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Son amante en furie,

Près de ces lieux, seigneur, craignant votre secours,
Avait au nœud fatal abandonné ses jours.
Moi-même des objets j'ai vu le plus funeste,

Et de sa vie en vain j'ai cherché quelque reste
Bajazet était mort. Nous l'avons rencontré

De morts et de mourants noblement entouré,

Que, vengeant sa défaite et cédant sous le nombre 2,
Ce héros a forcés d'accompagner son ombre.

Mais, puisque c'en est fait, seigneur, songeons à nous.

ACOMAT.

Ah! destins ennemis, où me réduisez-vous!

Je sais en Bajazet la perte que vous faites,
Madame; je sais trop qu'en l'état où vous êtes,
Il ne m'appartient point de vous offrir l'appui
De quelques malheureux qui n'espéraient qu'en lui :
Saisi, désespéré d'une mort qui m'accable,

Je vais, non point sauver cette tête coupable,
Mais, redevable aux soins de mes tristes amis,
Défendre jusqu'au bout leurs jours qu'ils m'ont commis.
Pour vous, si vous voulez qu'en quelque autre contrée
Nous allions confier votre tête sacrée,

Madame, consultez : maîtres de ce palais,
Mes fidèles amis attendront vos souhaits;

Et moi, pour ne point perdre un temps si salutaire,
Je cours où ma présence est encor nécessaire;
Et jusqu'au pied des murs que la mer vient laver,
Sur mes vaisseaux tout prêts je viens vous retrouver 3.

1 En effet, cette ignorance a de quoi surprendre, mais elle était nécessaire pour entretenir un reste d'intérêt jusqu'à l'achèvement de la tragédie.

2 Inversion un peu forcée.

3 La tragédie pourrait finir à cette scène : le spectateur supposerait qu'Atalide donne un consentement tacite à la proposition d'Acomat ; et la règle qui veut qu'on rende compte, à la fin, du sort de chaque personnage, serait suffisamment observée. Le dénoùment serait ainsi debarrassé d'un monologue qui le fait languir, et d'un meurtre très-froid. Rien n'est plus vicieux que d'ensanglanter mal à propos la scène; rien n'est moins tragique que la mort d'un personnage auquel on prend peu d'intérêt. » (Geoffroy.) Le consentement tacite d'Atalide serait un démenti à son caractère.

« Servetur ad imum

Qualis ab incepto processerit et sibi constet. » (Hor. Ars poet.)

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BAJAZET, ACTE V, SCÈNE XII.

SCÈNE XII.

ATALIDE, ZAIRE.

ATALIDE.

Enfin, c'en est donc fait ; et par mes artifices,
Mes injustes soupçons, mes funestes caprices,

Je suis donc arrivée au douloureux moment
Où je vois par mon crime expirer mon amant!
N'était-ce pas assez, cruelle destinée,
Qu'à lui survivre, hélas! je fusse condamnée?
Et fallait-il encor que, pour comble d'horreurs,
Je ne pusse imputer sa mort qu'à mes fureurs?
Oui, c'est moi, cher amant, qui t'arrache la vie;
Roxane ou le sultan ne te l'ont point ravie :
Moi seule, j'ai tissu le lien malheureux
Dont tu viens d'éprouver les détestables nœuds.
Et je puis, sans mourir, en souffrir la pensée,
Moi qui n'ai pu tantôt, de ta mort menacée,
Retenir mes esprits prompts à m'abandonner!
Ah! n'ai-je eu de l'amour que pour t'assassiner?
Mais c'en est trop il faut, par un prompt sacrifice,
Que ma fidèle main te venge et me punisse.
Vous, de qui j'ai troublé la gloire et le repos,
Héros qui deviez tous revivre en ce héros;

Toi, mère malheureuse, et qui, dès notre enfance,
Me confias son cœur dans une autre espérance ';
Infortuné vizir, amis désespérés,

Roxane, venez tous, contre moi conjurés,
Tourmenter à la fois une amante éperdue;
Et prenez la vengeance enfin qui vous est due.

ZAIRE.

(Elle se tue.)

Ah! madame!... Elle expire. O ciel! en ce malheur,
Que ne puis-je avec elle expirer de douleur2 !

1 Réminiscence de Virgile :

«... Non hos quæsitum munus in usus. » (En., IV, v. 647.) 2 « On a reproché à Racine d'avoir fini Bérénice par un hélas : il termine Bajazet par un vers infiniment plus répréhensible : rien n'empêche Zaïre d'imiter sa maitresse, et d'expirer avec elle. Le poignard d'Atalide est auprès d'elle, et à son service. » (Geoffroy.) Geoffroy en parle à son aise; pourquoi veut-il la mort de Zaïre? La tuerie, comme dit madame de Sévigné, n'est-elle pas assez nombreuse? Bajazet, Orcan, Roxane, Atalide suffisent, ce semble, et au delà.

MITHRIDATE

TRAGÉDIE

4673

PRÉFACE'.

Il n'y a guère de nom plus connu que celui de Mithridate sa vie et sa mort font une partie considérable de l'histoire romaine; et, sans compter les victoires qu'il a remportées, on peut dire que ses seules défaites ont fait presque toute la gloire de trois des plus grands capitaines de la république, c'est à savoir de Sylla, de Lucullus et de Pompée 3. Ainsi, je ne pense pas qu'il soit besoin de citer ici mes auteurs: car, excepté quelques événements que j'ai un peu rapprochés par le droit que donne la poésie, tout le monde reconnaîtra aisément que j'ai suivi l'histoire avec beaucoup de fidélité. En effet, il n'y a guère d'actions éclatantes dans la vie de Mithridate qui n'aient trouvé place dans ma tragédie. J'y ai inséré tout ce qui pouvait mettre en jour les mœurs et les sentiments de ce prince, je veux dire sa haine violente

1 Toutes les notes de cette préface sont tirées du commentaire de Geoffroy.

2 Plusieurs princes ont porté ce nom. Le héros de la tragédie de Racine est Mithridate, troisième du nom, septième roi de Pont, surnommé Eupator; monarque vraiment extraordinaire, et qui joue le rôle le plus brillant dans l'histoire romaine. 11 régna soixante ans, et vécut environ soixante et douze.

3 C'est à savoir, de Sylla, de Lucullus et de Pompée. Cette fin de phrase ne se trouve pas dans la première édition de Mithridate, publiée dans le mois de mars 1673.

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