nisi ægritudo intercesserit, a carne et a sagimine abstineat. Quapropter clementiam vestram in Christo suppliciter exoramus, quatenus pro redemptione animarum vestrarum præfatum pœni

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