Et, se plaignant à moi de ce reste de vie, Juste ciel ! MONIME. ARBATE. Xipharès, toujours resté fidèle, 1 « Quelle image! Quel coloris! Quel est le peintre qui représenterait aussi vivement une action? » (Geoffroy.) 2 «Que ceux qui connaissent les difficultés de notre langue et de notre versification examinent combien il y a de choses dans ces huit vers, combien il en fallait pour que tout fût clair et motivé, et combien il était difficile de ne faire de tout cela qu'une seule phrase, sans qu'un seul membre de cette longue phrase embarrassàt ou rallentît la narration, qui doit ici être vive et rapide, et qui en effet ne cesse jamais de l'être. Voilà ce qui est également hors de la portée des écrivains médiocres, et des regards de la multitude. » (La Harpe.) 3 Cela signifie en vile prose: Il allait se tuer devant le roi. 4 « Ce trait de la sensibilité et de la reconnaissance de Mithridate pour un fils aussi vertueux que brave, efface l'odieux de sa cruauté et de sa jalousie, et le fait aimer et plaindre du spectateur, malgré ses vices. Ce retour vers Xipharès qu'il aime, et qui lui rend dans ce moment le service le plus cher à son cœur, est absolument dans la nature : le don qu'il fait en mourant de la main de Monime à ce fils victorieux, n'a rien qui démente son caractère. » (Geoffroy.) Le germe de ce dénoûment se trouve dans le monologue de Mithridate, act. IV, sc. v: Quoi! ne vaut-il pas mieux, puisqu'il faut m'en priver, La céder à ce fils que je veux conserver? Ajoutons que c'est à ce fils qu'il doit de pouvoir dire en mourant : Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains. Ces mots m'ont fait trembler pour vous, pour Xipharès, MONIME. Ah! que de tant d'horreurs justement étonnée, Il vient. Quel nouveau trouble excite en mes esprits SCÈNE V. MITHRIDATE, MONIME, XIPHARÈS, ARBATE, PHOEDIME, ARCAS, GARDES qui soutiennent Mithridate. MONIME. Ah! que vois-je, seigneur, et quel sort est le vôtre ! MITHRIDATE. Cessez et retenez vos larmes l'un et l'autre : Mon sort de sa tendresse et de votre amitié 1 Nouvel exemple de cet accord irrégulier qui permet aux poëtes de ne tenir compte que d'un seul sujet, lorsqu'il y en a plusieurs. Excite, dans la prose, serait au pluriel. Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains. MONIME. Vivez, seigneur, vivez, pour le bonheur du monde, Pour venger... MITHRIDATE. C'en est fait, madame, et j'ai vécu. Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie. XIPHARÈS. Moi, seigneur! que je fuie! Que Pharnace impuni 2, les Romains triomphants, N'éprouvent pas bientôt... MITHRIDATE. Non, je vous le défends. Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse 3 : 1 << Dans les Trachiniennes de Sophocle, Hercule mourant donne sa maîtresse Iole à son fils Hyllus, de même que Mithridate donne Monime à Xipharès. Iole est la cause de la mort d'Hercule par la jalousie qu'elle a inspirée à Déjanire: on peut dire aussi que Monime a causé la mort de Mithridate, en lui inspirant de la jalousie et de la haine contre Xipharès; mais Hyllus n'est point l'amant d'Iole et le rival de son père, ce qui met une grande différence dans la situation. Le P. Brumoy est allé trop loin, lorsqu'il a voulu présenter comme une conformité parfaite une ressemblance assez légère. » (Geoffroy.) 2 « Les grands écrivains ont le droit de créer des mots : impuni, appliqué aux personnes, manquait à notre langue et à notre poésie; je ne ferais aucune difficulté de m'en servir même en prose: je dirais un scélérat impuni aussi bien qu'un crime impuni; à plus forte raison, je crois que les poëtes ne doivent se faire aucun scrupule de l'employer en vers. » (Geoffroy.) 3 Pharnace était réservé à l'honneur d'être châtié par Jules César, dans la courte campagne que résume le veni, vidi, vici. La Calprenède, dans la Mort de Mithridate, tragédie qui n'est pas Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice '. Je sens que je me meurs. Approchez-vous, mon fils; Ah! madame, unissons nos douleurs, Et par tout l'univers cherchons-lui des vengeurs. tout à fait sans mérite, avait placé, avant Racine, cette menace prophétique : Tu seras ruiné par cette république ; Et ces mêmes Romains à qui tu fais la cour, 1 Après ce vers : Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice, qui présage le châtiment de Pharnace, et caractérise la politique des Romains, Mithridate ajoutait : Le Parthe qu'ils gardaient pour triomphe dernier, Seul encor sous le joug refuse de plier : Allons le joindre allons chez ce peuple indomptable J'espère, et je m'en forme un présage certain, Que leurs champs bienheureux boiront le sang romain; Que c'est à leur valeur que le ciel l'a remise. Racine a judicieusement sacrifié ces huit vers, tout beaux qu'ils sont, et nous les recueillons, parce qu'il ne faut rien laisser perdre d'un tel poëte. 2 « Accipite hanc animam. » ( Virg. Æn., 1. IV, v. 652.) |