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pas à l'Asie, et si, dès lors, l'expédition que projetait ce Portugais n'avait pas le même objet que celui attribué généralement à Colomb (12). Examiné de près, le texte des lettres patentes accordées à Dulmo n'autorise guère cette supposition. On y voit, en effet, que, par cette expression de terre ferme, on n'entend indiquer que l'île des Sept Cités. C'est cette île que Dulmo veut découvrir et, comme on ignore ce qu'elle est en réalité, on la désigne comme étant soit une grande île, soit un groupe d'iles, soit même une terre continentale; les trois expressions s'appliquent à la même terre mystérieuse qu'il s'agit de découvrir, terre dont on ne connaissait pas la situation, mais qu'on ne plaçait pas cependant vers les limites orientales de l'Asie et qu'on ne supposait même pas être à une distance extraordinairement grande des Açores et de Madère, puisque à diverses reprises de petites expéditions d'une courte durée étaient parties de ces îles pour aller à sa découverte, ce qui suppose qu'on avait l'espoir de la trouver sans s'aventurer à une distance trop considérable.

Ces expéditions ayant échoué, Dulmo supposa, tout naturellement, que l'île si vainement cherchée jusqu'alors devait se trouver plus éloignée qu'on ne l'avait cru, et c'est pourquoi il voulut organiser son entreprise de manière à pouvoir poursuivre son exploration pendant quarante jours. Il n'y a rien là qui indique qu'il plaçait cette île

(12) M. Altolaguirre, qui a posé la question et qui la résout par l'affirmalive, croit que le projet de Dulmo était le même que celui de Toscanelli, dont il aurait eu connaissance, avec cette différence toutefois que la route que s'était tracée Dulmo était de partir de Terceire pour se diriger à l'ouest en obliquant un peu vers le sud de manière à rencontrer Antilia, puis à continuer dans la direction du sud-ouest jusqu'au nord de Cypangu d'abord et ensuite jusqu'à la province de Cathay. (Christobal Colon... Madrid, 1903, 4°, page 405) C'est arranger facilement les choses, mais d'après quels documents?

dans l'autre hémisphère et qu'il voulait aller la chercher jusque dans le voisinage des côtes de l'Asie (13).

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Un Allemand qu'on suppose être Behaim est associé à
l'entreprise qui prend un autre caractère.

Il n'en est pas de même d'Estreito; celui-ci, évidemment, pensait à autre chose qu'à l'ile des Sept Cités. Les conditions de son association avec Dulmo montrent cela très clairement. On y prévoit la découverte d'iles ou de terres peuplées ou non peuplées, mais pas celle de l'île mystérieuse, qui n'est même pas nommée dans les parties dispositives de l'acte (14). Estreito fait tous les frais de l'entreprise, mais il s'en réserve la direction pendant la plus grande partie du temps. Dulmo ne la conduira que pendant quarante jours, sur les six mois qu'elle doit durer. A l'expiration de ces quarante jours il s'effacera complètement et n'aura plus qu'à obéir à Estreito, qui dirigera l'entreprise comme il l'entendra et où il voudra, pendant

(13) Le capitaine Duro a cependant écrit que pour Dulmo « il s'agissait de « trouver non seulement l'île des Sept Cités, mais encore la terre ferme qui << pouvait exister à l'ouest ». (Pinzon, etc., Madrid, 1892,p. 15-16.) M. Altolaguirre, qui s'est évidemment inspiré de cette manière de voir, affirme qu'il est certain que Dulmo « se proposait d'aller à la terre ferme, ou, ce qui est la << même chose, d'effectuer la navigation transatlantique ». (Christobal Colon, p. 407.) Les textes cités ci-dessus des privilèges accordés à Dulmo n'autorisent aucune assertion de ce genre. On n'arrive à considérer l'expression de terre ferme, qui est employée, comme désignant l'Asie, qu'en démembrant arbitrairement la phrase où elle se trouve.

(14) ... « Fernam Dulmo, n'étant pas en état d'équiper la dite Armada et « de faire face aux dépenses nécessaires... cède à Joham Afonso (Estreito)... << la moitié de toute ile ou iles ou terre ferme, peuplées et à peupler qu'il << trouverait et découvrirait avec la dite Armada, avec tous les privilèges << stipulés dans la lettre de concession. » (Lettre de João II du 25 juillet confirmant l'arrangement fait entre Dulmo et Estreito. Alguns Documentos, p. 39.)

les quatre mois et vingt jours qui resteraient encore à courir jusqu'à la fin de leur engagement (15).

Ces particularités, si explicites par elles-mêmes, deviennent encore plus significatives par la remarque suivante : On a vu qu'aux termes de l'arrangement de Dulmo avec Estreito, un chevalier allemand, auquel on témoignait de la considération, devait faire partie de l'expédition. C'est l'opinion de tous les auteurs qui se sont occupés de cette question que cet Allemand, dont le nom n'est pas donné, n'était autre que le cosmographe Martin Behaim, et tout indique que cette supposition est fondée. Behaim, qui s'était établi en Portugal depuis deux ans environ, passait pour être un savant cosmographe. Il avait pris part à l'un des importants voyages de découverte faits à cette époque sur

(15) ... « Et à partir du jour où tous les deux partiront de la dite île de Ter<ceire, le dit Fernam Dulmo fera route par où il voudra pendant les qua<rante premiers jours qui suivront, et le dit Joham Afonso suivra avec la caravelle dont il sera capitaine la route et le chemin que le dit Fernam Dulmo fera et suivra son fanal suivant les instructions que ledit Fernam Dalmo lui donnera par écrit. Et dès que les dits quarante jours seront passés, le dit Fernam Dulmo ne dressera plus de fanal et n'ordonnera plus de faire route vers aucune direction, mais au contraire fera et suivra son chemin et sa route par où le dit Joham voudra, sans aucune contradiction, ivec sa caravelle et son équipage, et suivra le fanal du dit Joham Afonso <et accomplira en tout ses instructions et jusqu'à ce que lui, Joham Afonso, retourne au Portugal »... (Même document, même page.)

Les termes dans lesquels le roi approuve cet arrangement sont encore plus précis.

< Attendu qu'il (Estreito) équipe et arme les dites caravelles pour six mois, <et que, une fois écoulés les quarante jours pendant lesquels il est obligé ⚫ de suivre et d'accompagner le dit Fernam Dulmo, il espère employer tout le reste du temps jusqu'à l'expiration des six mois à découvrir les dites ◄iles et terres, il nous prie de daigner lui accorder et de lui octroyer et ⚫ de lui faire donation et grâce par notre lettre de toutes les îles et terres <qu'après l'expiration des dits quarante jours il trouverait et découvrirait, < ainsi et de la même manière que par notre dite lettre nous l'avons accordé < et donné à Fernam Dulmo ». (Lettres royales du 4 acût 1486. Alguns Documentos, p. 63.) L'acte se termine par la concession demandée avec cette condition que les découvertes proposées doivent être faites dans les deux ans.

les côtes d'Afrique, celui d'Affonso d'Aveyro, probablement, et venait d'être armé chevalier par le roi João II qui le tenait en grande estime. Il résidait à Fayal, île voisine de celle de Terceire, où l'expédition s'organisait, et allait s'y marier. On disait qu'il avait conseillé au roi d'entreprendre la découverte de quelque île et, d'après une tradition recueillie par Fructuoso, il assurait à Fayal même qu'il connaissait l'existence d'une belle terre située à l'ouest des Açores (16).

Il semble donc qu'on ait eu raison d'identifier le chevalier allemand auquel Estreito assurait une place marquante dans son expédition avec l'auteur du fameux globe de Nuremberg (17), et il est permis d'induire de là que c'est à son intention que fut rédigée la singulière clause du contrat d'association des deux explorateurs, qui assu

(16) CORDEIRO, Historia Insulana, Liv, IX, ch. VIII, voir ci-après, note 19. (17) Varnhagen est, croyons-nous, le premier qui ait reconnu Behaim dans le personnage allemand mentionné par les documents relatifs à l'expédition de Dulmo. (La verdadera Guanahani de Colon, Santiago, 1864,8°, p. 107.) Les auteurs suivants ont exprimé la même opinion: Peschel, Zeitalter der Entd.,1899, p. 485; E do Canto, Os Corte Reaes, dans les Archivo dos Açores. Vol. IV, 1883; Duro, Pinzon, 1832, p. 18, et note 3, p. 225, Sousa Viterbo, Trabalhos Nauticos dos Portuguezes, Lisbonne, 1898, Vol. I, p. 94; E. Ravenstein, Martins de Bohemia, Lisbonne, sans date (1900?),8°, p. 55; Altolaguirre, Cristobal Colon... 1898, p. 406.

Si cet Allemand et Behaim ne font pas qu'un, il y avait alors à Fayal en même temps que lui un autre Allemand de distinction qui, comme lui, s'occu pait de cosmographie et de découvertes maritimes et qui, comme lui, croyait à l'existence d'une grande île à l'ouest des Açores. Voyez ci-après la note. Il y a cependant une objection à cette manière de voir qu'il faut mentionner. C'est que si on s'en rapporte à ce que dit Behaim lui-même dans les légendes de son globe, relativement à son voyage aux côtes d'Afrique, il n'a pu se trouver en Portugal à la date du 12 juillet 1486 pour s'associer à l'expédition que d'Estreito projetait. Mais on verra au chapitre suivant qu'il est impossible de prendre à la lettre tout ce que Behaim dit de son voyage et qu'on ne saurait croire, sans le mettre en contradiction avec lui-même et avec des faits bien avérés, qu'il ait accompagné Diogo Cam, comme il le dit. Si réellement il a pris part à l'expédition dont il parle c'est de celle d'Aveiro qu'il s'agit, qui eut lieu de 1484 à 1485.

rait à Estreito la direction de l'entreprise après quarante jours de navigation. Si cette supposition est fondée, il est clair que Behaim était l'inspirateur de Estreito, et que c'est pour mettre à exécution quelque projet de découverte qu'il avait conçu, que ce dernier s'engagea dans l'affaire de Dulmo.

Dans ces conditions, les choses se seraient passées de la manière suivante, si l'expédition avait eu lieu. Dulmo en aurait d'abord pris la direction et l'aurait conduite d'après les données qu'il croyait avoir sur la situation de l'île des Sept Cités, objet de ses recherches. S'il trouvait cette île ou d'autres, sa découverte profitait à son associé comme à lui-même. Mais il n'avait pour cela qu'un délai de quarante jours; à l'expiration de ce terme, il devenait pour ainsi dire étranger à l'expédition, qui passait alors sous le commandement d'Estreito, ou plutôt de Behaim, lequel agissait à sa guise et pour son propre compte, sans que Dulmo eût rien à y voir. Une deuxième recherche aurait alors commencé, sous la direction nominale d'Estreito, mais, évidemment, d'après les données que possédait Behaim.

IV.

La participation de Behaim à l'entreprise de Dulmo indique qu'elle avait aussi en vue le passage aux Indes par l'Occident.

Si ces inductions sont fondées, une question intéressante se pose. Quelle découverte Estreito, guidé par Behaim, avait-il en vue? Se proposait-il simplement de chercher de nouvelles îles qui pouvaient exister dans l'Atlantique, notamment celle dont on disait que Behaim avait connaissance, ou, d'accord avec le cosmographe nurembergeois, avait-il l'ambition plus haute de conduire ses navires jusqu'aux côtes orientales de l'Asie, dans l'espoir de faire, dans cette région, des découvertes plus grandes que celles

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