« Il y a deux choses par lesquelles la ville de Montpellier D n'a pas discontinué, depuis le temps des Guillems, d'avoir » une grande importance dans le monde son commerce » et ses écoles. » Ainsi nous exprimions-nous, voilà dix ans, en abordant l'histoire de la puissante Commune. Nous avons dû nous contenter alors de fournir les principales preuves. Traiter du commerce de Montpellier avec tous les développements que comporte le sujet, c'eût été franchir les limites où nous renfermait le plan d'un livre destiné par son titre à embrasser nombre d'autres points de vue. Nous entreprenons aujourd'hui de restituer à la science, d'une manière aussi complète que possible, cette glorieuse portion des annales du commerce français. Il ne suffit pas de lui avoir marqué sa place dans l'histoire de Montpellier; il faut la lui faire dans l'histoire collective du négoce européen. Une étude de cette étendue nécessite un travail particulier. Le commerce, d'ailleurs, a long-temps occupé à Montpellier le premier rang. « Ladicte ville», selon les termes d'une requête adressée en 1356 au roi Jean par nos consuls, est proprement lieu fundé de marchandise; et plus des deux parties des habitans d'icelle sont d'estranges parties, les uns Cathalains, les autres Espaignols, Jennevois, Lombars, Venessiens, Chiprois, Provensals » Alamans, et d'autres plusieurs estranges nacions 1. » D Faut-il s'étonner qu'avec de tels éléments le commerce ait primé parmi nous? Il y domina si bien, qu'il y monopolisa les fonctions municipales, absorption grave dans une commune où d'autres aspects moralement supérieurs éblouissent par leur éclat. Montpellier fut, durant toute la période des Croisades, et jusqu'à l'aurore de l'âge moderne, un des plus remarquables centres commerciaux de la France et du monde entier. L'agriculture elle-même y était subordonnée au commerce. Le duc Louis d'Anjou, lieutenant - général en Languedoc, prescrit, le 15 octobre 1369, au sénéchal de 1 Arch. mun. de Montp., Arm. Dorée, Liasse 9, No 14. -« Dicta villa mercibus et mercatoribus est fundata », avait déjà dit un syndic ou procureur des consuls de Montpellier dans un document du 6 mai 1346, conservé aux mêmes Archives, Arm. D, Cass. XII, No 4 du Grand Chartrier. « Notorium et manifestum est », avait-il ajouté, quia locus Montispessulani est clavis maris istius terre. » Beaucaire, et au recteur ainsi qu'au bayle de Montpellier, de veiller à l'exécution d'une mesure récemment prise par le conseil de nos bourgeois, et interdisant de fumer trop souvent les vignes, de peur que les vins ne fussent moins propres à être exportés, soit par mer, soit par terre 1. Il n'est pas jusqu'aux chartes monastiques qui ne conservent chez nous l'empreinte des préoccupations commerciales. Lorsque Guillem VI, de concert avec sa mère Ermessens et sa femme Sibylia, accorde aux Bénédictins de Cluni, sous les murs de Montpellier et sur la rive du Lez, un emplacement destiné à recevoir un monastère de leur congrégation, il stipule, non-seulement qu'on n'y bâtira ni forteresse ni nouveau groupe d'habitations, mais qu'on n'y établira aucun marché public, et qu'on n'admettra ni marchands ni marchandises à y débarquer 2. Le pieux seigneur 1 Arch. mun. de Montp., Arm. E, Cass. VII, Liasse 34. Cf. Petit Thalamus, pag. 384 de l'édition publiée par la Société archéologique de Montpellier. 2 « Ego Guillelmus, Montispessulani dominus, et ego Hermesendis, mater ejus, et ego Sibilia, predicti domini Guillelmi uxor, auctoritate et precepto domini pape Innocentii, donamus et cum hac presenti carta perpetuo jure tradimus Domino Deo et beatis apostolis Petro et Paulo, et monasterio Cluniacensi,.... in manu domini Petri, ejusdem monasterii religiosissimi abbatis, pro redemptione animarum nostrarum et parentum tociusque nostri generis, videlicet locum quendam prope Salzetum, super ripam fluminis Lesi, ad construendum inibi monasterium cum cimiterio. Hanc tamen donationem tali tenore et pacto facimus, ut nulle fiant in predicto loco, nec in craignait de se donner des rivaux qui eussent amoindri sa position et ses revenus. Il tenait à concentrer le commerce dans son port de Lattes, et n'entendait partager qu'avec l'évêque de Maguelone les précieux avantages dont la pratique du négoce enrichissait leurs domaines respectifs. Le commerce est donc, on n'en saurait douter, l'une des principales manifestations par lesquelles resplendit l'ancienne importance de Montpellier. Nous en retraçons les vicissitudes, depuis le jour où nos Archives projettent sur lui la lumière de l'histoire, jusqu'à l'ouverture de nouvelles voies par la création du Canal des deux mers. Au-delà commence l'histoire du commerce de Cette, où Montpellier cesse d'être au premier plan. Nous nous proposons, si le public agrée l'essai qu'on va lire, de retracer dans un troisième volume cette seconde histoire. Depuis bientôt deux siècles qu'existe le port de Cette, il a acquis le droit d'avoir ses fastes commerciaux. Nous nous efforcerons d'en asseoir les bases, sauf à laisser aux omnibus ad predictum locum pertinentibus, municiones seu forcie, nec villa, nec publicum mercatum, neque fiat ibi habitacio alicujus seu aliquorum hominum, nisi tantum monachorum ibidem Deo famulancium et proprie ipsorum familie. Negociatores vero causa negocii, nec merces eorum ibi nullo modo recipiantur, nec fiat ibi aliquid ut lesde domini vel domine Montispessulani vel utilitas hominum Montispessulani in aliquo minuatur. » Arch. mun. de Montp., Mémorial des Nobles, fol. 70 vo. |