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possessions françaises; il en fit remplir huit caisses qui furent envoyées à Lille et y restèrent; d'autres caisses furent transportées à Paris. DENIS-JOSEPH GODEFROY. 1760-1792.-Denis-Joseph Godefroy, fils du précédent, né le 5 juillet 1740, fut nommé pour succéder à son père, le 11 janvier 1760; il n'avait donc pas vingt ans lorsqu'on lui confia la garde de ce riche et précieux dépôt; mais, élevé au milieu des travaux diplomatiques et initié de bonne heure aux bonnes et salutaires traditions qu'avaient laissées ses ancêtres, il se montra bientôt leur digne successeur.

Plusieurs conférences s'étaient déjà tenues pour régler les limites respectives de la France et des Pays-Bas autrichiens, et toujours elles avaient été sans succès; elles furent enfin reprises par suite d'une convention conclue, le 16 mai 1769, entre le duc de Choiseul et le duc de Mercy-Argenteau, ministre impérial.

L'article 38 portait: 1° que chacune des parties resterait en possession des titres communs aux pays appartenant à l'une ou à l'autre ; 2o que si, parmi les titres originaux transportés en France dans la guerre qui a été terminée par le traité d'Aix-la-Chapelle, de 1748, il s'en trouvait qui fussent communs aux deux puissances, les originaux seraient restitués à l'impératrice-reine; 3° que les documents qui intéressaient exclusivement les possessions et les droits de l'une des deux puissances, resteraient au pouvoir de celle qu'ils concerneraient. Trois mois après l'échange des ratifications, les deux souverains nommèrent des commissaires pour se rendre à Lille, Douai, Bruxelles, Luxembourg, Metz, Nancy, Mons et Tournai, et y procéder à l'extradition des titres, papiers et documents mentionnés dans le traité. Le comte de Wynants, garde des archives de Brabant, fut désigné par le gouvernement des Pays-Bas; Frédéric Pfeffel, jurisconsulte du roi au département des affaires étrangères, et Denis-Joseph Godefroy furent les commissaires du gouvernement français : l'acte qui les institue en cette qualité est du 3 novembre 1769.

Ils commencèrent par examiner les caisses venues de Bruxelles à Lille. Le procès-verbal de la remise fut signé le 15 juin 1770.

L'opération à laquelle ils se livrèrent ensuite fut beaucoup plus longue et plus importante; il s'agissait d'effectuer le triage des archives

de la chambre des comptes, de vérifier tous les actes diplomatiques et les titres domaniaux que renfermait la tour des Chartes'.

Ce travail ne fut achevé et le procès-verbal signé que le 14 novembre 1771. Des expéditions de ces actes furent, en janvier 1772, adressées au duc d'Aiguillon, ministre des affaires étrangères. Le prince-évêque de Liége, persuadé qu'il se trouvait dans les archives de Lille et dans d'autres dépôts français des titres et papiers qui pouvaient concerner les pays de sa domination, s'adressa au roi pour en obtenir la remise. Godefroy fut nommé seul, par lettres patentes du 8 avril 1773, pour faire ce travail avec le chevalier d'Heusy, ministre de Liége à Paris.

Quelques années plus tard, Louis XVI ordonna à son garde des sceaux de faire continuer les grands travaux littéraires commencés par les Bénédictins et d'autres savants, pour parvenir à la connaissance parfaite de l'histoire et du droit public de la France. Le ministre, M. de Miroménil, nomma, pour diriger ces travaux, un comité des chartes, dont les séances se tenaient tous les quinze jours au ministère.

Denis-Joseph Godefroy fut dès lors chargé particulièrement de faire un inventaire détaillé des titres anciens dont la garde lui était confiée. Trois commis nouveaux lui furent donnés aux frais de l'État, pour l'aider dans ce travail extraordinaire; il se mit à l'œuvre au mois de janvier 1782.

En 1790, le garde des sceaux et le contrôleur général des finances firent suspendre ces travaux. En 1791, le laborieux archiviste fut obligé de quitter un établissement auquel ses ancêtres et lui s'étaient consacrés depuis plus d'un siècle; il émigra en septembre 1792, avec toute sa famille, laissant même dans la chambre des comptes tous ses livres et papiers, qui ne lui furent restitués que longtemps après. Denis-Joseph Godefroy est mort à Lille le 14 mai 1819, âgé de 78 ans.

ROPRA. 1792-1794-5. Dès lors, les archives cessèrent d'avoir la même importance aux yeux du gouvernement. L'un des commis que Godefroy avait appelés à le seconder, le sieur Ropra, fut chargé de veiller à la conservation de ce dépôt, en attendant qu'on sût au juste

'L'inventaire authentique des titres remis au comte de Wynants pour son gouvernement forme huit volumes in-4° cotés C 146-153. Voyez pour plus de détails Inventaires des archives de la Belgique, par M. Gachard, I, préface 187.

ce qu'il fallait en faire. Le nom de cet honnête employé ne doit pas rester dans l'oubli; sans lui, sans les soins désintéressés qu'il donna à l'établissement, sans les énergiques réclamations qu'il osa faire entendre, il est à croire que nos archives, les plus importantes de France après celles de Paris, n'existeraient plus aujourd'hui.

Peu de jours après l'émigration de M. Godefroy, la ville de Lille fut assiégée par les troupes impériales; les bombes éclatèrent plusieurs fois sur les bâtiments de la chambre des comptes et y causèrent des dommages qui ne se répareront jamais. Pour prévenir ou arrêter les progrès de ces incendies partiels, on jeta une multitude de papiers dans la cour et le jardin, et ceux qui survécurent à cette terrible épreuve furent, après le bombardement, rejetés et entassés pêle-mêle dans diverses salles.

Une loi du 24 juin 1792 ordonnait de brûler tous les papiers qui faisaient mention de titres de noblesse : c'était proscrire en masse tous les documents de notre histoire nationale. Des ordres pour l'exécution de cette loi frénétique furent signifiés au gardien des archives Ropra. Deux commissaires, nommés Top et Salmon, se mirent à l'œuvre avec un zèle fanatique et arrachèrent dans les soixante-dix-neuf volumes des chartes, tous les actes qui conféraient quelque titre de noblesse'. Ropra se permit d'adresser quelques représentations au ministre Garat, qui tenait alors par intérim le portefeuille de l'intérieur. La correspondance qui s'établit à cette occasion entre le ministre et le dépositaire de nos archives est curieuse; elle appartient à l'histoire; il est de mon devoir de la consigner ici. Toutefois, je crois inutile d'insérer la première lettre de Ropra, dont le sujet est suffisamment expliqué dans la réponse que voici :

'Cette opération brutale se fit sans aucun égard pour les autres actes qui avaient le malheur de se trouver sur le même feuillet que les lettres de noblesse. Du reste quelquesunes de ces dernières ont échappé aux ciseaux des citoyens Salmon et Top, qui ont oublié en outre de biffer les tables où ces mêmes titres sont relatés. Enfin, pour que leur besogne fût réellement efficace et méritoire, ils auraient dû détruire aussi tous les exemplaires du Recueil de la noblesse, in-4°, Douai, 1784, dans lequel J. Le Roux a inséré le sommaire et quelquefois le texte des lettres patentes relatives à la noblesse, qui se trouvent dans nos registres des chartes. Enfin les volumes VI, XI de la collection dite les 182 Colbert, à la Bibliothèque du Roi, à Paris, contiennent, comme nous l'avons dit, la copie fidèle de toutes ces lettres patentes d'anoblissement et d'érection de terres.

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« Paris, le 27 février 1793, an II de la république.

<«< Le ministre de l'intérieur par intérim au citoyen Ropra:

<«< Vous m'observez, par votre lettre du 14 de ce mois, que les lois <«< des 19 août et 3 octobre 1792 paraissent concerner les chambres des comptes supprimées par l'Assemblée constituante, et vous ne croyez pas qu'elles puissent être applicables à la chambre des comptes de « Lille, qui a cessé, dites-vous, ses fonctions depuis près de cent cin<«< quante ans; que les archives de cet ancien tribunal renfermant nombre <«< de pièces qui peuvent intéresser différents établissements, il serait « nécessaire d'en faire faire l'examen par des personnes qui aient l'ha<«<bitude de lire les anciennes écritures et qui connaissent l'ancien droit public, la constitution, les droits et la situation des différentes pro<«< vinces des Pays-Bas, pour pouvoir décider s'il peut résulter quelque << avantage de leur conservation.

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« Je ne vois dans les papiers de l'ancienne chambre des comptes de « Lille rien à conserver que ce qui peut établir des créances de la nation << envers des comptables, et cette vérification ne me paraît pas devoir exiger des recherches ni longues ni pénibles. Tous les papiers anciens <«<et d'écriture gothique ne doivent là, comme ailleurs, être que des <«< titres de féodalité, d'assujettissement du faible au fort et des règle<<ments politiques heurtant presque toujours la raison, l'humanité et la justice; je pense qu'il vaut mieux substituer à ces ridicules paperasses <«< la déclaration des droits de l'homme : c'est le meilleur titre qu'on puisse avoir. Je vous engage donc à vous conformer à ces observations; agir dans d'autres principes ne serait pas de votre part se mon<<< trer digne de la confiance qui a déterminé le choix que l'administra«<tion a fait de vous.

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<< Lorsque j'ai sollicité de votre prédécesseur la place de garde des

« archives de la chambre des comptes, c'était dans la supposition que

<< ces archives étaient utiles à la république. Ma commission me charge « de veiller à la conservation du dépôt qui m'était confié : c'est pour

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quoi j'ai cru pouvoir vous prévenir des dégâts que le commissaire de << la comptabilité, celui du département, et leurs manœuvres y avaient <«< commis. Je vous ai observé en même temps qu'on ne devait pas prendre des aveugles pour juger les couleurs; vous me paraissez être d'une << autre opinion, puisque, sur le témoignage d'un administrateur de la comptabilité qui ne connaît pas plus le prix des antiquités diplomatiques que le coq de la fable ne connaissait celui du diamant qu'il avait « trouvé, vous décidez qu'il n'y a dans les papiers de l'ancienne chambre « des comptes rien à conserver, et vous ordonnez la destruction de ces <<< archives nationales, peut-être les plus intéressantes que la république possède. Je n'ai aucun moyen pour empêcher l'exécution de cette ré« solution meurtrière. Ainsi, je remettrai les clefs de ce dépôt aux per« sonnes qui seront chargées de le supprimer. En recommandant à ces << charticides de n'épargner aucun papier ancien et d'écriture gothique, << vous pouvez être assuré que vos intentions seront remplies de la ma<< nière la plus complète, et qu'ils n'y laisseront rien, si ce n'est peut<< être des inventaires auxquels il faudra bien faire subir le même sort, puisqu'ils ne pourraient servir qu'à faire connaître et regretter des « pertes irréparables. J'espère, citoyen ministre, que vous voudrez bien << me permettre de ne prendre aucune part à cette opération, qui n'est comparable qu'à l'incendie d'Alexandrie, et qui ne me paraît nécessitée «< par aucun motif raisonnable; car, quand il serait vrai que ces papiers << anciens et gothiques ne seraient que des titres de féodalité, d'assujeta tissement du faible au fort et des règlements politiques heurtant pres« que toujours la raison, l'humanité et la justice, je pense qu'on devrait << encore les conserver comme des monuments propres à faire aimer la «< révolution. Mais, lorsque l'on considère que ces titres contiennent la <«< preuve de l'amour que les Belges ont toujours eu pour la liberté et l'égalité; qu'ils attestent l'existence dans ce pays, il y a plusieurs siè

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cles, d'une constitution très-approchante de la nôtre, alors ils devien

<< nent infiniment chers à tous les êtres pensants et sentants.

« Ce dépôt était encore intéressant du côté de l'avantage matériel qu'il

pouvait procurer à la nation. J'avais commencé un travail sur les do

T. II. - ire PARTIE.

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