ganiser la fabrication de la toile, mais aussi réorganiser le commerce... >> Sous la pression des circonstances économiques que nous venons d'indiquer, une nouvelle organisation du travail s'élabore et se développe. La fabrication des toiles adopte des formes mieux appropriées aux nécessités de la lutte industrielle, qui devient plus âpre et plus rude. Imaginez un corps de musiciens, où chacun jouerait à sa guise, sans se soucier du voisin et de l'effet général. Quelle affreuse cacophonie ! C'est l'image de l'ancienne industrie de la toile. Ce qui lui manquait c'était un chef d'orchestre, capable de diriger tous ces efforts épars vers un but commun, de les unifier, de les assouplir. L'organisation nouvelle lui donne ce chef d'orchestre, ce patron, ce manufacturier qui dorénavant prendra la tête de la fabrique collective de la toile. C'est lui qui achètera le lin et le fil et le confiera au tissreand, qui le travaillera d'après ses indications. Une fois le tissu achevé, le patron le reprendra, pour le vendre à son profit. La propriété des matières premières et la vente du produit échappent au tisserand, mais il continuera à travailler chez lui et sur son propre métier. C'est au patron à observer l'état du marché et à diriger la fabrication en conséquence, selon les fluctuations et les exigences de la concurrence. L'ancienne fabrication, éparse et isolée, se centralise, s'unifie, se concentre. Et les éléments qui opéreront cette centralisation sont prêts et se rencontrent facilement. Ce sont ces marchands, ces négociants, ces commissionnaires, qui jadis s'approvisionnaient aux marchés de toile, qui tout naturellement assument ce rôle de patron dans la fabrique collective. Ils connaissent l'état du marché, ils sont les premières victimes de l'ancien ordre de choses et ils possèdent enfin les capitaux nécessaires pour diriger la fabrication (1). Plus tard, l'unification s'accentuera encore. La fabrique collective cèdera le pas au grand atelier mécanique. Ce sera pour le tisserand la perte de son dernier refuge d'indépendance: l'atelier familial. On le groupera avec d'autres en fabrique; on le placera devant un métier mécanique, dont il se bornera à surveiller la marche régulière, suivant des prescriptions rigoureuses. Ainsi s'achève l'évolution, dont nous avons suivi les phases successives. II. DESCRIPTION SOMMAIRE DES PROCÉDÉS ET DU MODE EXAMEN CRITIQUE. DE TRAVAIL ACTUELS. Le tissage de la toile revêt donc de nos jours deux formes industrielles principales. Il s'exécute, soit en grand atelier patronal, sous le régime de la fabrique et sur des métiers mécaniques, soit en fabrique collective, à domicile et à la main. Nous avons rencontré, au cours de nos recherches : 1o des entreprises de tissage exclusivement mécaniques, qui n'emploient pas de tisserands à domicile et à la main. Toutes les opérations se font en fabrique. Parfois, dans les grandes exploitations, c'est le même patron tisserand qui dirige aussi les préliminaires du tissage. Il achète le lin sur pied, fait procéder au rouissage et au teillage, achète les étoupes et produit lui-même le fil dont il a besoin, dans une filature annexée aux ateliers de tissage. Mais généralement le tissage et la filature constituent deux industries séparées. (1) Nous supposons que c'est notamment parmi les cutzers ou opkoopers qui déjà servaient d'intermédiaires entre les tisserands et les marchés de toile, que s'est recruté le premier noyau des patrons de la fabrique collective. 2o des entreprises de tissage, où la fabrication se fait exclusivement à la main et au domicile des tisserands. Il arrive cependant souvent que des fabricants à la main fassent tisser à façon dans des tissages mécaniques. 3o enfin, des entreprises mixtes, dans lesquelles le tissage s'opère mécaniquement dans une fabrique et aussi à la main par des tisserands, travaillant, soit isolés et à domicile, soit réunis dans des ateliers patronaux. Ce dernier cas est rare. Le tissage à la main s'exécute généralement au domicile du tisserand. Une concurrence sérieuse existe entre les procédés mécaniques et les procédés à la main, entre les anciennes et les nouvelles méthodes de travail. La mécanique domine presqu'exclusivement dans certains centres à Gand et dans la Flandre orientale, à l'exception de la région d'Alost. Plus récemment, elle s'est développée à Courtrai, et surtout à Roulers et à Turnhout. A Roulers, six nouveaux tissages mécaniques ont été bâtis dans ces dernières années. Un des principaux fabricants de la localité occupait encore, il y a environ quinze ans, de 1,000 a 1,500 tisserands à domicile. Aujourd'hui, à Roulers même et aux environs, le nombre de ces derniers décroit journellement. La situation est analogue à Turnhout, l'ancien centre important de la fabrication des coutils. I es tissages mécaniques prédominent. On peut dire, pour caractériser l'état de choses actuel, que les procédés de travail du tissage de la toile ont suivi trois étapes principales: tissage à domicile et à la main pur tissages mixtes, où se combinent les procédés mécaniques et manuelstissages mécaniques purs. C'est la forme intermédiaire qui paraît la plus répandue aujourd'hui. La première décline de plus en plus, tandis que la dernière se développe. Cependant, la concurrence entre les anciennes et les nouvelles méthodes ne se manifeste-t-elle pas différemment selon les espèces et les qualités des tissus? Y a-t-il certaines espèces de toile qui se tissent uniquement à la main, d'autres exclusivement à la mécanique? Ou bien, les deux modes de travail s'appliquent-ils indistinctement aux toiles de toute espèce? Voici les renseignements que nous avons recueillis à ce sujet. Le fil de lin sert à confectionner de nombreux tissus, que l'on peut répartir en trois grandes catégories : 1° les toiles unies depuis les plus grossières jusqu'aux plus fines. Toiles à teindre, pour tabliers, sarraux — toiles à blanchir pour draps de lit, mouchoirs, etc.; les linons, les batistes; 2o le linge ouvré et damassé : services de table, nappage et serviettes, etc.; 5o les coutils pour matelas, stores, tailleurs, équipements militaires, etc. Les coutils sont des tissus croisés. La chaîne et la trame sont en fils de lin ou en fils d'étoupes, selon les qualités; les rayures en fil de coton teints de diverses couleurs. Tous ces tissus sont fabriqués aussi bien sur les métiers mécaniques que sur les anciens métiers à la main, à l'exception toutefois des beaux tissus damassés et des toiles unies fines, ainsi que des batistes. On ne parvient pas à faire mécaniquement les tissus damassés qui dépassent un certain degré de finesse (5,500 fils sur 80 centimètres de large) ni les toiles unies au delà de 2,500 fils en 5/4 ou dans une proportion équivalente 5,000 fils en 10/4 etc., ni les toiles de grande largeur, ni les batistes, dont les fils, d'une finesse extrême, ne souffrent pas le travail brutal de la machine. Il paraît cependant qu'en Silésie et en Angleterre. on commence à tisser de la batiste sur des métiers mécaniques à marche excessivement lente. La fabrication de ces tissus de haut luxe reste donc réservée jusqu'à présent au tissage à la main. Il y a, pour le tissage mécanique, sinon toujours une impossibilité technique, au moins une impossibilité économique de les produire. Car ce sont là des articles destinés à une clientèle restreinte, que l'on ne peut fabriquer en grandes quantités et dont le montage, par conséquent, reviendrait trop cher. Là où la mécanique triomphe, c'est dans les articles de grande consommation, susceptibles de production en masse. Aussi, dès les débuts, le travail mécanique s'est appliqué aux toiles communes, grossières, ou bien à certains tissus d'une fabrication spéciale. - Ainsi, les toiles d'emballages: sacs, bâches, toiles pour peintres, etc., se font aujourd'hui presque partout à la mécanique. La fabrication à la main ne lutte plus que très péniblement sur ce terrain. Pour ces tissus, le jute a même remplacé le lin, à cause de son bon marché. Or, c'est le bon marché avant tout qu'il faut obtenir dans cet article. Les toiles à voile, qui exigent une fabrication toute spéciale, ont de bonne heure été produites en ateliers et puis mécaniquement (Tamise, Zele.) Aujourd'hui, on n'en fait plus du tout à la main. En résumé, la fabrication des tissus les plus fins, des articles de haut luxe et par conséquent demandés par un nombre restreint de consommateurs, reste réservée au tissage à la main, pour des raisons techniques et pour des raisons économiques. Mais le tissage à la main ne parvient plus à concourir avec la mécanique pour les articles ordinaires, de grande consommation courante toiles grossières, emballages, certains coutils... Entre ces catégories extrêmes, qui constituent l'une le domaine réservé au travail manuel, l'autre le domaine conquis par la machine, il y a les catégories intermédiaires pour |