S'arme pour ta querelle, et combat pour tes droits. S'unissent contre toi pour l'affreuse hérésie; Ne cherche, ne regarde, et n'écoute que toi; Grand Dieu, juge ta cause, et déploie aujourd'hui Le Rhin vit tant de fois disperser les armées. Et, tranquille, à ses pieds, revient le déposer 2. Mais, tandis qu'un grand roi venge ainsi mes injures, Vous qui goûtez ici des délices si pures, S'il permet à son cœur un moment de repos, Et vous, qui vous plaisez aux folles passions 1 Le zèle du roi l'avait poussé jusqu'à révoquer l'édit de Nantes, monument de la sagesse de son aïeul Henri IV. 2 Le grand Dauphin, élève de Bossuet, avait plus de docilité que d'héroïsme. Toutefois il avait réussi à la tête des armées dans la campagne de 1688, à laquelle le poëte fait ici allusion. FIN DU PROLOGUE. ESTHER. ACTE PREMIER. Le théâtre représente la chambre d'Esther. SCÈNE I. ESTHER, ÉLISE. ESTHER. Est-ce toi, chère Élise ? O jour trois fois heureux! Au bruit de votre mort justement éplorée, : 1 Suse était une des capitales des rois de Perse, qui avaient encore pour résidences royales Babylone et Ecbatane. 2 On a dit que, dans ce vers, sujet tenait la place d'objet. Cette critique n'est pas fondée : Esther morte était un sujet de pleurs et un objet de regrets. Et le cri de son peuple est monté jusqu'à lui '. » Et le Persan superbe est aux pieds d'une Juive! ESTHER. Peut-être on t'a conté la fameuse disgrâce : Me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère *. 1 « Ascenditque clamor eorum ad Deum ab operibus.» (Ex. ch. II, verset 23.) Ce verset de l'Exode a inspiré de beaux mouvements à l'éloquence religieuse. 2 Voltaire, au début de sa carrière poétique, empruntaît cavalièrement les vers de Racine. Cette scène nous en fournit des preuves nombreuses ainsi, dans la Henriade, ch. 1, Elisabeth Veut savoir quels ressorts et quel enchaînement Ont produit dans Paris un si grand changement. 3 La malignité des contemporains goûtait dans Esther beaucoup d'allusions à des faits récents. Ici on reconnaissait dans l'altière Vasthi madame de Montespan, qu'avait supplantée la modeste Esther, ou madame de Maintenon, veuve du poëte Scarron. 4 « Postquam regis Assueri indignatio deferbuerat, recordatus est Vasthi, et quæ fecisset, vel quæ passa esset. Dixeruntque pueri regis ac ministri ejus : « Quærantur regi puellæ virgines ac spe«ciosæ...., et quæcunque inter omnes oculis regis placuerit, ipsa << regnet pro Vasthi.... » Placuit sermo regi. » (Esther, cap. 11.) 5 Erat vir Judæus in Juda civitate, vocabulo Mardochæus.... Filia fratris Edissa, quæ altero nomine vocabatur Esther, et utrumque parentem amiserat, pulchra nimis et decora facie. Mortuisque patre ejus ac matre, Mardochæus sibi eam adoptavit in filiam. » (Esther, cap. II.) 6 Condé, qui vit en moi le seul fils de son frère, Du triste état des Juifs jour et nuit agité, Et, sur mes faibles mains fondant leur délivrance, Enfin, on m'annonça l'ordre d'Assuérus. Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puissantes '; << Soyez reine, » dit-il; et, dès ce moment même, «Esther quoque inter cæteras puellas tradita est Egeo eunucho, ut servaretur in numero feminarum. » (Esther, cap. 11.) 2 « Quæ noluit indicare ei populum et patriam suam; Mardochæus enim præceperat ei ut de hac re omnino reticeret. » (Ibid., cap. 11.) 4 « Cor regis in manu Domini : quocunque voluerit, inclinabit illud.» (Prov., cap. XXI.) 5« Quæ non quæsivit mulicbrem cultum.... Erat enim formosa valde, et incredibili pulchritudine; omnium oculis gratiosa et amabilis videbatur. » (Esther, cap. 11.) Voltaire n'a pas dédaigné ces beaux vers: L'éternel en ses mains tient seul nos destinées; Il sait, quand il lui plaît, veiller sur nos années, Tandis qu'en ses fureurs l'homicide est trompé. D'aucun coup, d'aucun trait Caumont ne fut frappé. (Henr., chant II.) 6 « Posuit diadema in capite ejus, fecitque eam regnare in loco «Vasthi. » (Ibid., c. I.)-Posa peut se passer et se passe ici en effet du pronom il, déjà exprimé dans dit-il; l'inversion ne l'empêche pas, poétiquement du moins, de servir au second verbe. Et même ses bienfaits dans toutes ses provinces ÉLISE. N'avez-vous point au roi confié vos ennuis? ESTHER. Le roi, jusqu'à ce jour, ignore qui je suis : Sur ce secret encor tient ma langue enchaînée “. Mardochée ? Hé! peut-il approcher de ces lieux ? ESTHER. Son amitié pour moi le rend ingénieux. J'ai découvert au roi les sanglantes pratiques Que formaient contre lui deux ingrats domestiques 5. A rempli ce palais de filles de Sion, Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées, 1 Leurs princes. Les grammairiens accordent leur, parce que peuple est un nom collectif; ils font plus de difficulté sur le pluriel, qui n'en est pas moins légitime, car Assuérus ne se marie pas seul, et le roi et la reine sont les princes du peuple. 2 L'ellipse de quels étaient est ici une beauté de syntaxe, et non une irrégularité. 5 On lit dans un commentaire que cesser étant un verbe neutre, il fallait ont cessé et non sont cessées. Je remarque 1° que cesser n'est pas absolument neutre, puisqu'il prend un régime direct : cessez vos plaintes; 2° qu'un verbe neutre se construit avec être : ces femmes sont venues. Il y a peut-être une nuance entre ont cessé et sont cessées; mais les deux locutions sont régulières. Ont cessé se rapporterait au moment où les fêtes ont été suspendues, et sont cessées fixe la pensée sur le présent. 4« Necdum Esther prodiderat patriam et populum suum, juxta mandatum Mardochæi.» (Esther, cap. 11.) Ces pratiques et ces domestiques, ennoblis par l'art de Racine, avaient déjà appris à rimer ensemble, grâce à Corneille : On voit naître de là mille sourdes pratiques Nicomede, act. V, sc. VI. |